Arrêt n° 604 du 17 février 2012 (10-24.282) – Cour de cassation – Assemblée Plénière
principe
l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet prononcée par une décision postérieure irrévocable n’est pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution d’une condamnation du chef de contrefaçon
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 8 juin 2010), que M. X… a été condamné au paiement de diverses sommes par un arrêt irrévocable du 10 septembre 2001 pour contrefaçon par reproduction des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet, enregistré sous le n° 87-03865 et déposé par M. Y… qui en avait concédé l’exploitation exclusive à la société LPG Systems ; que ces revendications ayant été annulées par un arrêt du 21 février 2002, irrévocable, M. X… a assigné M. Y… et la société LPGSystems en restitution de ces sommes ;
Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande, alors, selon le moyen, que la décision d’annulation d’un brevet d’invention, qui a un effet à la fois rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet annulé ; qu’elle rend donc indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, serait-elle irrévocablement passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées ; qu’en rejetant la demande de M. X… tendant à obtenir la restitution de la somme totale de 6 000 euros versée en exécution des condamnations pour contrefaçon des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 prononcées à son encontre par le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 13 mars 1997, et confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 septembre 2001, après avoir pourtant constaté l’annulation des revendications précitées par un jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000, et la confirmation de cette annulation par un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, ensemble l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu’ayant relevé que M. X… avait été condamné comme contrefacteur par une décision irrévocable, la cour d’appel en a exactement déduit que l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet dans la mesure de l’annulation des revendications prononcée par une décision postérieure n’était pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de sa condamnation du chef de contrefaçon ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Président : M. Lamanda, premier président
Rapporteur : M. André, conseiller, assisté de M. Régis, auditeur au Service de documentation, des études et du rapport
Avocat général : M. Le Mesle, premier avocat général
Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard et Tichet ; SCP Boré et salve de Bruneton
Rapport de M. André, conseiller
- Arrêt n° 604 du 17 février 2012 (10-24.282) – Cour de cassation – Assemblée plénière
- Avis de M. Le Mesle, Premier avocat général
1 – Rappel des faits et de la procédure
Prétendant que certaines parties de l’appareil de massage réalisé et commercialisé par M. X… constituaient une reproductioncontrefaisante notamment des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet qu’il avait déposé le 17 mars 1987, enregistré sous le n° 87-03865, M. Y… a assigné celui-ci devant le tribunal de grande instance de Limoges. La société L.P.G. Systems, titulaire d’une licence d’exploitation exclusive du brevet concerné, s’est jointe à l’instance.
Par jugement du 13 mars 1997, le tribunal de grande instance de Limoges a, entre autres dispositions :
– constaté la contrefaçon par M. X… d’une partie de l’appareil de massage, par reproduction des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 de M. Y… ;
– interdit, sous astreinte, à M. X… de poursuivre la fabrication et la vente de la partie de l’appareil concerné ;
– condamné M. X… à verser, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 50.000 Frs. (7.622,45 euros) à M. Y… et 10.000 Frs. (1.524,49 euros) à la société L.P.G. Systems ;
– ordonné la publication des dispositions du jugement relatives à la contrefaçon de la tête basse de massage dans deux revues professionnelles au choix des demandeurs ;
– ordonné l’exécution provisoire de ces dispositions.
M. X… a interjeté appel de ce jugement et a du s’acquitter immédiatement de la somme de 38.508,15 Frs. (5.870,53 euros) au titre des condamnations prononcées à son encontre par cette décision, en vertu de l’exécution provisoire qui y était attachée.
Par arrêt du 10 septembre 2001, la cour d’appel de Limoges a réformé le jugement en ses seules dispositions relatives au montant des dommages-intérêts. Statuant à nouveau de ce chef, elle a condamné M. X… à verser les sommes de 40.000 Frs. (6.097,96 euros) à la société L.P.G. Systems et 10.000 Frs. (1.524,49 euros) à M. Y…. Elle a confirmé, pour le surplus, la décision entreprise.
En exécution de cet arrêt, M. X… a versé, en sus du montant déjà acquitté de 5.870,53 euros, une somme supplémentaire de 300 euros au titre de ses condamnations à dommages-intérêts.
Cette décision, à l’encontre de laquelle aucun pourvoi n’a été formé, est passée en force de chose jugée.
Pendant le cours de cette instance, dans un procès opposant M. Y… et la société L.P.G. Systems à un autre concurrent, la société C.F.K. Concepts, les revendications 1 à 5 du brevet n° 87-03865 – dont la contrefaçon avait servi de fondement aux condamnations indemnitaires prononcées à l’encontre de M. X… – ont été déclarées nulles, pour défaut d’activité inventive, par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000.
Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002.
Le pourvoi formé par M. Y… et la société L.P.G. Systems contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation (Com., 5 octobre 2004, n° 02-15.214).
Par actes des 23 et 29 janvier 2007, M. X… a fait assigner M. Y… et la société L.P.G. Systems devant le tribunal de grande instance de Valence afin, notamment, d’obtenir la condamnation in solidum de ces derniers :
– à lui restituer, avec intérêts au taux légal, la somme totale de 6.000 euros qu’il avait acquittée en exécution des condamnations prononcées à son encontre pour contrefaçon des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 ;
– à lui rembourser les frais exposés pour sa défense sur l’action en contrefaçon des revendications précitées, s’élevant à la somme de 10.000 euros ;
– à lui verser 5.000.000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial, et 15.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Par jugement du 23 septembre 2008, le tribunal de grande instance de Valence a débouté M. X… de toutes ses prétentions.
M. X…r a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 8 juin 2010, objet du pourvoi, la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
La décision attaquée a été signifiée le 8 juillet 2010, le pourvoi formalisé le 1er septembre 2010.
Le MA, déposé le 3 janvier 2011 (le 1er janvier 2011 était férié et le 2 janvier 2011 tombait un dimanche), a été signifié le même jour.
Le MD a été déposé le 3 mars 2011 et signifié le même jour.
La procédure apparaît régulière.
Les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile sont les suivantes :
– M. X… : 3000 euros.
– M. Y… et la société L.P.G. Systems, ensemble : 3000 euros.
2 – Analyse succincte du moyen
Le moyen unique, en une branche, fait grief à l’arrêt de débouter M. X… de sa demande tendant à la condamnation in solidum de M. Y… et de la société L.P.G. Systems à lui restituer le montant de la somme versée en exécution des condamnations prononcées à son encontre pour contrefaçon du brevet n° 87-03865.
Il soutient que l’effet à la fois rétroactif et absolu de la décision d’annulation d’un brevet d’invention prive de fondement juridique la condamnation pour contrefaçon du brevet annulé précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation.
Il en déduit que cette annulation rend indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, quand bien même serait-elle passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées.
Le pourvoi en déduit donc qu’en rejetant la demande de M. X… tendant à obtenir la restitution de la somme payée en exécution des condamnations pour contrefaçon du brevet n° 87-03865 prononcées à son encontre par le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 13 mars 1997, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 septembre 2001, alors qu’elle avait pourtant constaté l’annulation du brevet par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, ensemble l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle.
3 – Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger
Les sommes versées en exécution d’une condamnation irrévocable pour contrefaçon d’un brevet peuvent-elles faire l’objet d’une action en répétition à la suite de l’annulation de ce brevet par une décision postérieure ?
4 – Discussion citant les références de jurisprudence et de doctrine
La solution à donner au pourvoi requiert, dans une première partie, que soient examinés les effets de l’annulation d’un brevet (I), puis, dans une seconde partie, que ceux-ci soient confrontés avec la décision antérieure irrévocable de condamnation pour contrefaçon de ce brevet (II).
I.- Les effets de l’annulation d’un brevet
A. – Les conséquences de l’annulation d’un brevet
Il convient, sur ce point, de considérer successivement les conséquences de la décision d’annulation du brevet, selon qu’elles s’exercent respectivement dans l’espace, en examinant sa portée erga omnes ou « effet absolu » (1°), et dans le temps, en étudiant l’effet rétroactif de l’anéantissement du brevet (2°).
1°.- La portée erga omnes de l’annulation d’un brevet
L’article L. 613-27, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, dont la violation est invoquée par le pourvoi, dispose que : « la décision d’annulation d’un brevet d’invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition » [1] .
L’alinéa 2 de ce même article précise que : « les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l’Institut national de la propriété industrielle, aux fins d’inscription au registre national des brevets ».
L’« effet absolu » est attaché à toutes les décisions d’annulation, quelle que soit la nature du titre, l’auteur de la demande ou la cause de nullité invoquée.[2] Cette solution a en outre été étendue au droit des marques (article L. 714-3, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle).[3]
Au plan historique, la nullité du brevet, en tant que sanction des conditions de brevetabilité, a succédé, dans la loi du 5 juillet 1844, à la seule déchéance que prévoyait la législation antérieure de 1791. Le texte de 1844 ne conférait toutefois à la décision d’annulation qu’un effet relatif inter partes, sauf lorsqu’elle avait été rendue à la suite de l’intervention du ministère public, hypothèse dans laquelle son article 37 disposait qu’elle revêtait alors un effet erga omnes. Cette solution a été reprise par la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968, en son article 50. L’effet absolu sera étendu à toutes les hypothèses d’annulation par la loi n° 78-742 du 13 juillet 1978 (art. 50 bis modifié).[4] Cette disposition a été codifiée à droit constant par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992. La rédaction actuelle de l’article L. 613-27, applicable à la cause et ci-dessus rappelée, résulte de la loi n° 94-102 du 5 février 1994.
La lecture des travaux préparatoires de la loi de 1844 enseigne que le principe de l’effet relatif de l’annulation du brevet était justifié, dans l’esprit de ses auteurs, par la règle de l’autorité relative de la chose jugée.[5] En conséquence, le législateur de 1844 avait prévu que dans l’hypothèse où la nullité du brevet était poursuivie par le ministère public et était donc susceptible d’avoir un effet absolu, celui-ci devait mettre en cause tous les ayants droit du brevet dont les titres auraient été enregistrés au ministère de l’Agriculture et du Commerce, pour atténuer – en quelque sorte – la dérogation ainsi apportée au principe de l’autorité relative de la chose jugée (art. 38). Aux termes de la loi de 1844, la nullité ou la déchéance du brevet était relative ou absolue -non quant aux conditions de l’action, mais quant aux effets du jugement – selon que seules les personnes privées avaient été parties à l’instance ou que le ministère public avait été lui-même partie. Cette analyse, reprise lors de l’élaboration de la loi de 1968, était également celle de la doctrine dans son ensemble [6], et celle de la jurisprudence.[7]
Ce principe de l’effet relatif de l’annulation du brevet a été abandonné par la loi de 1978. Selon le principal inspirateur de cette réforme et auteur de la proposition de loi, Jean Foyer, cette règle avait abouti à de nombreuses difficultés pratiques et présentait l’inconvénient majeur de permettre au titulaire d’un brevet annulé de « brandir son titre devant d’autres prétendus contrefacteurs », ce qui favorisait la mauvaise foi, ainsi que le risque de survenance de jugements contradictoires.[8]
Surtout, selon cet auteur, le rattachement de l’effet de l’annulation au principe de l’autorité de la chose jugée est erroné. Il résulte d’une mauvaise compréhension de ce principe, dont les conséquences néfastes se sont fait sentir dans de nombreuses matières telles que le désaveu de paternité (l’enfant judiciairement désavoué par le mari de sa mère pouvait-il continuer à être considéré par les tiers comme le fils de ce mari en raison de la relativité de l’autorité de la chose jugée) ou le contentieux de la nationalité, qui ont pareillement nécessité des interventions législatives.[9] Jean Foyer soulignait en effet que l’annulation modifie l’ordonnancement juridique, lequel est nécessairement opposable à tous.[10] Cet effet est distinct de la question de l’autorité de la décision prononçant cette nullité. La solution retenue par les lois de 1844 et 1968 « résulte d’une confusion entre deux notions : celle de l’étendue des effets d’un jugement, déterminée par celle du rapport de droit qui en est l’objet, et l’autorité de la chose jugée, qualité du contenu de la sentence qui la rend désormais incontestable et que la règle du contradictoire rend nécessairement relative. La solution traditionnellement admise, très protectrice des droits des brevetés, a été expliquée de manière peu convaincante par le caractère très spécifique de la matière des brevets et la crainte de divergences de décisions entre des juridictions peu habituées à en traiter » [11]. Le principe de l’autorité de la chose jugée fait seulement naître, toujours selon Jean Foyer, une fin de non-recevoir s’opposant au renouvellement de la contestation. “Un tel effet erga omnes n’est pas une autorité de chose jugée qui serait absolue. Le jugement d’annulation aurait une autorité absolue, si ce qui en fait l’objet ne pouvait être remis en question, dans une instance différente, par les personnes qui n’y auraient point été parties. La loi dit expressément le contraire puisqu’elle réserve aux tiers la faculté de former tierce opposition”.[12] L’effet absolu de la décision d’annulation ne saurait donc être considéré comme constituant une exception à l’autorité de la chose jugée.
Cette analyse paraît partagée par de nombreux auteurs [13]. Selon Jean-Pierre Stenger : « l’opposabilité erga omnes d’une décision d’annulation d’un brevet irait sans dire, même en l’absence de la disposition introduite en 1978. Tout jugement annulant un acte opposable aux tiers est nécessairement lui-même opposable aux tiers ». [14] De même, Emmanuel Py souligne que la « règle traditionnelle de l’effet relatif de la décision d’annulation correspondait davantage, en fait, à une déclarationd’inopposabilité entre les parties au procès, qu’à une véritable destruction de droit réel. C’est ainsi qu’ont pu être relevées dans la jurisprudence deux décisions de la cour d’appel de Paris, datées du même jour, dont l’une aboutissait à l’annulation d’un brevet dans les rapports entre son titulaire et un syndicat ( Paris, 4ème ch., 9 mai 1979 : PIBD 1979, n° 245, III, p. 362 ; Dossiers brevets 1979, III, p. 4) et l’autre, à la condamnation d’un défendeur en contrefaçon sur la base du même titre ( Paris, 4ème ch., 9 mai 1979 : PIBD 1979, n° 245, III, p. 361 ; Dossiers brevets 1980, I, p. 7) ».[15]
Le professeur Landraud estime également que tout jugement apporte une modification de l’ordonnancement juridique, « et objectivement cette modification doit être reconnue et respectée par tous. C’est en cela que doit être affirmée l’opposabilité du jugement (…) à tous » ; “Tout jugement ne produit des effets qu’entre les parties, mais tout jugement est aussi opposable aux tiers : l’autorité absolue n’existe pas et elle n’a d’autre signification que l’opposabilité aux tiers”.[16]
C’est sans doute l’hypothèse des décisions rejetant une demande d’annulation d’un brevet qui illustre le mieux cette différence entre opposabilité et autorité de la chose jugée et qui éclaire la portée et la signification de la notion d’« effet absolu ». La doctrine considère presque unanimement que cet effet absolu n’est pas attaché aux décisions rejetant la demande en annulation.[17] Cette solution est également consacrée par la Cour de cassation (Com., 5 mai 1987, Bull. 1987, IV, n° 107, pourvoi n° 85-16.892) [18]. Il ne paraîtrait pas admissible, en effet, qu’une telle décision de débouté rende le brevet incontestable par quiconque.[19] Or, comme le note Jean Foyer, si une telle décision n’a pas à proprement parler d’« effet absolu », c’est qu’elle n’apporte aucune modification dans l’ordonnancement juridique. Pour autant, elle permet au brevet de produire ses effets ergaomnes [20], alors que, par une application classique du principe de l’autorité de la chose jugée, la validité du brevet ne peut plus être attaquée par les mêmes parties et pour les mêmes causes. Emmanuel Py cite ainsi une décision ayant accueilli une demande en annulation postérieure à une première décision de rejet, pour les mêmes causes, mais introduite par un tiers [21], ainsi qu’une décision de la Cour de cassation ayant décidé que l’auteur d’une demande d’annulation rejetée peut réitérer sa contestation en se fondant sur une autre cause d’annulation ou agissant en une autre qualité (Com., 10 mars 1980, Bull. n° 118, pourvoi n° 78-11.697) [22], ce qui paraît conforter cette analyse.[23]
En revanche, l’effectivité juridique de l’opposabilité requiert que la décision d’annulation soit passée en force de chose jugée, au sens de l’article 500 du code de procédure civile, c’est-à-dire qu’elle ne soit plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. On relèvera à ce propos qu’en vue d’assurer la publicité de la décision d’annulation, corollaire de son opposabilitéabsolue, l’alinéa 2 de l’article L. 623-27 du code de la propriété prévoit que : « les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l’Institut national de la propriété industrielle, aux fins d’inscription au registre national des brevets ».
La doctrine s’interroge en revanche sur l’effet d’un jugement accueillant une exception de nullité soulevée par le défendeur à une action en contrefaçon. Dans cette hypothèse, l’annulation du brevet n’est pas prononcée par le juge, auquel il est simplement demandé de constater l’existence d’un vice affectant le brevet et de rejeter corrélativement la demande en contrefaçon. Selon certains auteurs, une telle décision n’entraîne pas l’annulation du titre et n’a donc pas d’effet absolu [24]. La jurisprudence a pourtant jugé le contraire, approuvée en cela par certains auteurs qui estiment que cette position donne son plein effet à la réforme de 1978.[25]
Cette réforme a suscité quelques interrogations quant à l’étendue et des conséquences précises de l’annulation du brevet. Au-delà de la question de l’effet absolu, les difficultés semblent s’être surtout concentrées sur la problématique de la rétroactivité de cette annulation. Si certains auteurs semblent rattacher cet effet rétroactif aux dispositions de l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle [26], selon une majorité d’autres, celle-ci est une conséquence logique de l’annulation et ne relève donc pas à proprement parler de l’effet absolu.[27]
2°.- L’anéantissement rétroactif du brevet
La doctrine s’accorde à reconnaître à l’annulation du brevet un effet rétroactif. Ainsi, le professeur Mathély écrit-il : « il est bien évident que l’annulation d’un brevet remonte à son origine. Si le brevet est nul, il n’a donc jamais eu d’existence légale ; il n’a pu produire aucun effet »[28]. La nullité opère, conformément au droit commun, un anéantissement rétroactif du brevet [29], en accord avec la théorie civiliste des nullités, illustrée par des arrêts de la Cour de cassation, rendus au visa du “principe selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé”.[30]
Il en découle que la destruction du droit de propriété sur l’invention remonte au jour de la demande de brevet.
La Cour de cassation paraît également adopter cette position en retenant que :
“l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet” (Com., 12 juin 2007,Bull. n° 158, pourvoi n° 05-14.548).
Les contrats dont le brevet a pu être l’objet avant son annulation (cession, concession, gage …) pourront être annulés pour défaut d’objet et/ou de cause (Com., 8 juillet 1981, Bull. n° 310, pourvoi n° 79-15.844). [31]
Parallèlement, les actes d’exploitation de l’invention qu’il était censé réserver ne pourront plus être considérés comme des actes de contrefaçon. [32]
Il en est symétriquement de même s’agissant des marques de fabrique, la Cour de cassation, au visa de l’article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, retenant que :
“la décision d’annulation d’un enregistrement de marque a un effet absolu, et notamment entraîne la nullité des licences accordées sur la marque dont l’enregistrement est annulé”, (Com., 1er juin 1999, Bull. n° 118, pourvoi n° 97-12853).
Suite à l’annulation du contrat de cession, et conformément au droit commun des nullités, des restitutions doivent être opérées aux fins de remettre les parties dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat.[33] Si le prix de cession du brevet peut être restitué par le cédant au cessionnaire, il n’en va pas de même du brevet qui ne peut faire l’objet d’une quelconque restitution. La jurisprudence a pu dès lors tenir compte, dans le calcul des restitutions dues par le cédant, des profits réalisés par le cessionnaire pendant la période d’efficacité du brevet.[34] Emmanuel Py considère à ce sujet qu’il faut recourir à la notion de restitution par équivalence par laquelle le juge impose au cessionnaire, dans des hypothèses proches où celui-ci ne peut plus restituer en nature le bien acquis, le versement d’une indemnité dont il détermine librement le montant.[35]
Le problème se pose en termes similaires s’agissant des contrats de licence. En effet, si le concédant peut matériellement restituer les redevances qu’il a reçues du concessionnaire, ce dernier ne peut pas restituer la jouissance du brevet pendant la période d’effectivité du contrat. La jurisprudence tient compte de ce déséquilibre en reconnaissant que la cause du versement des redevances, qui résidait dans la jouissance alors paisible du brevet, ne disparaît pas rétroactivement du fait de l’annulation de ce dernier :
“Vu les articles L. 613-27 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil ;
[…] l’invalidité d’un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte, n’a pas, quelque soit le fondement de cette nullité, pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui ” ;
Com., 28 janvier 2003, Bull. 2003, IV, n° 11, pourvoi n° 00-12.149 [36]
Il en découle que le concédant n’aura pas à restituer les redevances qu’il a perçues.[37] En revanche, il peut être tenu de restituer les redevances encaissées à compter de la date où le trouble de jouissance du concessionnaire a commencé.[38]
Il s’agit là d’une exception au droit commun des nullités, puisque la jurisprudence, en matière de baux par exemple, impose au juge d’ordonner la restitution des loyers par le bailleur et d’évaluer la valeur effective de la jouissance passée que le locataire doit restituer par équivalent.[39] La solution retenue par l’arrêt du 28 janvier 2003 précité semble toutefois pouvoir trouver son fondement dans l’article 549 du code civil qui permet au possesseur de bonne foi de conserver les revenus qu’il a perçus, en considération de leur vocation normale à être consommés.[40]
Dans ce même arrêt, la Cour de cassation a également considéré que l’annulation du brevet n’entraînait pas l’annulation de la transaction portant sur le versement d’une indemnité, intervenue antérieurement entre la personne condamnée pour contrefaçon et le titulaire du brevet [41] :
« Mais attendu que l’arrêt relève que la transaction avait eu pour objet de mettre fin au litige concernant les conséquences pécuniaires résultant de l’arrêt ayant condamné la société Greenland pour contrefaçon de brevet ; que c’est à bon droit, dès lors que la transaction ne portait pas sur la nullité du brevet comme allégué à la deuxième branche, et que l’arrêt rendu en 1995 ne constituait pas un titre nouvellement découvert, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu l’autorité de la chose jugée, a statué comme elle a fait, peu important l’annulation ultérieure de la revendication n° 52 du brevet ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
[…]
Mais attendu que l’arrêt qui tranche au principal une partie du litige a autorité de la chose jugée ; qu’ayant relevé que la transaction avait eu pour objet l’exécution de l’arrêt de 1989, lequel avait condamné la société Greenland pour contrefaçon d’une revendication du brevet et n’avait ordonné une mesure d’instruction que pour évaluer le montant du préjudice en résultant, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu la validité de la transaction portant sur les conséquences pécuniaires de la condamnation, peu important l’annulation partielle ultérieure du brevet ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; » (Com., 28 janvier 2003, Bull. n° 11, pourvoi n° 00-12.149, précité)”.
Aux termes de l’article L. 613-28 du code de la propriété intellectuelle, l’annulation du brevet entraîne, en outre, la disparition du certificat complémentaire de protection qui s’y rattache.
Une partie de la doctrine envisage également les conséquences de l’annulation d’un brevet apporté à une société, qui, non seulement entraîne la nullité de l’apport, mais risque aussi de rejaillir sur la société elle-même, lorsque, notamment, l’objet social de cette dernière consiste en l’exploitation de ce brevet [42].
II.- Conflit entre effets de l’annulation du brevet et décision de condamnation pour contrefaçon de ce brevet.
Seront ici successivement examinées la présentation de cette problématique et les solutions dégagées par la Cour de cassation (A), puis les critiques apportées à ces solutions et la position de la doctrine (B).
A.- Position du problème et jurisprudence de la Cour de cassation
Les sommes versées par le contrefacteur en exécution d’une décision irrévocable de condamnation pour contrefaçon du brevet, peuvent-elles faire l’objet d’une action en répétition de l’indu à la suite de l’annulation de ce brevet ?
Le moyen unique du pourvoi invoque, outre la violation de l’article L. 613-27 étudié ci-dessus, celle des articles 1235 et 1376 du code civil qui disposent respectivement :
– article 1235 : “Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition”.
– article 1376 : “Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu”.
La doctrine, comme la jurisprudence, admettent que l’absence de dette ne puisse se manifester qu’après le paiement effectué par le solvens, notamment lorsque ce dernier a payé en exécution d’un contrat postérieurement résolu ou annulé, ou d’une décision de justice ultérieurement infirmée, annulée ou cassée, faisant ainsi disparaître la dette, condition juridique de l’indu [43]. Il appartient alors au solvens de rapporter la preuve que son obligation n’existe plus, sans être tenu d’établir que son paiement procède d’une erreur.
La coexistence entre deux jugements prononçant, pour le premier, la condamnation indemnitaire du chef de contrefaçon d’un brevet et, pour le second, l’annulation postérieure de ce brevet, instaure une problématique impliquant la résolution du conflit entre, d’une part, l’autorité attachée à la décision de condamnation et, d’autre part, l’effet absolu et rétroactif de l’annulation. Il convient de distinguer, au regard des termes de ce problème, entre les actions en contrefaçon en cours (1), et les décisions de condamnation revêtues de l’autorité de la chose jugée (2).
1.- Action en contrefaçon en cours
L’annulation anéantit rétroactivement le brevet et les droits qui y sont attachés : les actes commis par les tiers ne peuvent constituer une atteinte à un droit qui est censé ne jamais avoir existé. Il n’est pas discuté que la décision d’annulation, passée en force de chose jugée, s’impose aux décisions à venir quant aux actes allégués de contrefaçon de ce brevet, même si le litige relatif à ces dernières est né antérieurement à celui qui a abouti au prononcé de la nullité du brevet [44]. Le demandeur en contrefaçon verra en conséquence sa demande rejetée comme mal fondée.[45]
La question s’est posée de savoir si le juge saisi d’une action en contrefaçon devait surseoir à statuer dans l’attente de l’issue d’une autre instance en annulation du brevet fondant les poursuites. Selon Emmanuel Py, citant de nombreuses décisions rendues par les juridictions du fond, le juge choisit généralement dans cette hypothèse de prononcer le sursis à statuer.[46]
Il convient de signaler que, dans notre espèce, alors que l’existence d’une instance en annulation du brevet litigieux pendante devant le tribunal de grande instance de Lyon était connue, aucune demande aux fins de sursis à statuer n’a été formée devant la cour d’appel de Limoges. Celle-ci n’a été avisée de l’annulation de ce brevet que postérieurement à la clôture des débats, le conseil de M. Y… et de la société LPG Systems ayant fait valoir, dans une note en délibéré, que le jugement d’annulation “ lequel n’a pas de caractère définitif, [….] n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée” [47](sic).
La doctrine reconnaît généralement que le contrefacteur condamné peut reprendre ses actes d’exploitation à la suite de l’annulation du titre. [48]
Mais qu’en est-il lorsqu’une décision antérieure, irrévocable, a prononcé une condamnation sur le fondement de la contrefaçon d’un brevet ultérieurement annulé ?
2.- Décision de condamnation revêtue de l’autorité de la chose jugée
Initialement, la jurisprudence retenait que, dès lors qu’une décision avait été rendue sur la question de la contrefaçon, l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision s’opposait au prononcé d’un sursis à statuer au cours de l’instance statuant sur la liquidation du préjudice dans l’attente de la décision d’une juridiction saisie d’une question de validité du brevet (Com., 27 janvier 1998, n° 95-21.176 [49]). Comme le note E. Py, cette jurisprudence « conduisait à rendre impossible au contrefacteur, l’invocation de la rétroactivité d’une éventuelle annulation pour échapper aux condamnations prononcées à son encontre dans une instance antérieure ». [50]
La Cour de cassation a opéré un revirement sur cette question par un arrêt du 12 juin 2007 (Com., 12 juin 2007, Bull. 2007, IV, n° 158, pourvoi n° 05-14.548 [51]).
Dans cette affaire, la juridiction saisie avait condamné un concurrent du breveté pour contrefaçon après avoir rejeté sa demandereconventionnelle en annulation des revendications opposées. Au cours du litige, une expertise fut ordonnée, qui aboutit à une décision de première instance dont le concurrent du breveté interjeta appel. Suite à la commission de nouveaux faits de contrefaçon par ce concurrent, une nouvelle action fut engagée visant à obtenir la condamnation pour contrefaçon des mêmes revendications. À cette occasion, le défendeur remit en cause la validité des revendications, mais obtint cette fois leur annulation au bénéfice d’une antériorité pertinente non opposée au cours du premier procès. Le breveté fit alors appel de la décision, ce qui aboutit à une jonction de procédure avec l’appel formé par le concurrent. La cour d’appel confirma la décision d’annulation des revendications opposées, infirma le jugement sur la liquidation du préjudice et fit droit à la demande de restitution de la provision à valoir sur les dommages-intérêts accordée en première instance (Paris, 4ème ch., 28 janvier 2005 [52]). Le breveté forma un pourvoi en cassation contre cette décision en développant deux moyens : le premier se fondait sur l’absence d’effet rétroactif de la décision d’annulation du brevet pour soutenir que celle-ci ne pouvait priver la procédure d’indemnisation de tout support juridique ; le second, tiré de la violation de l’article 1351 du code civil, invoquait la méconnaissance, par l’arrêt attaqué, de l’autorité de la chose jugée revêtue par la décision précédente irrévocable qui avait reconnu l’existence d’actes de contrefaçon et du préjudice en découlant. La Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes :
“Mais attendu qu’il n’y a pas autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice ; que, dès lors que l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la procédure d’indemnisation du préjudice se trouvait privée de tout support juridique ” ;
Cette position a été confirmée dans un arrêt du 3 mars 2009 qui a cassé, au visa de l’article L. 613-27 précité, une décision ayant condamné pour contrefaçon l’auteur du pourvoi en cassation en se fondant sur le rejet de deux pourvois dirigés contre deux décisions ayant prononcé l’annulation du brevet ordonnée dans une autre instance postérieure à celle ayant donné lieu à la décision attaquée (Com., 3 mars 2009, n° 06-10.243 [53]) :
“Attendu que par deux arrêts rendus ce jour, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre les arrêts de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2007, qui ont confirmé les jugements du tribunal de grande instance de Paris du 27 avril 2006 annulant les revendications 1, 4, 5, 6 et 7 de la partie française du brevet européen n° 0 673 870 ; qu’en l’état de ces décisions, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 21 octobre 2005 se trouve, en ce qu’il a déclaré valables et contrefaites les revendications, 1, 4, 5 et 7 du même brevet, privé de fondement juridique ” ;
Ces deux derniers arrêts, rendus en matière de brevet, illustrent deux positions, déjà antérieurement prises par la jurisprudence dans bien d’autres domaines que celui de la propriété intellectuelle, qui ne reconnaissent plus d’autorité à une décision judiciaire, en raison, soit de la survenance postérieure d’un fait, d’un acte ou d’un événement (a), soit d’une autre décision judiciaire, administrative ou législative la privant de son fondement juridique (b).
– a) Survenance d’un fait ou acte nouveau
La jurisprudence fondée sur cette conception considère, selon la terminologie souvent employée dans les arrêts, qu “il n’y a pas d’autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice”[54]ou, ce qui revient au même, que “l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice”[55]. Elle décide, par contre, que l’autorité de la chose jugée s’impose lorsque le fait invoqué n’est pas postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée.[56]
L’existence de faits ou actes nouveaux ne paraît être admise par la jurisprudence que dans des hypothèses où leur survenance, extérieure à la volonté des parties, est de nature à combattre la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée de la première décision.
Ainsi, sans que cette liste soit limitative, eu égard au nombre important des décisions concernées, constituent des “actes ou des faits nouveaux”, voire des “événements ”ou des “circonstances nouvelles” [57] :
– l’annulation définitive d’une décision de l’inspecteur du travail, postérieure à l’extinction de la première instance prud’homale, constituant une circonstance nouvelle ouvrant au salarié irrégulièrement licencié un droit à indemnisation et privant la décision précédente de l’autorité de chose jugée (Sociale, 25 octobre 2011, n° 10-17.208) ;
– les résolutions d’habilitation du syndic, prises par l’assemblée générale des copropriétaires postérieurement à un jugement constatant l’irrecevabilité de l’action précédente du syndicat faute d’une telle habilitation, constituant des faits juridiques nouveaux privant celui-ci de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la seconde instance (Civ. 2ème, 6 mai 2010, Bull. II n° 88 n° 09-14.737) ;
– l’échec d’une tentative de conciliation mise en œuvre dans le cadre d’une clause compromissoire, dont l’absence lors de la première instance avait entraîné l’irrecevabilité de l’action, et dont l’accomplissement, même infructueux, constitue un fait nouveau (Civ. 2ème, 21 avril 2005, n° 03-10.237) ;
– l’absence de collocation d’un créancier sur le prix de vente d’un immeuble (Civ. 2ème, 3 juin 2004, Bull. II, n° 264, n° 0314204) ;
– la régularisation de la signification d’une décision de justice étrangère ouvrant droit à une nouvelle action aux fins d’exequatur(Civ. 1ère, 22 octobre 2002, Bull. I, n° 234, n° 00-14.035) ;
– l’annulation par la juridiction administrative d’un arrêté préfectoral approuvant un plan d’occupation des sols (Civ. 3ème, 25 avril 2007, Bull. III, n° 59, n° 06-10.662) ;
– l’annulation de l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, constitutive d’une “circonstance nouvelle” empêchant que soit opposée à la nouvelle action de ce salarié pour licenciement et en dommages-intérêts l’autorité de la chose jugée revêtue par le premier jugement rejetant sa demande d’annulation de la transaction relative à l’indemnisation de son licenciement (Sociale, 18 février 2003, Bull.V, n° 59, n° 01-40978) ;
– l’ouverture d’une procédure collective postérieure au premier jugement (Sociale, 24 juin 1998, n° 96-41.923) ;
– l’aggravation du niveau de surendettement d’un débiteur, établissant ainsi la modification de sa situation (Civ. 1ère, 26 mars1996, n° 94-04.129) ;
– la décision de la juridiction administrative réduisant le montant des revenus constituant l’assiette de calcul des cotisations d’allocations familiales du débiteur (Sociale, 2 mars 1995, n° 92-17.112) ;
– les dispositions du cahier des charges de la vente sur licitation d’un immeuble intervenue après le jugement ordonnant la liquidation d’une communauté conjugale entraînant la modification de la répartition du passif communautaire définie par un jugement antérieur (Civ. 1ère, 20 novembre 1990, n° 89-10169) ;
– la réintégration d’un immeuble dans le patrimoine d’une société autorisant désormais une demande de restitution (Civ. 2ème, 17mars 1986, Bull. II, n° 41, n° 84-12635).
– b) perte de fondement juridique
Elle peut être brièvement définie comme l’anéantissement rétroactif d’une décision judiciaire, revêtue, en tant que telle et par application de l’article 480 du code de procédure civile, de l’autorité de la chose jugée, par suite de la disparition d’une règle ou d’un acte, voire de la survenance d’un fait.
L’examen -qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité– de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine révèle qu’il est fréquemment fait appel à cette notion et qu’est retenue “la perte de fondement juridique”, notamment dans les hypothèses suivantes :
– en matière d’astreinte, dès lors qu’au regard de l’article 33 de la loi du 9 juillet 1991, cette mesure constitue l’accessoire de la décision dont elle est destinée à assurer l’exécution, la disparition de cette décision entraîne, par voie de conséquence, la perte de fondement juridique ainsi que l’anéantissement des décisions de liquidation de l’astreinte, la jurisprudence allant jusqu’à retenir que cet anéantissement a lieu “de plein droit” et qu’il ouvre droit à restitution des sommes versées en exécution des décisions de liquidation d’astreinte, “fussent-elles même passées en force chose jugée”. Par exemple :
+ L’annulation d’une marque entraîne, de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions de liquidation d’une astreinte, précédemment ordonnée assortissant le jugement faisant défense au contrefacteur de poursuivre ses agissements (arrêt “Haribo”, sur lequel on reviendra plus loin : Civ. 2ème, 6 janvier 2005, Bull. II, n°1, n° 02-15.954 ) :
“Attendu qu’un jugement a dit que la société Haribo Ricqles s’était rendue coupable de faits de contrefaçon de la marque “Halloween” déposée par la société Optos Opus le 1er décembre 1995 et enregistrée sous le n° 95.599.556 et lui a fait défense, sous peine d’astreinte, de poursuivre ses agissements ; que le tribunal qui s’était réservé le contentieux de la liquidation de l’astreinte, a ultérieurement condamné la société Haribo à payer à ce titre à la société Optos Opus une certaine somme ; que la société Haribo ayant relevé appel de cette décision, la cour d’appel a réduit le montant de la condamnation ;
Attendu, cependant, que par arrêt ultérieur du 13 décembre 2002, devenu irrévocable, la cour d’appel de Paris a annulé la marque Halloween litigieuse ; que cette décision entraîne de plein droit pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions de liquidation de l’astreinte ” ;
+ “ la réformation d’une décision assortie d’une astreinte entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte, fussent-elle passées en force de chose jugée, et ouvre, dès lors, droit, s’il y a lieu, à restitution ;” Com., 3 mai 2006, n° 04-15.262, Bull. n° 106 ; Civ. 2ème, 28 septembre 2000, n° 9816175, Bull. n° 134 [58] ;
+ L’infirmation de la décision ordonnant une astreinte entraîne la privation de fondement juridique de la décision l’ayant liquidée (Sociale, 9 novembre 2004, n° 03-43.850) ;
+ L’annulation par le juge administratif d’un arrêté préfectoral entraîne l’annulation de l’arrêt liquidant l’astreinte prononcée en vue de faire respecter les obligations imposées par cet arrêté ( Civ. 2ème, 10 juin 2010, Bull. n° 109, n° 06-17.827) ;
Dans d’autres domaines que celui de l’astreinte, la perte de fondement juridique est aussi admise par la jurisprudence, puisqu’elle procède de la même analyse du lien subséquent, consécutif, accessoire ou de dépendance nécessaire unissant la première et la seconde décision. Ainsi :
– l’annulation du brevet entraîne la mainlevée de la saisie-contrefaçon et la restitution des objets saisis [59] ;
– l’annulation, par le Conseil d’Etat, de deux jugements d’un tribunal administratif ayant condamné un architecte qui avait conçu et surveillé la réalisation d’un ensemble immobilier pour le compte d’un office public d’H.L.M. prive de tout fondement l’arrêt d’une cour d’appel rendu antérieurement à la décision du Conseil d’Etat, et qui avait accueilli l’action directe de l’OPHLM contre l’assureur de l’architecte, de sorte que le paiement effectué par ce dernier au maître de l’ouvrage était indu (Civ. 1ère, 24 juin 1997, Bull. civ. I, n° 212, n° 95-13.885) ;
– se trouve privé de fondement juridique l’arrêt se référant, pour ordonner l’expulsion d’un locataire, à un arrêt ayant résilié le bail consenti à celui-ci alors que la rétractation de cette décision, intervenue sur tierce opposition d’un créancier inscrit, avait effet à l’égard de toutes les parties en raison de la nature indivisible des obligations découlant du bail (Civ. 3ème, 3 novembre 1988, n° 86-18.180, Bull. n° 155) ;
– des décisions consacrent l’effet “de plein droit” de l’anéantissement consécutif non seulement à la cassation, mais aussi à l’infirmation ou la rétractation d’une décision juridictionnelle qui constituait le fondement de la décision anéantie : Civ. 2ème, 13 juillet 2006, n° 04-20.690 ; Civ. 2ème, 13 juillet 2006, n° 04-19.961, 05-12.241 ; Civ. 2ème, 11 mai 2006, n° 04-15.674 ; Civ. 2ème, 6 avril 2006, n° 04-18.648 ;
– un arrêt retient qu’un jugement postérieur ayant privé une partie de la qualité de locataire commercial depuis le 1er août 2006, entraînait de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement de la décision antérieure assortissant d’une astreinte une injonction de non-rétablissement insérée dans le contrat de cession de fonds de commerce et dont l’objet avait disparu ( Civ. 2ème, 7 juillet 2011, n° 10-20.628) ;
– un arrêt rejette un pourvoi contre une décision ayant prononcé la suppression d’une astreinte à la suite de la disparition d’une marque, alors même que cette disparition, pour défaut de renouvellement dans le délai de dix ans, était intervenue antérieurement à l’arrêt prononçant l’interdiction sous astreinte de faire usage de cette marque. (Civ. 2ème, 25 février 2010, n° 09-12.812) :
“Mais attendu qu’ayant relevé que M. V. n’avait pas renouvelé la marque enregistrée le 9 octobre 1994 sous le n° 945.40.598 dans le délai légal de dix ans de sorte que l’interdiction prononcée sous astreinte par l’arrêt du 13 novembre 2007 n’avait plus de fondement légal, c’est sans modifier le dispositif de cette décision que la cour d’appel a prononcé la suppression de l’astreinte” ;
B.- Critiques et solutions doctrinales
Trois positions différentes sont tenues par les auteurs. La première reste hostile à la remise en cause d’une décision de condamnation revêtue de l’autorité de la chose jugée (1). La seconde s’accorde au contraire avec la jurisprudence de la Cour de cassation (2) et se fonde sur la théorie des “faits nouveaux” (a), ou sur celle de la perte de fondement juridique (b). Enfin, sera examinée la solution apportée par le droit de l’Union Européenne à la problématique qui nous occupe (3).
1.- Primauté de l’autorité de la chose jugée
Cette position est appuyée sur la conception rigoureuse de l’autorité de la chose jugée, intimement liée à l’essence même de la justice et à la théorie de l’acte juridictionnel qui est de mettre fin aux litiges : “Le litige, dès lors que les voies de recours sont épuisées, est vidé, tranché une fois pour toutes, ce qui garantit stabilité, sécurité et paix entre les hommes.[60]”. Elle est également tirée de la force obligatoire des jugements ainsi que de la présomption de vérité légale qui leur est attachée et paraît obéir à un impératif de sécurité juridique.
L’arrêt du 12 juin 2007 précité a été désapprouvé par les rares commentaires qu’il a suscités. Privat Vigand [61] critique ainsi cette décision en se référant à l’arrêt d’une juridiction anglaise (Court of appeal, Civil Division) du 25 avril 2007 (Unilin Beheer BV c/ Berry Floor NV) qui, saisie de la même question, a refusé de remettre en cause la décision définitive de condamnation à des dommages-intérêts pour des motifs de sécurité juridique, s’exprimant en ces termes : « Vous ne pouvez défaire quoi que ce soit sans créer de l’incertitude. Et lorsqu’une décision finale a été rendue entre les parties après un procès loyal, elle doit être tenue pour une réponse définitive. (…) Lorsqu’une décision définitive est rendue, les hommes d’affaires doivent pouvoir poursuivre leurs activités en sachant ce qu’il en est » (notre traduction [62]).
La solution retenue par l’arrêt du 12 juin 2007 laisse « circonspect » le professeur Jacques Raynard [63], qui estime que les incidences de l’annulation du brevet sont “limitées par l’autorité de la chose jugée, et le respect des droits des tiers qui en l’occurrence n’étaient pas dans la cause”. Selon lui, cet arrêt excède les limites jurisprudentielles reconnues à l’effet rétroactif de l’annulation du brevet, s’agissant notamment de la question des restitutions des contrats annulés (Com. 28 janvier 2003, précité). Il considère enfin que cette décision “ni ne contribue à la sécurité juridique, ni n’encourage à l’exécution volontaire et rapide des décisions de condamnation”.
Antérieurement à l’arrêt de 2007, les auteurs, auxquels la difficulté n’avait pas échappé, se prononçaient majoritairement en faveur de la prévalence de l’autorité de la chose jugée de la décision de condamnation sur l’effet rétroactif de l’annulation : un contrefacteur définitivement condamné ne devait pas être admis à remettre en cause une telle décision à la suite de l’annulation du brevet pour demander la restitution du montant des dommages-intérêts versés au titre de la réparation du préjudice du breveté [64].
Sans avoir envisagé expressis verbis cette difficulté, dans son article consacré aux effets des jugements en matière de propriété industrielle, Jean Foyer, après s’être demandé ce que devait faire le juge saisi d’une demande en contrefaçon alors qu’une décision d’annulation frappée d’appel ou d’un pourvoi en cassation était pendante devant une autre juridiction, précise que le « législateur [de 1978] a simplement voulu que l’ancien titulaire d’un titre annulé ne s’en serve plus (…) ».[65]
Toutefois, une partie des auteurs rejetant la solution adoptée par la Cour de cassation en 2007, admettent cependant que le contrefacteur condamné puisse reprendre ses actes d’exploitation postérieurement à l’annulation du titre.[66] Cette solution aboutissant à la remise en cause, mais seulement pour l’avenir [67], de l’autorité de la chose jugée par le jugement sur la contrefaçon. Si la décision de condamnation pour contrefaçon est assortie d’une interdiction sous astreinte, J.-P. Stenger suggère, en outre, que le contrefacteur méconnaisse l’interdiction et demande au juge de l’exécution, au moment de la liquidation de l’astreinte, qu’elle soit ramenée à zéro.[68]
Enfin, sans constituer une limite à cette solution de l’irrecevabilité de l’action en répétition de l’indu, Emmanuel Py évoque l’hypothèse dans laquelle le breveté qui, en raison des activités qu’il exerçait, connaissait nécessairement l’existence d’antériorités et ne pouvait se méprendre sur la validité de son brevet, doit être considéré comme ayant engagé ses actions en contrefaçon de mauvaise foi, justifiant sa condamnation pour procédure abusive.[69]
2.- Absence d’autorité de la chose jugée
Ainsi qu’il l’a été relevé plus haut, deux conceptions paraissent de nature à faire produire à l’annulation du brevet un effet rétroactif susceptible, le cas échéant, de mettre en échec des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée : la théorie des faits nouveaux (a) ou la perte de fondement juridique (b).
a.- La théorie des faits nouveaux
Elle est illustrée par l’arrêt précité du 12 juin 2007, dans lequel la Cour de cassation retient que l’annulation du brevet constitue “un fait ou un acte postérieur à la décision modifiant la situation antérieurement reconnue en justice”. Elle a été approuvée par certains auteurs [70].
Elle paraît s’appuyer sur les dispositions de l’article 1351 du code civil subordonnant l’autorité de la chose jugée à la triple identité de parties, d’objet et de cause, cause dont la doctrine admet majoritairement qu’elle est constituée à la fois de faits et de règles juridiques [71]. La très grande majorité de la doctrine considère ainsi qu’il n’y a pas, en principe, d’identité de cause lorsque s’est produit un fait nouveau postérieurement à la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée.[72]
Il s’en déduit que seuls des faits postérieurs à la première décision et modifiant la situation juridique consacrée par celle-ci peuvent combattre l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision. Selon H. Motulsky : “La question litigieuse, au regard de la chose jugée, c’est tout point qui a été débattu contradictoirement entre les parties. […..]. L’interdiction de retourner devant le juge est, en principe, limitée aux facteurs qui ont été débattus devant le tribunal et tranchés par lui”.[73]
Il paraît en découler que, sous certaines conditions, l’autorité de la chose jugée cède devant un moyen de fait nouveau [74], alors qu’un moyen de droit nouveau, en application de la jurisprudence dégagée par l’arrêt Cesareo [75], se heurtera inexorablement à cette autorité, le tout, évidemment, en cas d’identité de parties et d’objet.
Les faits et actes nouveaux ne peuvent se voir opposer l’autorité du jugement passé puisqu’ils n’entraient pas dans son périmètre, n’ayant pas pu, par définition, être connus des parties qui n’ont pu les invoquer, de sorte qu’ils n’ont pas été débattus devant le premier juge qui n’a donc pas pu les prendre en considération. Plus précisément, les faits sont, par définition, contingents et nouveaux : ils n’existaient pas au moment du premier jugement ou arrêt (changement de conditions de vie d’un enfant, aggravation d’un préjudice…). Les actes sont des événements non contingents, mais postérieurs, qui échappent à la volonté des parties, l’autorité de la chose jugée ne garantissant pas seulement l’autorité de la juridiction qui a rendu la décision définitive, mais protégeant aussi la partie gagnante.
Le fait nouveau modifie la cause de l’action, de sorte qu’il peut être soutenu qu’il n’y a pas identité entre la seconde demande et celle qui a été tranchée par le premier jugement. Il en découle que la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée par le premier jugement ne semble pas pouvoir être opposée à la seconde action.
b.- La perte de fondement juridique
Elle peut être définie comme le mécanisme aboutissant à l’anéantissement rétroactif d’un jugement à la suite de la disparition ou de la modification profonde de la situation juridique en considération de laquelle il a été rendu. Ainsi, un jugement est rétroactivement réduit à néant en raison de la destruction, après qu’il ait été rendu, d’une règle ou d’un acte sur lequel il reposait.
L’élément dont la disparition provoque la perte de fondement juridique peut être :
– un acte juridique (acte administratif, annulation d’une marque ou d’un brevet) ;
– une décision de justice (judiciaire ou administrative) ;.
– une règle de droit (annulée rétroactivement par le législateur).
Si le code de procédure civile n’utilise pas l’expression de perte de fondement juridique, l’alinéa 2 de son article 625 prévoit, comme corollaire de la cassation de la décision attaquée, un mécanisme qui procède du même principe, désigné par l’expression “annulation par voie de conséquence” des décisions qui sont “la suite, l’application ou l’exécution” de la décision cassée ou qui s’y rattachent “ par un lien de dépendance nécessaire”.
Outre l’anéantissement d’une décision juridictionnelle servant de fondement à d’autres décisions, la perte de fondement juridique peut provenir de l’anéantissement d’une règle de droit. C’est le cas d’une nouvelle loi applicable rétroactivement tant aux instances en cours qu’aux situations antérieures à sa publication.[76]
C’est également le cas lorsque le législateur instaure une procédure spéciale comme celle instituée par les articles L. 12-5 et R. 12-5-1 du code de l’expropriation qui prévoient qu’ “en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale”.
Mais on notera que dans ces deux dernières hypothèses, la perte de fondement ne pourra être invoquée que dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours contre la décision dont l’anéantissement est demandé.
Ainsi, dans les cas envisagés ci-dessus, la perte de fondement juridique constitue un cas d’ouverture d’une voie de recours, qui « atteint l’arrêt qui était parfaitement légal au jour de son prononcé, et puise sa source dans un fait postérieur à l’arrêt, tel que la promulgation d’une nouvelle loi, déclarée applicable aux instances en cours devant la Cour de cassation, ou l’annulation d’une décision administrative ou judiciaire sur laquelle se fondait l’arrêt » [77]. La perte de fondement juridique doit, en conséquence, être distinguée du manque de base légale, qui constitue lui-même un cas d’ouverture à cassation, mais qui concerne une toute autre hypothèse : celle où, dès son prononcé, l’arrêt n’est pas conforme à la règle de droit en raison de l’insuffisance de sa motivation.
Il ne s’agit là que de l’une des hypothèses possibles de perte de fondement juridique consécutive à la disparition d’une décision juridictionnelle. Hors de ces fondements textuels, la jurisprudence a, de manière prétorienne, élargi son domaine, la cassation, la volonté du législateur ou celle du pouvoir réglementaire n’étant pas les seules causes de cette disparition, cette dernière pouvant aussi résulter d’une infirmation, d’une annulation ou d’une rétractation, notamment à la suite d’une tierce opposition.
Dans la matière qui nous occupe, il revient d’ailleurs sous la plume des auteurs [78] ou dans la motivation des juges du fond, que l’annulation du brevet prive de fondement l’action en contrefaçon.
Avec le professeur Le Bars [79], il peut donc être retenu que l’anéantissement pour cause de perte de fondement juridique peut être mis en oeuvre selon trois modalités différentes :
– être prononcé ou constaté à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours classique contre la décision à anéantir, en cas, notamment, d’application d’une loi rétroactive détruisant la règle de droit antérieure, le juge devant alors constater la perte de fondement juridique opérée par la nouvelle norme ;
– être prononcée ou constatée dans le cadre d’une voie de recours spéciale, comme celle prévue par l’article L. 12-5 précité [80] ;
– avoir lieu de plein droit, soit en application de l’article 625 du code de procédure civile qui ne trouve toutefois application qu’à hauteur de cassation, soit sous l’effet de la rétractation ou de l’infirmation d’une décision, comme l’admet une jurisprudence que nous qualifierons de prétorienne.
Il convient de souligner que la très grande majorité des cas d’anéantissement de jugements admis par la jurisprudence “prétorienne” pour cause de perte de fondement juridique résultent de l’infirmation ou de la rétractation de la décision juridictionnelle qui en constituait le fondement. Dans des hypothèses, beaucoup moins nombreuses, cette perte résulte de l’anéantissement d’actes juridiques. En revanche, aucun cas de perte fondé sur la survenance d’un simple fait juridique n’a été recensé.
Cette jurisprudence prétorienne a été critiquée aux motifs qu’elle porte atteinte à l’autorité de la chose jugée et que les solutions auxquelles elle aboutit sont de nature à créer une grande insécurité juridique [81].
Selon la doctrine, l’admission “prétorienne” de la perte de fondement juridique se heurte à plusieurs objections :
– Elle n’est fondée sur aucune base textuelle expresse ;
– Elle fait perdre de plein droit -et ce en dehors même de l’exercice d’une voie de recours-, leur autorité de chose jugée à des décisions, quelle que puisse être leur ancienneté, et alors que celles-ci ne sont plus susceptibles de quelque recours que ce soit.
Commentant l’arrêt précité du 24 juin 1997 (Civ. 1ère, Bull. n° 212 [82]), G. Wiederkehr [83] estime que la Cour de cassation “fait litière de l’autorité de la chose jugée”, soulignant qu’en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt attaqué, “la Cour de cassation annule un autre arrêt qui ne lui était pas et qui ne pouvait pas lui être déféré.”, reprochant à la Cour suprême “d’affirmer qu’il [l’arrêt attaqué] est bien fondé, même s’il contredit un arrêt irrévocable, parce qu’il n’y a plus lieu de tenir compte de la chose jugée par ce dernier.” Il estime enfin que “si l’on tire toutes les conséquences de la motivation de l’arrêt du 24 juin 1997, l’autorité de la chose jugée n’existe plus et la justice ne met plus fin aux litiges qui peuvent toujours renaître de leurs cendres”.
– L’automatisme des effets “de plein droit” de la perte de fondement juridique retenu par l’arrêt “Haribo” (Civ. 2ème, 6 janvier 2005, Bull. n° 1 [84]) apparaît critiquable à T. Le Bars à plusieurs titres :
+ il permet, sans limitation de durée, la remise en cause de décisions irrévocables, en autorisant qu’un jugement, contre lequel aucune voie de recours n’a été formée, perde toute force obligatoire, de nombreuses années plus tard, à la faveur de l’annulation judiciaire d’un acte ou d’une précédente décision sur lequel il était fondé. “L’irrévocabilité devient une vue de l’esprit et toute décision de justice est désormais rendue sous la condition implicite que dans les trente ans à venir, elle ne perdra pas rétroactivement un de ses fondements. Une telle solution [….] est source d’une grave insécurité juridique [85]”.
+ il méconnaît la règle instituée par l’article 460 [86] du code de procédure civile, qui exige que toute remise en cause d’une décision de justice passe par l’exercice d’une voie de recours [87].
Certains auteurs relèvent encore que le législateur, comme le juge, paraissent en cette matière procéder au cas par cas, sans que soient fixées de limites au champ d’application de la théorie qu’ils mettent en oeuvre et dont ils s’inquiètent de l’extension possible. Ils estiment en effet que rien n’empêche d’appliquer la théorie de la perte de fondement juridique au domaine des actes juridiques privés, actes unilatéraux ou contrats et ne voient pas ce qui pourrait s’opposer à ce que la résolution d’un contrat emporte perte de fondement d’un jugement rendu quelques années plus tôt sur la base même des dispositions de ce contrat.[88]
Il a toutefois été fait remarquer que la solution inverse, qui fait prévaloir l’autorité de la chose jugée attachée à la première décision, n’est pas non plus satisfaisante, à plus d’un titre :
– elle paraît heurter le bon sens et l’équité, (comment, dans notre cas d’espèce, faire admettre, en sens commun, qu’une personne, dont il est irrévocablement jugé qu’elle n’est pas un contrefacteur, puisse néanmoins continuer d’être tenue vis-à-vis d’une autre personne, dont il est aussi irrévocablement jugé qu’elle n’est pas le breveté, au titre d’une condamnation prononcée sur le fondement même de la constatation de cette contrefaçon) ?
– elle aurait pour effet de multiplier les voies de recours en vue d’éviter que les décisions ne deviennent définitives ;
– elle priverait de toute effectivité la décision d’annulation intervenue postérieurement. [89]
Des auteurs [90] admettent l’extension, par analogie, de la règle posée par l’article 625 du code de procédure civile aux autres hypothèses d’anéantissement d’un fondement juridique lorsque ce dernier réside dans un jugement, mais estiment souhaitable de bannir l’automatisme des effets de la perte de fondement juridique quand celle-ci consisterait dans la disparition d’un acte autre qu’un jugement ou un arrêt.
Une solution pourrait peut-être consister à donner une base textuelle à la perte de fondement juridique en la faisant figurer, comme telle, au nombre des cas d’ouverture du recours en révision prévus par l’article 595 du code de procédure civile. Les parties disposeraient alors, en application de l’article 596 du même code, d’un délai de deux mois pour agir à compter de la date où elles ont eu connaissance de cette cause de révision. Ainsi pourraient être ménagées à la fois l’autorité de la chose jugée de la première décision et la règle posée par l’article 460 du même code.
Enfin, le professeur Mathély considère que le conflit entre la décision d’annulation d’un brevet postérieure à une condamnation irrévocable pour contrefaçon pourrait être résolu par le pourvoi en cassation pour contrariété de décisions, prévu par l’article 618 du code de procédure civile, ce qui aboutirait à l’annulation de l’une d’elles [91]. Il peut être toutefois permis de douter de la pertinence de cette solution en l’espèce, dès lors que, d’une part, l’inconciliabilité au sens de ce texte est définie, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, comme l’impossibilité d’exécuter simultanément les deux décisions [92], sans qu’il suffise que celles-ci statuent différemment à propos d’un même fait [93] et que, d’autre part, le présent pourvoi n’est pas dirigé à la fois contre les deux décisions prétendument inconciliables, comme paraît l’exiger l’article 618 précité.
3.- Le droit de l’Union Européenne
Il prévoit que l’effet rétroactif de la nullité d’une marque communautaire ou d’un dessin ou modèle communautaire peut affecter les décisions statuant sur la contrefaçon de cette marque ou de ce dessin ou modèle ayant acquis l’autorité de la chose jugée, sous réserve toutefois que ces décisions n’aient pas été exécutées antérieurement à la décision de nullité [94]. La même règle figurait dans le projet de convention pour la création d’un brevet européen, qui n’a finalement pas vu le jour.[95]
Une telle disposition, outre qu’elle semble ne pouvoir être introduite dans notre droit positif que par la volonté du législateur, paraît être de nature à inciter toute partie condamnée à retarder autant que possible l’exécution de la condamnation dans l’espoir d’une annulation du brevet. Elle peut, par ailleurs, sembler choquante sur le plan des principes dès lors qu’elle tend à faire dépendre l’autorité de la chose jugée d’une décision du seul critère d’exécution de celle-ci.
En outre, est-il acceptable, notamment au regard du principe d’égalité, que le sort de la partie condamnée dépende de la rapidité -donc de la bonne foi dont elle a fait preuve- avec laquelle elle a réglé les dommages-intérêts alloués au titulaire du brevet. Est-il admissible, enfin, que deux défendeurs, condamnés à la même date – voire par le même jugement – pour la contrefaçon d’un même brevet puissent être, l’un, autorisé à ne pas exécuter la décision de condamnation, l’autre, irrecevable à réclamer la restitution des sommes versées en exécution de sa condamnation ?
Nombre de projets préparés : il est proposé à l’assemblée plénière trois projets, avec variantes.
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1) Sur la problématique de la tierce opposition en la matière, voir Emmanuel Py, JurisClasseur Brevets, « Annulation du brevet », Fasc. 4495, avril 2011, n° 158 et 159. M. Py est l’auteur d’une thèse récente sur l’annulation du brevet : L’annulation du brevet d’invention. Les apports du droit judiciaire privé et de la théorie des nullités, thèse, Strasbourg, 2008.
2) CA Paris, 17 déc. 1997 : PIBD 1997, n° 644, III, p. 633, pour un certificat d’addition ; cour d’appel Paris, 4e ch., 18 mai 1989 : RD propr. intell. 26/1989, p. 72, pour un certificat d’utilité ; cité par Emmanuel Py, op. cit., n° 149.
3) P. Mathély, Le nouveau droit français des marques, J.N.A., 1994, p. 242.
4) Jean Foyer, « Effets des jugements et autorité de la chose jugée en matière de propriété industrielle », Mélanges Paul Mathély, Litec, 1990, p. 160. Jean Foyer et Michel Vivant, Le droit des brevets, Thémis, PUF, 1991, p. 250-252.
5) “Si l’on s’en tient aux règles du droit civil sur les effets de la chose jugée, le jugement ne sera susceptible d’être invoqué que par les parties, les héritiers ou ayants cause, en sorte que le procès pourra toujours renaître avec les tiers, sans qu’aucune décision vienne jamais assurer au public ou au breveté la paisible jouissance de leurs droits.” A. Cunin-Gridaine, ministre du commerce, lors de l’exposé des motifs du projet de loi sur les brevets d’invention, Chambre des Pairs, 10 janvier 1843.
6) Jean Foyer, op. cit., p. 159-161. Jean Foyer et Michel Vivant, op. cit., p. 252. Paul Mathély, Le nouveau droit français des brevets d’invention, LJNA, 1991, p. 388.
7) Par ex., T. Com. Seine 31 juillet 1931, API, 1933, 29 ; CA Paris, 9 mai 1979 : PIBD 1979, n° 245, III, p. 362 ; Dossiers brevets 1979, III, p. 4.
8) Jean Foyer, op. cit., p. 162.
9) En matière de filiation, la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 a introduit un article 311-10 dans le code civil (actuel article 324 du code civil) disposant que les jugements rendus en cette matière ont un effet erga omnes. La loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 a introduit une disposition équivalente en droit de la nationalité (Ibid., p. 157-158, 162-163).
10) Cette confusion entre opposabilité d’un droit et autorité de la chose jugée, que souligne J. Foyer dans cet article, est générale, même si ses conséquences néfastes sont particulièrement visibles en matière d’état des personnes et de droit réel dont l’auteur rappelle la définition donnée par Planiol d’« obligation passivement universelle » (Ibid., p. 158).
11) Proposition Jean Foyer, n° 2902, annexée au PV de la séance du 18 mai 1977, cité par E. Py, op. cit.1, n° 144.
12) Jean Foyer, op. cit., p. 157-158, 163.
13) Par ex., Paul Mathély, op. cit., p. 388. J. M. Mousseron et A. Sonnier, Le droit français nouveau des brevets d’invention, préf. J. Foyer, Litec, 1978, coll. CEIPI, n° 136, p. 131. A. Maurand-Sonnier, Objectifs, moyens et résultats de la réforme de 1978-1980, thèse Montpellier, 1981 n° 480 à 484, p. 469 à 473 (cité par E. Py, op. cit., n°146).
14) Jean-Pierre Stenger, JurisClasseur Brevets, Fasc. 4641, janv. 2010, n°11.
15) Emmanuel Py, op. cit., n° 143.
16) D. Landraud, « Une remise en ordre des notions d’autorité relative de la chose jugée et d’opposabilité en matière de nullité de marques », JCP E 1986, I, 15691, p. 322. Dans le même sens, J. Duclos, L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, LGDJ, 1984, Bibl. dr. privé, t. 179, n° 122, p. 147 (cité par E. Py, op. cit., n°147).
17) Emmanuel Py, op. cit., n° 152. F. Pollaud-Dulian, La propriété industrielle, Economica, coll. Corpus droit privé, 2011, n° 2, n° 496, p. 212. J. Azéma et J.-Ch. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, 2006, n° 543, p. 300.
18) Favraud c/ Wood Milne Hutchinson Mapa, Moules Industries Services et Fédération Nationale de l’Industrie de la chaussure de France : PIBD 1987, n° 417, III, p. 307.
19) Y. Reboul cité par J. Foyer, op. cit, p. 164.
21) Emmanuel Py, op. cit., n° 160 : cour d’appel Paris, 4e ch., 12 févr. 1991 : PIBD 1991, n° 503, III, p. 397.
22) D’ailleurs, les critiques doctrinales de cette solution vont dans le sens d’une conception plus large du périmètre de l’autorité de la chose jugée qui aboutirait pratiquement aux mêmes effets qu’une annulation (J. M. Mousseron, Traités des brevets, Litec, 1984, coll. CEIPI, n° 1028, p. 989, note 53. Voir également, J.-P. Stenger, op. cit., n° 9).
23) Emmanuel Py note en outre que « La jurisprudence retient de façon constante que l’invocation de nouvelles antériorités au titre du défaut de nouveauté ne modifie pas la cause de la demande qui se heurte donc à l’autorité de chose jugée de la précédente décision de rejet : Cass. com., 4 avr. 1889, Glémet c/ Tascher : Ann. propr. ind. 1890, p. 65 » (op. cit., n°160).
24) Py, op. cit., n° 150. P. Mathély, op. cit., p. 389. Contra, J.-C. Galloux, op. cit., n° 436, p. 176 ; J. Azéma, op. cit., n° 1841.
25) Com., 20 janv. 1987, Conforglace c/ Miroiterie Voironnaise H. Héritier : PIBD 1987, n° 410, III, p. 149, cité par E. Py, op. cit., n° 151. Cour d’appel Lyon, 1re ch., 28 mai 1985 : PIBD 1985, n° 372, III, p. 198 ; D. 1986, somm. p. 134, J. M. Mousseron et J. Schmidt ; RTD com. 1985, p. 752, note Azéma.
26) Jean-Pierre Stenger, op. cit., n° 17.
27) E. Py, op. cit., n° . J.-C. Galloux, Droit de la propriété industrielle, Dalloz, 2000, n° 424, p. 144. J. Azéma, op. cit., n° 1840, p. 848. De même, Jean Foyer ne lie-t-il pas la rétroactivité avec l’effet absolu dans son étude sur les effets des jugements d’annulation en droit de la propriété industrielle (op.cit.). Sur la position de la Cour de cassation à ce sujet, voir Infra II. A.
28) Paul Mathély, op. cit., p. 389.
29) P. Malaurie, L. Aynes et P. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., n° 716-730., p. 355-366.
30) Civ. 3ème, 22 juin 2005, Bull. n° 143, n° 03-18.624 ; Civ. 3ème, 2 octobre 2002, n° 01-02.924 ; Civ. 1ère, 15 mai 2001, Bull. n° 133, n° 99-20.597.
31) Jojon c/ Masselin et Chambrin : PIBD 1981, III, p. 236. Sur la question de la portée de l’annulation s’agissant d’un contrat portant sur un ou plusieurs brevets non totalement annulés, v. Emmanuel Py, op. cit., n° 167.
32) Emmanuel Py, op. cit., n° 140.
33) J. Schmidt-Szalewski et J.-L. Pierre, op. cit., n° 259, p. 105.
34) J. Azéma et J.-Ch. Galloux, op. cit., n° 473 ; cité par E. Py, op. cit., n° 168.
35) Emmanuel Py, op. cit., n°147. Voir également : L’annulation du brevet d’invention. Les apports du droit judiciaire privé et de la théorie des nullités, op. cit., n° 1682 et s., p. 611 et s.
36) New Holland France c/ Greenland France : Propr. industr. 2003, comm. 36, J. Raynard.
37) Dans l’hypothèse de l’incidence de la révocation d’un brevet devant l’OEB sur un contrat de sous-licence, cf. Cour d’appel Paris, 4e ch., 11 mai 2007 : PIBD 2007, n° 856, III, p. 477.
38) Emmanuel Py, op. cit., n° 160.
39) Ibidem. F. Pollaud-Dulian, op. cit., n° 540, p. 298-299 ; Civ. 3ème, 24 juin 2009, pourvoi n° 08-12.251, Bull. n° 155 ; Ch. Mixte, 9 novembre 2007, pourvoi n° 06-19.508, Bull. n° 10.
40) P. Malaurie, L. Aynes et P. Stoffel-Munck, op. cit., n° 724, p. 362. F. Pollaud-Dulian, op. cit.
42) Ibid., n° 173 ; J. Foyer et M. Vivant, p. cit., p. 430. – J.-C. Galloux, op. cit., n° 584, p. 232. Emmanuel Py évoque également, pour illustrer les conséquences de l’annulation d’un contrat de licence consécutivement à l’annulation d’un brevet, une affaire célèbre « opposant les sociétés Samex et Plymouth, l’annulation d’un brevet avait entraîné celle du contrat de licence l’ayant pour objet et avait permis à la société Plymouth de recouvrer la propriété d’un brevet de perfectionnement qui revenait contractuellement à la société Samex. La décision d’annulation eut encore des conséquences lorsque la société Samex, à une époque où elle pouvait se considérer comme le titulaire légitime du brevet, intenta une action en contrefaçon à l’encontre de trois concurrents. Alors que la décision de première instance avait fait droit à la demande en contrefaçon, la cour d’appel l’infirma au motif que l’arrêt définitif du 5 juillet 1995 produisant ses effets rétroactivement, le brevet [est] considéré comme ayant toujours appartenu à Plymouth » (E. Py, op. cit., n° 170 ; cour d’appel Paris, 4e ch., 20 sept. 2002 : Propr. intell. 2003, n° 4, p. 193, note B. Warusfel.).
43) Ghestin-Billiau-Loiseau, Traité de droit civil “le régime des créances et des dettes”, LGDJ 2005, p. 835, n° 803 ; Terré-Simler-Lequette “Les obligations” 10° édition Dalloz, n° 1051, p. 1048 ; Flour-Aubert-Savaux, Les obligations 2. Le fait juridique 13° édition, Sirey 2009, n° 23, p. 27 ; Douchy-Oudot “Répétition de l’indu” Rép. Civ. Dalloz mars 2004, n° 26 et s. ; Civ. 1°, 24 juin 1997, Bull. civ. I, n° 212 ; Civ. 1°, 20 janvier 1998 Bull. Civ. I, n° 18 ; Sociale, 16 mai 2000, Bull. civ. V, n° 185 ;
45) E. Py, op. cit., n° 166, citant les jurisprudences suivantes : Cass. com., 4 mars 1986, Scrit et Ses c/ Piquard : Dossiers brevets 1986, V, p. 1. ; tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 7 nov. 1984 : PIBD 1985, n° 363, III, p. 73 ; c.a. de Paris, 19 oct. 1994 : PIBD 1995, n° 580, III, p. 25 ; tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 5 déc. 1997 : PIBD 1998, n° 651, III, p. 194 ; tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 30 avr. 1998 : RD propr. intell. 89/1998, p. 28 ; CA Lyon, 1re ch., 5 oct. 2000 : PIBD 2001, n° 717, III, p. 168 ; TGI Paris, 3e ch., 9 janv. 2001 : PIBD 2001, n° 723, III, p. 331.
46) E. Py, op. cit., n°154, citant les décisions de justices suivantes : tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 9 déc. 1980 : PIBD 1981, n° 274, III, p. 42. – tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 26 avr. 1984 : PIBD 1984, n° 356, p. 256. – tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 25 nov. 1986 : PIBD 1987, n° 408, III, p. 108. – tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 20 mars 1987 : PIBD 1987, n° 417, III, p. 311. – C.a. Paris, 4e ch., 29 sept. 1993 : PIBD 1994, n° 557, III, p. 5. – Cour d’appel Paris, 4e ch., 24 mai 1994 : PIBD 1994, n° 575, III, p. 49
47) Cf. conclusions de M. Wehrkamp-Richter devant la c.a. de Grenoble du 6 avril 2010, p. 9, trois derniers paragraphes et conclusions de M. Guitay devant la même cour, p. 4, dernier § et p. 5, 1er §.
48) E. Py, op. cit., n° 165 ; J. Azèma et J.-Ch. Galloux, op. cit., n° 426, p. 266. Contra, J. M. Mousseron, op. cit., n° 1028, p. 990, note 55.
49) PIBD 1998, n° 653, III, p. 237 ; RD propr. intell. 67/1998, p. 22 ; c.a. Paris, 4e ch., 29 sept. 1995 : Dossiers brevets 1995, III, p. 10 ; PIBD 1995, n° 600, III, p. 95.
51) Normalu c/ Scherrer et Newmat ; PIBD 2007, n° 858, III, p. 521 ; Propr. industr. 2008, comm. 1, P. Vigand.
52) PIBD 2005, n° 806, III, p. 229 ; Propr. industr. 2008, comm. 1, P. Vigand : ainsi, la cour affirme-t-elle que les revendications opposées au titre de la contrefaçon, “objet du jugement du 4 décembre 2001 statuant sur les dommages-intérêts après expertise, ayant été annulées, la procédure d’indemnisation du préjudice se trouve dès lors, en raison de la nullité de ses revendications, privée de tout support juridique . E. Py, op. cit., n°164.
53) My Healthcare c/ Rotanotice : PIBD 2009, n° 901, III, p. 1255.
54) V., par ex. : Civ.1°, 22 oct.2002, Bull.I, n° 234, pourvoi 00-14.035 ; Civ.2°, 3 juin 2004, Bull. II, n° 264, pourvoi 03-14.204 ; Civ.3°, 25 avr. 2007, Bull. III, n° 59, pourvoi 06-10.662 ; Com., 3 avr. 2007, pourvoi 05-12.781 ; 12 juin 2007, Bull. IV, n° 158, pourvoi 05-14.548 ; Civ. 2°, 6 mai 2010 Bull. II n° 88, pourvoi n° 0914.737 ; Civ. 2° 13 janvier 2011, pourvoi n°09-16.546.
55) Civ.2°, 6 mai 2010, pourvoi n° 09-14.737.
56) Civ.2, 9 avril 2009, pourvoi 08-10.964 ; Civ. 2° 10 juillet 2008, pourvoi n° 07-14.620.
57) Ces termes sont également utilisés ( cf. notamment : Civ. 2°, 6 mai 2010, Bull. II n° 88 ; Civ. 2ème juin 2004, n° 03-14.204 ; Sociale, 18 février 2003 n° 01-40.978).
58) R. Perrot, obs. sous Civ. 1ère, 6 janvier 2005, Procédures, avril 2005, comm. N° 84.
59) E. Py, op. cit., n°166 , citant un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 déc. 1997, : PIBD 1998, n° 651, III, p. 194.
60) J. Carbonnier, Droit Civil, introduction, Thémis, PUF, n° 192
61) P. Vigand, obs. sous Com. 12 juin 2007, Propriété industrielle, n° 1, janv. 2008, comm. 1.
62) “You cannot unravel everything without creating uncertainly. And where a final decision has been made on a fair contest between the parties, that should stand as the final answer between them. (…) After a final decision businessmen should be able to get on with their businesses, knowing what the position is.” (§§ 45 et 46).
63) J. Raynard, obs. sous Com.10 juin 2007, D. 2008, p. 745
64) J.-C. Galloux, op. cit., n° 436, p. 176. J. Azéma, op. cit., n° 1841 (cette édition est postérieure à l’arrêt du 12 juin 2007, mais n’y fait pas référence). Yves Reboul et Emmanuel Py, JurisClasseur Brevets, « annulation du brevet », Fasc. 4495, août 2002, n° 145. E. Py semble maintenir la désapprobation de la solution contraire retenue en 2007 (op. cit., n°164). Egalement Jean-Pierre Stenger, op. cit., n°17, qui ne fait pas non plus référence à l’arrêt du 12 juin 2007.
65) J. Foyer, op. cit., p. 165, in fine.
66) E. Py, op. cit., n° 165. J. Azèma et J.-Ch. Galloux, op. cit., n° 426, p. 266. Contra, J. M. Mousseron, op. cit., n° 1028, p. 990, note 55.
68) J.-P. Stenger, op. cit., n° 17.
69) E. Py, op. cit., n° 174, citant : cour d’appel Lyon, 1re ch., 2 juill. 1998 : RD propr. intell. 114/2000, p. 28 ; Dossiers brevets 1998, III, p. 3. Cour d’appel Paris, 4e ch., 29 juin 2005 : PIBD 2005, n° 815, III, p. 535, plus spécialement à propos de l’abus d’exercice du droit d’appel.
70) F. Pollaud-Dulian, op. cit., p. 299.
71) En ce sens notamment : J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé Montchrestien, 4ème éd. n° 335 ; G. Cornu et J. Foyer, p. 525-526 ; Cf aussi art. 56 du code de procédure civile : “objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit”,
72) N. Fricéro, « Autorité du jugement », Dalloz action Procédure civile 2009/2010, n°421-120 et 421-121 ;
G. Wiederkehr “Chose jugée” Rép. Proc. Civile Dalloz mars 2004, n° 271 et s. ; Cédric Bouty, “Chose jugée”, Répertoire Pr. Civ., Dalloz, janvier 2009, n° 544 et s. ; Mélina Douchy-Oudot “Autorité de la chose jugée” Jurisclasseur Civil art. 1349 à 1353, Fasc. 20, n° 182 et s. ;
73) H. Motulsky “Ecrits, Etudes et notes de procédure civile” éditions Dalloz 2010, n° 37, p. 226 et n° 48, p. 234 ;
74) Ce que ne peuvent être : un fait antérieur à la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, Civ. 2°, 9 avril 2009, pourvoi n° 08-10.964 ; un moyen de preuve nouveau : Civ. 1°, 25 février 2009, n° 07-19.761 ; Civ.3°, 19 sept. 2007, Bull. III, n° 146, pourvoi n° 06-11.962. ; ou une jurisprudence apparue postérieurement : Civ. 2°, 5 février 2009, Bull. II, n° 33, n° 08-10679 .
75) Cass. Ass. plén. 7 juillet 2006, Bull. n° 8, pourvoi n° 04-10672 ;
76) Cf., par ex., l’art. 47 de la loi 85-677 du 5 juillet 1985 qui prévoit que certaines de ses dispositions s’appliqueront dès la publication de la loi, même aux accidents ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette publication, y compris aux affaires pendantes devant la Cour de cassation. Elles s’appliqueront également aux accidents survenus dans les trois années précédant cette publication et n’ayant pas donné lieu à l’introduction d’une instance.
77) J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz action, 2009-2010, n° 76 et s.
78) E. Py, op. cit.,n° 166 ; F. Pollaud-Dulian, op. cit., p. 299 ; Jean Foyer, op. cit.
79) Thierry Le Bars, « La perte de fondement juridique en droit judiciaire privé », in Le nouveau Code de procédure civile (1975-2005), Economica, 2006, p. 270 et s.
80) par ex. : Civ. 3ème, 26 mai 2010, n° 09-68.079 ; 17 décembre 2008, n° 07-17.739 ; 5 décembre 2007, n° 06-70.003 ;
81) G. Wiederkehr, « Autorité de chose jugée, perte de fondement juridique, cassation par voie de conséquence », RGDP 1998, p. 320, cité par J. et L. Boré, op. cit., n° 76.44, p. 406.
82) Par lequel la Cour de cassation approuve une cour d’appel de retenir que l’annulation, par le Conseil d’Etat de deux jugements du tribunal administratif ayant condamné un architecte qui avait conçu et surveillé la réalisation d’un ensemble immobilier pour le compte d’un OPHLM prive de tout fondement l’arrêt d’une cour d’appel rendu antérieurement à la décision du Conseil d’Etat, et qui avait accueilli l’action de l’office d’habitation à loyer modéré contre l’assureur de l’architecte (cf. rapport, p. 19).
83) G. Wiederkehr, Revue générale des procédures, avril-juin 1998, p. 320 et s.
86) Art. 460 : “La nullité d’un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours prévues par la loi.”
87) L. Cadiet E. Jeuland, Droit judicaire privé 6ème éd. Litec n° 799, p. 545 ; Droit et Pratique de la procédure civile, Dalloz action 2009/2010, n° 163.211 et s.
88) Thierry Le Bars, op. cit., p. 277 et 278 ; J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz action, 2009-2010, n° 76-31.
90) Th. Le Bars, op. cit., p. 292 et 293 ; J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz action, 2009-2010, n° 76-44, p. 406-407.
91) P. Mathély, op. cit., p. 390.
92) Civ. 1ère, 29 juin 2011, n° 1016331 ; Civ. 2ème, 15 avril 2010, n° 0966508 ; Civ. 3ème, 13 octobre 2009, n° 0814465 ;
93) Civ. 2ème, 7 novembre 1994, Bull. n° 219
94) L’article 55, paragraphe 3, sous a), du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JOUE L 71, p. 1) dispose que : « Sous réserve des dispositions nationales relatives soit aux recours en réparation du préjudice causé par la faute ou la mauvaise foi du titulaire de la marque, soit à l’enrichissement sans cause, l’effet rétroactif […] de la nullité de la marque n’affecte pas […] les décisions en contrefaçon ayant acquis l’autorité de la chose jugée et exécutées antérieurement à la décision[…] de nullité ».
Le Règlement sur les dessins ou modèles communautaires (Règl. CE 6/2202, 12 décembre 2001) comporte des dispositions analogues en son article 26 qui traite des effets de la nullité du modèle communautaire.
95) – La Convention – avortée – de Luxembourg sur le brevet communautaire, disposait en son article 35 que : « sous réserve des dispositions nationales relatives soit au recours en réparation du préjudice causé par la faute ou la mauvaise foi du titulaire du brevet soit l’enrichissement sans cause, l’effet rétroactif de la révocation ou de la nullité du brevet n’affecte pas :
– a) les décisions en contrefaçon ayant acquis l’autorité de la chose jugée et exécutées antérieurement à la décision de révocation ou de nullité ;
– b) les contrats conclus antérieurement à la décision de révocation ou de nullité dans la mesure où ils ont été exécutés antérieurement à cette décision (…) ».
Avis de Monsieur Le Premier avocat général, Laurent Le-Mesle
- Arrêt n° 604 du 17 février 2012 (10-24.282) – Cour de cassation – Assemblée plénière
- Rapport de M. André, conseiller
C’est sur une question latente depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1978, mais dont les évolutions jurisprudentielles de la dernière décennie ont modifié les termes, qu’en renvoyant devant l’Assemblée plénière le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 8 juin 2010 par la cour d’appel de Grenoble, la chambre commerciale de votre cour vous invite à vous pencher.
La réponse que vous y apporterez dépassera le cadre du droit des brevets car en vous demandant si les sommes versées en exécution d’une décision irrévocable de condamnation pour contrefaçon d’un brevet doivent être restituées lorsque le brevet a été annulé par une décision postérieure vous ne vous interrogerez pas seulement sur la portée de l’annulation prononcée et sur l’éventuelle rétroactivité de celle-ci mais vous serez nécessairement conduits à préciser aussi le contenu et les conséquences de principes essentiels comme l’autorité de la chose jugée ou la perte de fondement juridique, ou encore à apporter une nouvelle pierre à la définition du fait ou de l’acte postérieur à une décision modifiant la situation antérieurement reconnue en justice.
La situation qui vous est soumise (1ère partie) permet, en effet, de revisiter toutes ces notions. C’est à la lumière de celles-ci que doit être examinée votre jurisprudence actuelle (2ème partie), jurisprudence dont le sort que vous réserverez à ce pourvoi, permettra de mesurer l’évolution (3ème partie). En effet, suivant que vous casserez l’arrêt déféré ou bien que vous refuserez de le censurer, c’est à l’aboutissement ultime de celle-ci ou, au contraire, à son infléchissement dans le sens souhaité par une doctrine majoritaire que l’on assistera.
I- Faits, procédure et pourvoi
Monsieur Y…, inventeur, a déposé différents brevets relatifs à des appareils mettant en oeuvre un procédé technique reproduisant un massage. Il a vendu deux de ceux-ci (datant de 1985 et 1987) à une société LPG Systems qui les a exploités dans le cadre de la commercialisation d’un appareil dénommé “CELLU M6” équipé de deux têtes de massage (qualifiées, pour l’une, de principale et, pour l’autre, d’accessoire), correspondant chacune à l’un des brevets qu’elle avait achetés.
Monsieur X…, fabricant et vendeur d’appareils de massage, a, lui-même, vendu à un Monsieur Z… un appareil de massage, lui-aussi équipé de deux têtes.
Estimant que son invention avait fait l’objet d’une application contrefaisante par Monsieur X…, Monsieur Y… et la société LPGSystems ont intenté une action contre ce concurrent et son cessionnaire.
Par jugement du 13 mars 1997 (confirmé le 10 septembre 2001 par la cour d’appel, sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts qu’elle a aggravé) le tribunal de grande instance de Limoges a constaté la contrefaçon de l’une seulement des têtes de massage (celle qui avait été qualifiée d’accessoire) et, outre la condamnation à des dommages et intérêts, a interdit tant la poursuite de la fabrication et de la vente que celle de l’utilisation, le tout sous astreinte, et a ordonné la confiscation de la tête de massage contrefaisante. On comprend des décisions de justice produites que :
– D’une part, Monsieur X… n’a pas contesté la validité des brevets (page 10) ce qui veut dire qu’il n’a fait plaider pour sa défense que l’absence de contrefaçon.
– Et, de deuxième part, quoiqu’informé, pendant l’instance d’appel, du jugement d’annulation intervenu à Lyon, il n’en a pas fait état dans la procédure, l’acheteur de son appareil se contentant, pour sa part, d’une note en délibéré, sans que, par exemple, un sursis à statuer ne soit sollicité. (page 10 de l’arrêt également).
On sait, par ailleurs, que Monsieur X… s’est acquitté des dommages intérêts auxquels il avait été condamné, après d’ailleurs que Monsieur Y… et la société LPG Systems aient fait valider par le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand une saisie attribution (décision du 3 juillet 2003).
Après la décision du tribunal de grande instance de Limoges, mais antérieurement à celle de la cour d’appel, le tribunal de grande instance de Lyon qui avait à connaître de la demande (principale) d’annulation du brevet qui lui était présentée par un tiers a, le 15 juin 2000, déclaré nulles, pour défaut d’activité inventive, les revendications du brevet ayant servi à asseoir la condamnation pour contrefaçon. Cette décision a été confirmée le 21 février 2002 par la cour d’appel de Lyon, et le pourvoi formé contre l’arrêt de celle-ci a été rejeté le 5 octobre 2004 (n° 02-15.214).
Si bien que l’on est en présence d’une condamnation, irrévocable et exécutée, prononcée pour la contrefaçon d’un brevet qui a été postérieurement annulé par une décision de justice, elle-même définitive.
C’est en arguant de cette situation que Monsieur X… a fait assigner Monsieur Y… et la société LPG Systems pour, d’une part, obtenir le remboursement des dommages intérêts qu’il a payés et, d’autre part, voir ses contradicteurs condamnés à réparer les préjudices (commercial et moral) qu’il leur impute à faute. Le tribunal de grande instance de Valence, le 23 septembre 2008, puis la cour d’appel de Grenoble, par l’arrêt attaqué, l’ont débouté de l’intégralité de ses demandes.
Le pourvoi formé contre cette dernière décision ne porte que sur la demande de remboursement du paiement fait en exécution de la condamnation prononcée pour contrefaçon. La branche unique de son unique moyen tend à faire juger que la “décision d’annulation d’un brevet d’invention, qui a un effet à la fois rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet annulé ; qu’elle rend donc indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, serait-elle irrévocablement passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées”. En décidant le contraire, la cour d’appel aurait, selon le pourvoi, violé tout à la fois les articles 1235 et 1376 du code civil et l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle.
II- Evolution jurisprudentielle
La question qui vous est soumise est, en réalité, née de la réforme du 13 juillet 1978. Jusqu’alors, en effet, sous l’empire de la loi du 5 juillet 1844, l’annulation d’un brevet par le juge n’avait d’effet qu’inter partes sauf si elle intervenait à la demande du Ministère Public (c’est à dire très rarement en pratique).
Cette situation présentait de nombreux inconvénients. Comme l’a souligné l’un des pères de la réforme : “le refus d’un effet absolu aux jugements d’annulation était une solution mauvaise. Le titulaire d’un brevet annulé sans intervention du Ministère Public -et cette intervention ne se produisait pratiquement jamais- pouvait encore brandir son titre devant d’autres prétendus contrefacteurs, dépourvus du moyen de connaître la décision d’annulation et tenter d’obtenir soit une indemnité transactionnelle, soit un jugement en contradiction avec le premier après avoir pris le soin d’assigner devant un autre tribunal. Encouragement à une sorte de malhonnêteté…” (Jean Foyer, effets des jugements et autorité de la chose jugée en matière de propriété industrielle, in Mélanges dédiés à Paul Mathély, Litec 1990, page 162).
C’est ainsi que sont nées les nouvelles dispositions figurant aujourd’hui dans l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle : “La décision d’annulation d’un brevet d’invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition. (…) Les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l’Institut national de la propriété industrielle, aux fins d’inscription au registre national des brevets”.
Désormais, donc, la décision d’annulation a un effet absolu.
Pour l’avenir, les conséquences de cette règle sont simples. La décision d’annulation anéantit le brevet de manière définitive eterga omnes (sans qu’il y ait, d’ailleurs, lieu de distinguer suivant qu’elle est intervenue sur demande principale, comme en l’espèce, ou sur demande reconventionnelle ou même, encore, après qu’ait été soulevée une exception de nullité). Ainsi que l’indique un auteur : “nul ne saurait désormais invoquer ce titre et en particulier le breveté ne peut utilement poursuivre d’autres prétendus contrefacteurs à qui il suffira d’invoquer l’existence du premier jugement pour faire déclarer l’action irrecevable”. (Jacques Azéma, Lamy droit commercial, 2011, n°1843). Il ne faut, bien sûr, pas y voir un effet de l’autorité de chose jugée qui s’attache au jugement d’annulation, les parties n’étant le plus généralement pas les mêmes, mais bien plutôt celui du principe qui veut que la portée d’un jugement d’annulation est commandée par celle de l’acte qui en est l’objet (Foyer, op et loc cit).
C’est, en revanche, sur les éventuelles conséquences, pour le passé, de cet effet absolu que se concentrent les incertitudes. En réalité, et contrairement à ce que pourrait paraître suggérer le moyen, le législateur n’a pas entendu assortir d’un effet rétroactif l’annulation du brevet d’invention. Non seulement le texte est-il muet sur la question mais encore l’esprit de la réforme de 1978 parait-il être, à l’inverse, tout entier contenu dans cette formule de Monsieur Foyer : “le législateur a simplement voulu que l’ancien titulaire d’un titre annulé ne s’en serve plus”. (op cit, page 165).
Reste que le titulaire du brevet annulé a pu faire, tant qu’il pouvait s’en prévaloir, un certain nombre d’actes, ou bien engager des actions, et les effets de ceux-là, comme les conséquences de celles-ci, peuvent se prolonger après la décision d’annulation. Il en est ainsi des poursuites exercées du chef de contrefaçon par exemple, ou encore de la concession d’une licence sur l’invention brevetée ou bien de la cession de celle-ci. Comment la situation nouvelle, issue de la décision définitive d’annulation, pourrait-elle être sans effet sur les suites de ces événements antérieurs ?
C’est, sous des angles variés, la question qui a été posée, à plusieurs reprises, à la cour de cassation dont les réponses ont évolué dans le temps de telle sorte qu’elles sont invoquées successivement au soutien de leurs positions contradictoires par le MA puis par le MD, ainsi d’ailleurs que par l’arrêt attaqué et le jugement qu’il confirme. Cette évolution jurisprudentielle peut être résumée autour de quatre arrêts principaux dont l’analyse successive me parait être de nature à en dessiner aussi précisément que possible les contours actuels.
A/ L’arrêt “Trucs” du 27 janvier 1998
En tant qu’elle porte sur une demande de sursis à statuer, la solution adoptée est aujourd’hui dépassée et cette décision n’est citée ici que parce qu’elle permet de rappeler ce qu’était “l’état des lieux” avant l’importante évolution jurisprudentielle de la décennie suivante, état des lieux ante qui parait avoir inspiré la décision attaquée, cet arrêt du 27 janvier 1998 étant, en outre, expressément cité dans le jugement.
Il s’agissait d’un brevet déposé par la société Paimpol Voiles et ayant pour objet le perfectionnement de cerfs volants. Par un arrêt devenu irrévocable, la société Trucs avait été condamnée pour contrefaçon et la cour d’appel avait ordonné une expertise pour permettre la détermination du préjudice. Dans le même temps, un tiers avait, par ailleurs, introduit une action en annulation du brevet litigieux. Si bien que, lorsqu’après dépôt du rapport d’expertise, l’affaire est revenue devant la cour d’appel, la société Trucs a demandé qu’il soit sursis à statuer jusqu’au prononcé de la décision à intervenir dans l’instance en annulation.
Pour approuver la cour d’appel d’avoir refusé le sursis à statuer qui lui était demandé, la chambre commerciale de votre cour a considéré qu’ “après avoir relevé que l’arrêt rendu le 17 décembre 1992 avait statué sur la validité du brevet litigieux et sur la contrefaçon du dit brevet et avait acquis l’autorité de la chose jugée, la cour d’appel a pu rejeter la demande de sursis à statuer sur la liquidation du préjudice résultant de la contrefaçon” (Com., 27 janvier 1998, n° 95-21.176).
Quoiqu’obsolète, comme on l’a dit, dans la réponse qu’elle donne à la question précise soulevée par le pourvoi (on indiquera d’ailleurs à ce sujet que de nombreux sursis à statuer sont désormais prononcés par les juges du fond dans des hypothèses de ce type ; Cf. Azéma, op et loc cit), cette décision apporte néanmoins un enseignement qui garde sa pertinence dans le débat que vous avez à trancher et permet aussi de mieux comprendre certaines des décisions postérieures.
Il ressort, en effet, de cet arrêt qu’il en va en matière de contrefaçon comme dans toute autre, c’est à dire que le couple : décision de condamnation / liquidation du préjudice est indissociable. De sorte que, si l’on considère, comme alors la cour de cassation, que le jugement de condamnation a autorité de chose jugée, cela suffit à justifier que la procédure de liquidation du préjudice aille à son terme quelque soit, par ailleurs, le sort réservé au brevet dans une autre instance.
Autrement dit, l’annulation du brevet ne pourrait interrompre la procédure de liquidation du préjudice que si l’on considérait qu’elle est de nature à affecter la condamnation elle-même et à priver celle-ci de son autorité de chose jugée. C’est sur ce point que va dorénavant porter le débat soumis à la cour de cassation.
B / L’arrêt “New Holland” du 28 janvier 2003
Avant d’y venir, il convient toutefois de s’attarder sur le sort réservé par le juge aux actes passés par le titulaire du brevet avant l’annulation de celui-ci, car “l’onde de choc causée par la nullité du titre”, dont parle un auteur (Jacques Raynard, droit des brevets et du savoir-faire industriel, recueil Dalloz 2008 page 745) n’est pas circonscrite aux effets des jugements antérieurs, elle ébranle également (et de plus fort, pourrait-on dire) les actes juridiques portant sur les brevets. Ainsi en a-t-il été dans l’espèce soumise à la chambre commerciale de votre Cour le 28 janvier 2003. (n° 00-12.149).
Les sociétés New Holland, titulaires d’un brevet dénommé “procédé de bottelage et ramassage-presse correspondante”, avaient obtenu la condamnation, pour contrefaçon, d’une société aux droits de laquelle est ensuite venue la société Greenland. Après condamnation et notamment pour échapper aux coûts de la nouvelle instance nécessaire à la liquidation du préjudice après expertise, les parties se sont accordées sur une transaction portant sur le versement par Greenland à New Holland d’une indemnité d’un certain montant et aussi, sur l’attribution à celle-ci d’une licence non exclusive d’exploitation du brevet, moyennant le versement d’une redevance “pour permettre à la société Greenland de poursuivre la fabrication et la vente des machines”. La revendication sur laquelle était fondée la condamnation pour contrefaçon a été ultérieurement annulée, pour défaut d’activité inventive, dans le cadre d’une autre action en contrefaçon conduite par New Holland contre un tiers.
Saisie par Greenland des conséquences de cette annulation, la cour d’appel de Paris avait jugé que demeurait valide la transaction en ce qu’elle portait sur les conséquences pécuniaires de la condamnation mais avait en revanche annulé le contrat de licence et ordonné la restitution à Greenland des redevances que cette société avait versées en exécution dudit contrat.
S’agissant de la validation de la transaction en ce qu’elle portait sur les suites pécuniaires de la condamnation pour contrefaçon, l’arrêt de la chambre commerciale, qui a rejeté le pourvoi sur ce point, se situe dans l’esprit de l’arrêt “Trucs” cité ci-dessus dont il est, en quelque sorte, le prolongement (c’est d’ailleurs ainsi qu’il a été compris dans notre affaire par le tribunal de grande instance de Valence qui le cite dans le corps de sa décision aux côtés de l’arrêt Trucs). C’est à dire que la cour de cassation confirmait qu’à l’époque elle considérait que l’annulation postérieure d’un brevet n’était pas de nature à remettre en cause les effets passés d’une décision irrévocable.
C’est, en réalité, sur la problématique de la licence d’exploitation que cette décision mérite de retenir l’attention.
1/ Tout d’abord, la chambre commerciale a refusé de censurer l’arrêt en ce qu’il concerne le sort réservé à la licence d’exploitation. L’annulation de celle-ci est justifiée au nom de l’effet absolu qui s’attache à la décision d’annulation du brevet “peu important la transaction antérieure à l’annulation du titre”. Cette solution est logique, car, ainsi que l’indique le Professeur Galloux (Droit de la propriété industrielle, Dalloz, n°425) : “tous les actes pris en vertu du brevet annulé, tels que les actes de cession, de licence, etc…, seront également nuls pour défaut d’objet”.
On observera que c’est la solution qui s’était déjà imposée en matière de marques annulées (Com., 01/06/1999, n° 97-12.853).
2/ Mais c’est sur les conséquences qu’elle tire de l’annulation de la licence que cette décision est la plus riche d’enseignements pour notre affaire. En effet la cour d’appel avait déduit de l’annulation que l’avantage retiré du contrat de licence par le licencié (Greenland) “ne saurait faire échec à la restitution des redevances versées”.
C’est sur ce point que la décision a été cassée. Au demeurant, l’attendu qui y est consacré mérite d’être cité dans son intégralité : “Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’invalidité d’un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte n’a pas, quel que soit le fondement de cette nullité, pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui, la cour d’appel a violé etc...”
Cette motivation montre les limites de la rétroactivité de l’annulation du brevet. Certes les situations ne sont-elles pas comparables, et, à la différence des dommages-intérêts infligés au contrefacteur, les redevances dont la restitution est refusée résultent-elles d’un contrat et non d’une condamnation judiciaire ; mais raison de plus, serait-on tenté de dire ! Non protégées, contrairement à ceux-là, par une quelconque autorité de chose jugée, elles n’en étaient que plus exposées à “l’onde de choc causée par la nullité du titre”.
Dès lors, à quelle logique obéit le maintien de la rémunération d’une licence qui est pourtant annulée de façon rétroactive ? Une explication en est donnée par le professeur Py (op cit n° 169) : “si le concédant peut matériellement restituer les redevances qu’il a reçues du concessionnaire, ce dernier ne peut pas restituer la jouissance du brevet pendant la période d’effectivité du contrat. La jurisprudence tient compte de ce déséquilibre en reconnaissant que la cause du versement des redevances, résidant dans la jouissance paisible du brevet, ne disparaît pas rétroactivement du fait de l’annulation de ce dernier. La conséquence en est que le concédant n’aura pas à restituer les redevances qu’il a perçues”.
On observera cependant que la jouissance paisible dont il est fait état s’entendrait, à supposer qu’elle ait effectivement existé, d’un brevet rétroactivement annulé, donc considéré comme n’ayant jamais été déposé. Autrement dit, la redevance dont on ne veut pas priver a posteriori le concédant a, en réalité, rémunéré l’exploitation d’une invention qui n’avait pas vocation à être protégée et qui, si le brevet annulé n’avait pas été déposé, aurait pu être exploitée librement.
Pour autant, on comprend de cette décision que la chambre commerciale a voulu endiguer l’onde de choc causée par la nullité du brevet et en limiter les effets à ce qui apparaît strictement nécessaire au but recherché, c’est à dire à la possibilité pour tous d’exploiter librement, à compter de l’annulation, l’invention qui désormais n’en est plus une, ou qui, en tous cas, n’est plus protégée.
Apparaissent à l’évidence incontournables, de ce point de vue, l’annulation de la licence mais aussi, par exemple, celle des dispositions d’un jugement de condamnation pour contrefaçon qui interdiraient au contrefacteur de poursuivre l’exploitation de l’objet contrefaisant. En revanche, ni les redevances déjà versées au titre du contrat de licence annulé ni, d’ailleurs, le prix de vente réglé lorsque l’invalidation porte sur la cession d’un brevet lui-même annulé, n’affectent la possibilité de poursuivre ou de reprendre librement l’exploitation. Il est donc normal que les conséquences tirées de la nullité du brevet soient différentes dans un cas et dans l’autre.
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Se dessinait donc, à travers ces décisions Trucs et New Holland, un paysage jurisprudentiel dont on aurait pu décrire ainsi les contours : l’effet absolu de l’annulation du brevet joue pleinement pour les conséquences à venir des jugements et des actes antérieurs ; la décision d’annulation est en revanche sans influence pour le passé, et son effet absolu se heurte, lorsqu’il y a lieu, au mur considéré alors comme infranchissable de l’autorité de la chose jugée.
Mais c’est un tout autre paysage qu’allaient esquisser les deux décisions ultérieures invoquées à l’appui du pourvoi.
C/ L’arrêt “Haribo” du 6 janvier 2005
Il en est d’abord ainsi de la décision que la deuxième chambre civile de votre cour a rendue le 6 Janvier 2005 dans une affaire de contrefaçon de marque (mais la problématique est la même qu’en matière de brevet d’invention).
La société Haribo Ricqlès avait été condamnée pour contrefaçon de la marque Halloween et il lui avait été fait défense, sous astreinte, de poursuivre ses agissements. Le tribunal qui s’était réservé le contentieux de l’astreinte, puis la cour d’appel, ont, par une décision ultérieure, condamné la société Haribo à payer, au titre de l’astreinte, une certaine somme à la société titulaire de la marque. Celle-ci a, ensuite, été annulée par un arrêt qui était devenu irrévocable le jour où la cour de cassation a statué sur le pourvoi formé par la Société Haribo contre la décision de liquidation de l’astreinte.
La deuxième chambre civile a annulé cette décision au visa de l’article 33 de la loi du 9 juillet 1991 et du principe selon lequel “l’astreinte est une mesure accessoire à la condamnation qu’elle assortit” si bien que la remise en cause de la seconde entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement de la première.
S’agissant du régime de l’astreinte, cette décision pouvait paraître se rattacher à une jurisprudence alors récente (28 septembre 2000, Cf. ci-dessous) mais bien établie (ainsi, à titre d’exemples antérieurs, outre Civ 2, 28/09/2000, n°98-16.175 ; Com 06/05/2003, n°01-01.118 ; et, à titre d’exemples postérieurs : Civ 2, 06/04/2006, n° 04-18.648 ; Com, 03/05/2006, n°04-15.262 ; Civ 2, 11/05/2006, n°04-15.674 et deux arrêts de la deuxième chambre civile en date du 13 juillet 2006, n °04-19.961 et 05-12.241).
Mais il n’y a, en réalité, qu’une apparence de filiation entre cette jurisprudence et l’arrêt Haribo. Si, en effet, dans les espèces précitées, la juridiction suprême avait déduit du caractère accessoire de l’astreinte l’anéantissement des décisions qui y sont relatives c’était toujours en raison de la cassation ou de la réformation de la décision dont elle était effectivement et directement l’accessoire (ainsi l’arrêt précité, rendu le 6 mai 2003 par la chambre commerciale : “la cassation de la décision assortie d’une astreinte entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte”. Ou encore l’arrêt précité du 3 mai 2006 : “la réformation d’une décision assortie d’une astreinte entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte, fussent-elles passées en force de chose jugée, et ouvre, dès lors, droit, s’il y a lieu, à restitution”).
Or, si l’arrêt Haribo a fait date (T. Le Bars, La perte de fondement juridique en droit judiciaire privé, in Le nouveau code de procédure civile, Economica, 2006, pages 270 et ss), c’est parce qu’il a appliqué (pour la première fois, à notre connaissance) cette solution classique à une situation différente de celles auxquelles elle avait jusque là vocation à s’appliquer.
Rappelons, en effet, que, dans le cas particulier, la condamnation assortie de l’astreinte n’avait pas été cassée et était, au contraire, devenue définitive ; en revanche, la marque dont elle tirait son fondement juridique avait été annulée. Si bien que si l’on doit considérer, avec la deuxième chambre civile, qu’en cas d’annulation de la marque la décision de liquidation de l’astreinte perdipso facto son fondement juridique, ce ne peut être que parce qu’est reconnue l’existence d’une sorte d’effet “domino”. Ainsi, de l’annulation de la marque résulterait, sans même qu’une juridiction ait à la constater, l’annulation de la condamnation pour contrefaçon ; et de celle-ci procéderait, par le même effet mécanique, l’anéantissement des décisions relatives à l’astreinte.
Observons que, postérieurement à l’arrêt Haribo, cet effet “domino” paraît s’être installé dans la jurisprudence de la deuxième chambre civile, aussi bien en matière de marques (25/02/2010, n°09-12.812, cas d’une marque que le titulaire a omis de renouveler) que dans d’autres domaines (13/07/2006, n°04-20.690 : entraîne l’anéantissement, pour perte de fondement juridique, de la décision de liquidation de l’astreinte qui assortissait une décision d’expulsion obtenue par l’usufruitier d’un bien immobilier, la conversion de l’usufruit en rente viagère prononcée ultérieurement dans une autre instance. Et 07/07/2011, n°10-20.628 : la décision de liquidation de l’astreinte, qui assortissait l’obligation faite au vendeur d’un fonds de commerce de cesser les activités qui contrevenaient à ses engagements de non-rétablissement et de non-concurrence, est anéantie par la décision qui a validé le congé avec refus de renouvellement donné par la bailleresse des locaux abritant le fonds vendu).
D/ L’arrêt “Scherrer et Normalu” du 12 juin 2007
Quoique sur un fondement différent (et même contradictoire), la chambre commerciale a, par son arrêt du 12 juin 2007, étendu aux dommages et intérêts qui résultent d’une condamnation pour contrefaçon la solution préalablement adoptée en matière d’astreinte.
La société Normalu était licenciée exclusive d’un brevet relatif à l’invention d’un faux plafond dont le titulaire était un Monsieur A….
Poursuivie par l’une et par l’autre, un concurrent, la société Newmat, a été définitivement condamné du chef de contrefaçon et une expertise a été ordonnée sur l’évaluation du préjudice, puis, après dépôt de celle-ci, Newmat a été condamnée au paiement de dommages et intérêts.
Dans le cadre d’une autre instance entre les mêmes parties, les revendications sur lesquelles était fondée la condamnation pour contrefaçon ont été annulées, si bien que, sur appel de la décision de fixation du préjudice, la cour d’appel a réformé la décision des premiers juges et a considéré que “cette annulation privait la procédure d’indemnisation de tout support juridique”.
La chambre commerciale a rejeté le pourvoi de Monsieur A… et de la société Normalu qui soutenaient notamment que, si la décision d’annulation d’un brevet a un effet absolu, elle n’a pas d’effet rétroactif, en jugeant “qu’il n’y a pas d’autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice ; que, dès lors que l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la procédure d’indemnisation du préjudice se trouvait privée de tout support juridique”(n° 05-14.548).
Observation doit d’abord être faite que cette affaire présente deux particularités. D’une part la condamnation pour contrefaçon et l’annulation du brevet ont été prononcées dans des instances qui, quoique différentes, opposaient les mêmes parties, et d’autre part la procédure de fixation du montant du préjudice résultant de la contrefaçon était encore en cours lorsque l’annulation du brevet est intervenue (la conjonction de ces deux éléments ayant d’ailleurs pour conséquence que les deux procédures ont fini par être jointes).
Ni l’une ni l’autre de ces deux particularités ne paraissent, toutefois, devoir restreindre la portée de cet arrêt. La première parce qu’elle était seulement de nature à permettre au titulaire du brevet et à son licencié d’invoquer la fin de non-recevoir tirée de la nécessaire concentration des moyens (assemblée plénière, 7 juillet 2006, n°04-10.672). Qu’ils ne l’aient pas fait m’apparaît indifférent quant au contenu de la solution finalement retenue sur la question qui nous intéresse (Cf, sur ce point, Privat Vigand, obs. Sous Com. 12 juin 2007, Propriété industrielle, n°1, janvier 2008, pages 6 et 7).
Et la seconde parce qu’ainsi qu’on l’a indiqué ci-dessus (à propos de l’arrêt “Trucs”), le “couple” décision de condamnation/liquidation du préjudice est indissociable, de sorte que ce qui importe, au regard de l’effet de l’annulation intervenue, c’est l’autorité de la première décision. Ce que confirme d’ailleurs, ici, la chambre commerciale qui, pour dire que la procédure d’évaluation du préjudice se trouve privée de tout support juridique, se fait une obligation d’écarter au préalable l’autorité de choses jugée de la décision de condamnation.
Si bien que sur la question que se posait la doctrine depuis la reforme de 1978 et que l’on pourrait résumer ainsi : lorsque l’on est, tout à la fois, en présence d’une condamnation irrévocable pour contrefaçon d’un brevet d’invention et de l’annulation postérieure de ce brevet, que privilégier ? l’autorité de chose jugée qui s’attache à la condamnation ? ou bien l’effet absolu de l’annulation ? la cour de cassation qui avait d’abord privilégié l’autorité de la chose jugée (arrêts Trucs et New Holland ci-dessus), s’est ici prononcée en faveur de l’effet absolu auquel elle paraît donc attacher désormais une dimension rétroactive.
Pour statuer ainsi, la chambre commerciale s’est appuyée sur un autre fondement que celui des décisions de la deuxième chambre civile en matière d’astreinte (Cf. ci-dessus arrêt Haribo). Quoique l’arrêt évoque (mais seulement par reprise de la motivation de la cour d’appel) une perte de “support juridique”, il n’est plus question ici de l’anéantissement de la décision de condamnation mais seulement de son absence d’autorité de chose jugée (il n’est question dans l’arrêt que de l’anéantissement du brevet et non de celui de la décision de condamnation). A proprement parler, la condamnation subsisterait donc mais serait dépourvue d’autorité.
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On interrompra ici l’exposé de la jurisprudence pertinente car il nous apparaît qu’il ne faut pas y inclure, au regard de la question posée dans notre affaire, la décision rendue le 3 mars 2009 par la chambre commerciale (n° 06-10.243) souvent citée, à tort nous semble-t-il, comme confirmant la jurisprudence Haribo. Dans ce dossier, en effet, la cour de cassation avait considéré que le rejet des pourvois contre deux arrêts de cour d’appel confirmant des jugements annulant les revendications d’un brevet, privait de fondement juridique l’arrêt qui avait déclaré valables et contrefaites les dites revendications, ce qui entraînait d’abord sa cassation puis son annulation par voie de conséquence.
Il s’agit donc d’une hypothèse très différente de celle dont vous êtes saisis puisque, par définition, la condamnation pour contrefaçon n’était pas irrévocable, mais au contraire frappée d’un pourvoi, et que c’est à l’occasion de l’examen de celui-ci qu’ont été tirées les conséquences de l’annulation du brevet devenue définitive par le rejet, le jour même, des pourvois qui frappaient les décisions qui l’avait prononcée.
Certes, la cour de cassation a-t-elle eu recours à la notion de perte de fondement juridique, mais, dans le cas particulier, sans qu’il soit nécessaire que cela implique l’effet “domino” qui donne sa vraie dimension à l’arrêt Haribo.
Dès lors, la seule leçon que l’on puisse tirer de cet arrêt du 3 mars 2009 est que l’annulation du brevet prive de fondement juridique la décision non irrévocable de condamnation pour contrefaçon qui doit, dès lors, être annulée, ce qui apparaît peu contestable.
III- Une jurisprudence qu’il convient d’infléchir
Les données de l’espèce qui vous est soumise par le présent pourvoi, à savoir l’annulation ultérieure d’un brevet d’invention ayant fondé une décision irrévocable de condamnation pour contrefaçon, paraissent donc de nature à constituer une “perte de fondement juridique” au sens de l’arrêt Haribo, mais, sans doute pourrait-on considérer, en référence à l’arrêt Scherrer et Normalu, qu’elles témoignent aussi de l’existence d’ “un événement postérieur venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice”. Si bien qu’il pourrait être tentant, en prolongeant jusqu’à son point d’aboutissement l’une ou l’autre de ces deux jurisprudences, de casser l’arrêt attaqué en se référant soit à l’anéantissement de la condamnation pour contrefaçon, soit à l’inopposabilité de son autorité de chose jugée.
On observera d’ailleurs que les conséquences de l’une et l’autre solution apparaissent, curieusement, identiques, à l’aune de votre jurisprudence. On a dit qu’alors que la perte de fondement juridique entraîne l’anéantissement de la décision qu’elle affecte, la modification de la situation antérieurement reconnue en justice la laisse subsister, ne remettant en cause que son autorité. En bonne logique, il devrait donc en résulter que seule la perte de fondement juridique devrait être de nature à permettre d’agir en restitution des sommes versées en exécution d’une précédente condamnation. (On aurait, en effet pu penser que la différence entre la disparition d’une décision et son maintien, fusse sans autorité, résidait dans la rétroactivité des effets que l’on y attache). En fait, il n’en est rien.
Ainsi que l’a observé notre collègue Philippe Mollard dans l’avis qu’il a présenté à la chambre commerciale à l’occasion de l’audience qui a abouti à la saisine de votre assemblée plénière : “votre cour a déjà admis à plusieurs reprises qu’une partie condamnée par une décision définitive est recevable à agir en restitution des sommes payées en exécution de cette condamnation, lorsque des événements postérieurs à ladite décision ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice” et, à sa suite, l’on en prendra pour exemple l’arrêt rendu le 17 mars 1986 par la deuxième chambre civile (n°84-12.635, dont il sera fait état ultérieurement) mais aussi celui de la chambre sociale en date du 2 mars 1995 (n° 92-17.112) et celui de la deuxième chambre civile en date du 13 janvier 2011 (n° 09-16.546), ce dernier se référant expressément, comme dans notre affaire, à une répétition de l’indu. De ce point de vue, anéantissement de la décision ou inopposabilité de son autorité de chose jugée revient donc au même.
Or, on va le voir, aucune de ces deux solutions n’est vraiment satisfaisante.
A/ La disparition de l’autorité de chose jugée du fait d’un événement postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée
La jurisprudence qui veut que soit écartée l’autorité de la chose jugée lorsqu’est modifiée, par un fait ou un acte postérieur, la situation reconnue par la décision dont l’autorité était invoquée est ancienne et assez fournie en références à des décisions rendues par les cinq chambres civiles de cette cour.
Elle a survécu à la jurisprudence dite de la “concentration des moyens” (Assemblée plénière, 7 juillet 2006, n° 04-10.272) avec, toutefois, cette observation qu’à la formule initiale “l’autorité de chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a donné lieu au jugement ou lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice” (par exemple Civ 2, 17 mars 1986, n° 84-12.635) a été substituée, dans les décisions postérieures à 2006, un attendu qui n’évoque plus le changement de cause (ainsi Civ 3, 25 avril 2007, n° 06-10.662). Ainsi, cette dernière rédaction est-elle celle de l’arrêt Scherrer et Normalu de la chambre commerciale.
Pourtant, l’application de cette jurisprudence à la question qui nous occupe ne va pas de soi. Sous une formulation unique, les arrêts qui écartent, pour cause d’événements postérieurs, l’autorité de chose jugée d’une première décision, ont trait à deux types de situations bien distinctes, or le cas qui vous est soumis ne me paraît se rattacher à aucun d’entre eux.
– Un premier groupe de décisions est relatif à des espèces dans lesquelles une première demande en justice avait été rejetée faute pour le demandeur de remplir une condition nécessaire au succès de son action. Dès lors que, postérieurement à la décision dont l’autorité est invoquée, cette condition est remplie, rien n’empêche le demandeur de présenter à nouveau sa demande avec, cette fois-ci, des chances de succès.
Retenons, à titre d’exemple, que la cour de cassation a pu écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée dans les hypothèses suivantes :
° Rejet de l’exequatur pour défaut de signification régulière d’un jugement étranger. L’autorité du premier jugement ne peut être opposée à la seconde demande qui intervient après qu’ait été faite une signification régulière. (Civ 1, 22 octobre 2002, n°00-14.035).
° Débouté d’une action en responsabilité faute de la preuve d’un préjudice actuel. L’autorité du premier jugement ne peut être opposée dans le cadre d’une nouvelle action fondée sur un préjudice né postérieurement au débouté initial. (Civ 2, 3 juin 2004, n° 03-14.204).
° Demande en paiement de loyer déclarée irrecevable faute pour le bailleur d’avoir mis en oeuvre la procédure de conciliation préalable rendue obligatoire par le contrat. La mise en oeuvre ultérieure de ladite procédure permet au bailleur de présenter une nouvelle demande sans que puisse lui être opposée l’autorité de la première décision. (Civ 2, 21 avril 2005, n° 03-10.237).
° Irrecevabilité de la demande en paiement présentée par un syndic de copropriété pour défaut d’habilitation à agir en justice. Les résolutions d’habilitation prises postérieurement au premier jugement rendent la nouvelle demande recevable sans que l’autorité du premier jugement puisse lui être opposée. (Civ 2, 6 mai 2010, n° 09-14.737).
Outre des différences évidentes relatives tant au contenu de la première décision qu’à l’événement nouvellement intervenu, notre affaire ne peut se rattacher à cette première série de décisions ni par ses acteurs (dans les décisions qui viennent d’être évoquées il y a nécessairement identité de demandeur entre les deux actions), ni par la nature de la première décision (qui dans ces dossiers est nécessairement un débouté ou une irrecevabilité), ni par l’objet de la deuxième demande (demande de restitution dans notre dossier, ce qui ne peut bien sûr pas être le cas dans ceux dont il vient d’être fait état puisque, par hypothèse, il n’y a pas eu de condamnation).
– en revanche, notre dossier pourrait, à première vue, paraître se rapprocher d’avantage de la deuxième série de décisions rendues au visa de ce principe. Il s’agit de cas dans lesquels l’événement postérieur qui permet d’écarter l’autorité de chose jugée d’un premier jugement est constitué par une nouvelle décision de justice qui a affecté l’un des éléments qui avaient permis aux premiers juges de statuer comme ils l’avaient fait (c’est à dire que l’on est, d’une certaine manière, dans une situation symétrique de la précédente).
Il en est ainsi :
° De l’effet de la décision de rétractation d’un plan de cession, en vertu duquel une société était devenue propriétaire d’un fonds de commerce, sur l’autorité de la décision définitive allouant des sommes à cette société en sa qualité de propriétaire dudit fonds. (Com, 4 décembre 2001, n° 99-15.112).
° De l’effet de l’annulation par la juridiction administrative d’une décision ministérielle, autorisant un licenciement, sur l’autorité de la décision définitive refusant tant la réintégration du salarié licencié que l’annulation de la transaction relative à l’indemnisation de son licenciement. (Soc, 18 février 2003, n°01-40.978).
° De l’effet de l’annulation par la juridiction administrative de l’arrêté préfectoral, ayant approuvé le plan d’occupation des sols, sur l’autorité de la décision définitive fixant l’indemnité d’expropriation. (Civ 3, 25 avril 2007, n° 06-10.662).
Cette deuxième série de décisions appelle les trois observations suivantes :
– Dans tous les cas, les arrêts dont il s’agit ont eu pour objet de régler, dans une troisième instance, les effets contradictoires des décisions rendues dans deux instances précédentes, à savoir celle qui a abouti à la décision dont l’autorité est à la fois invoquée et contestée, et celle qui s’est conclue par la décision qui constitue l’événement postérieur venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice.
– Et, dans toutes ces espèces, la décision rendue dans la troisième instance a écarté, en raison du contenu de la décision intervenue dans la deuxième, l’autorité de chose jugée de la première décision.
– Dans aucun des cas évoqués, en revanche, la première instance n’avait porté, même implicitement, sur la question jugée dans la deuxième, si bien qu’écarter l’autorité de chose jugée de la décision rendue dans la première ne revenait pas à constituer la juridiction ultérieurement saisie en instance d’appel de celle qui avait rendu la décision finalement privée d’autorité.
Ainsi, et pour reprendre les trois exemples cités ci-dessus, le juge qui condamnait le locataire-gérant à payer des redevances au propriétaire d’un fonds de commerce n’avait pas compétence pour se prononcer sur la validité du plan qui avait conféré cette qualité à celui-ci. De même, le conseil des prud’hommes qui statuait sur la réintégration et l’indemnisation d’un salarié licencié, n’avait-il pas celle de se prononcer sur la régularité de l’autorisation ministérielle de licenciement, pas plus que la cour d’appel qui a fixé des indemnités d’expropriation, n’avait à se prononcer sur la régularité de l’arrêté qui avait approuvé le P.O.S.
Or, il en va différemment du juge qui prononce une condamnation du chef de contrefaçon. Pour se défendre, le prétendu contrefacteur peut soit contester l’existence de la contrefaçon alléguée, soit contester le brevet. Et le juge saisi peut alors prononcer la nullité de celui-ci (c’est d’ailleurs souvent à l’occasion d’une action engagée par le titulaire du brevet contre un concurrent que les juges sont conduits à prononcer l’annulation du titre sur la demande que leur en fait, par voie d’action ou par voie d’exception, le prétendu contrefacteur). Peu importe d’ailleurs que celui-ci n’ait pas soulevé ce moyen, il avait la possibilité de le faire et la jurisprudence sur la concentration des moyens (cf. ci-dessus) lui interdirait de le faire ultérieurement, en tous cas sur les mêmes revendications que celles qui fondent sa condamnation, de sorte que la condamnation pour contrefaçon tranche aussi, de facto, la question de la validité du titre, au moins entre les parties. Le juge avait aussi la possibilité de le soulever d’office. Si bien que la question était, au moins implicitement, dans le débat. (Dans le cas particulier, il ressort des décisions produites que si le contrefacteur n’avait pas remis en cause, en première instance, la validité du brevet, il en avait au moins esquissé la contestation en appel).
Dès lors, considérer, comme dans l’arrêt Scherrer et Normalu, que l’annulation postérieure du brevet doit mettre un terme à la procédure de réparation du préjudice résultant de la contrefaçon, ou, si l’on empruntait aussi cette voie dans notre espèce, qu’elle ouvrirait droit à la restitution des dommages et intérêts précédemment versés, revient moins à remettre en cause l’autorité de chose jugée de la condamnation pour contrefaçon du fait d’un événement postérieur et, par hypothèse, inconnu du premier juge, qu’à contester la qualité de la décision que celui-ci avait rendue et à lui en substituer, de facto, une autre, c’est à dire à créer, de façon prétorienne, une voie de recours qui ne dirait pas son nom.
L’on peut certes trouver, dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Scherrer et Normalu, au moins un précédent de même nature. (Civ 2, 17 mars 1986, n°84-12.635 précité). Il n’est toutefois pas interdit de considérer qu’il s’agit d’un arrêt d’espèce. En effet, une même SARL avait, par deux décisions successives, été considérée, tour à tour, comme non propriétaire d’un immeuble, ce qui lui avait valu d’obtenir le remboursement des impenses qu’elle y avait effectuées, puis, sur tierce opposition, propriétaire de celui-ci. Ceux qui avaient ainsi été déchus du droit qu’ils croyaient avoir sur l’immeuble ont agi en restitution du remboursement des impenses qui n’avaient plus lieu d’être. Mais était intervenu entre les mêmes parties un précédent jugement, confirmé par un arrêt devenu définitif, qui les avait déboutés de la même demande motif pris des “effets relatifs de la tierce opposition”. C’est cette dernière décision que la cour de cassation a décidé de priver de toute autorité en cassant l’arrêt qui l’avait invoquée pour refuser la nouvelle demande de restitution. On comprend cette décision “de bon sens” (Le Bars, op Cit, page 286) : rien ne justifiait que celui qui se voyait attribuer un immeuble conserve, par dessus le marché, les sommes provenant de la restitution de ce qui avait, à tort, été considéré comme impenses.
Reste que l’inopposabilité de l’autorité de chose jugée doit être maniée avec prudence. Toute remise en cause d’une décision irrévocable se traduit en perte de sécurité juridique. Or, la problématique de l’annulation d’un brevet est tout autre que celle de l’espèce qui vient d’être évoquée, elle ne me paraît donc pas appeler la même solution.
B/ La perte de fondement juridique
On pourrait considérer que ce qui est critiquable lorsque le jugement de condamnation subsiste l’est moins lorsque les évolutions intervenues postérieurement ont eu pour effet de l’anéantir. Et, au moins sur un plan conceptuel, on pourrait, dès lors, être tenté de penser que votre jurisprudence sur la perte de fondement juridique, et les éventuelles restitutions auxquelles elle peut donner lieu, est mieux adaptée pour organiser les conséquences de l’annulation d’un brevet.
On a dit, à propos de l’arrêt Haribo, comment cette jurisprudence s’était forgée et avait évolué en matière d’astreinte, notamment avec l’émergence de l’effet “domino” dont on a parlé ci-dessus (l’annulation de l’acte entraîne, non seulement, l’anéantissement de la décision de justice dont il était le fondement mais aussi celui de toutes les décisions qui en sont la suite). Elle est, toutefois, loin d’être cantonnée au domaine de l’astreinte.
A la suite du Professeur Le Bars (Op. Cit. Page 272 et ss), on dira qu’il y a “perte de fondement juridique lorsqu’un événement emporte la remise en cause ab initio d’une décision de justice antérieure”. Le fondement juridique ainsi “perdu” peut être un texte de loi ou un jugement. Ce peut-être aussi, comme dans le cas qui nous intéresse, un acte juridique. Le plus souvent, d’ailleurs, les actes juridiques-fondement dont la disparition est ainsi sanctionnée sont des actes administratifs (ainsi Civ 3, 25 mai 2005, n°01-14.398).
Il est certain que la perte de fondement juridique est une notion utile qui permet de résoudre des situations en apparence inextricables. (Ainsi, à propos de décisions de justice ayant servi de fondement à une autre décision et, ensuite, annulées : Civ 1, 24 juin 1997, n° 95-13.885 et Civ 3, 3 novembre 1988, n°86-18.180).
Pour autant, l’application qui en a été faite dans l’arrêt Haribo nous apparaît justifier tant la critique formulée par le professeur Le Bars (op. cit. page 282) : “l’arrêt Haribo ouvre la porte à une extension sans précédent de l’automaticité des effets de la perte de fondement juridique. Si la mise à néant rétroactive d’une marque peut faire disparaître de plein droit une série de décisions juridictionnelles, alors on ne voit pas ce qui pourrait justifier qu’il en aille autrement de l’anéantissement d’un contrat ou d’un acte administratif” que la conclusion, en forme de mise en garde, que cet auteur en tire (op. cit. page 287) : “concrètement, si l’on accepte cette conception des choses, l’irrévocabilité devient une vue de l’esprit et toute décision de justice est désormais rendue sous la condition implicite que, dans les trente ans à venir, elle ne perdra pas rétroactivement son fondement juridique ! Une telle solution, qui est pour le moins révolutionnaire, est source d’une grave insécurité juridique”.
On n’ira pas plus loin, dans le cadre limité de cet avis, sur l’analyse de la définition et des conséquences de la perte de fondement juridique. En effet, on l’a dit, ce n’est pas à propos du droit des brevets que le concept et ses effets ont été dégagés par la jurisprudence. Même si ce n’est pas à l’occasion de ce pourvoi, il nous semble néanmoins qu’ il faudra, le moment venu, s’interroger sur le fait de faire jouer un effet “domino” (on rappellera que l’on utilise ici cette expression dans son sens de réaction en chaîne) à l’annulation postérieure d’un acte juridique (intervenue, qui plus est, dans une instance qui n’opposait pas nécessairement les mêmes parties que celles que concernent les décisions dont l’anéantissement est invoqué).
Mais, pour ce qui est de notre dossier, on se bornera à souligner que la frontière est imprécise entre ce qui entraîne une perte de fondement juridique et ce qui relève de l’événement postérieur venu modifier une situation antérieurement reconnue en justice. En réalité, les domaines d’application de ces deux notions se recoupent largement. Si bien que ce qui nous parait militer en faveur de la non-application, à l’espèce qui vous est soumise, des conséquences habituellement tirées de la deuxième notion, doit également conduire à écarter celles que la jurisprudence attache à la première. Autrement dit, il nous semble que la condamnation pour contrefaçon ne doit pas plus être anéantie par l’annulation postérieure du brevet que ne doit être rendue inopposable la fin de non-recevoir susceptible d’être tirée de son autorité.
Ainsi que l’indique notre collègue Mollard (dans son avis précité, page 8) : “le problème vient de ce que la juridiction dont la décision de condamnation pour contrefaçon d’une marque ou d’un brevet est anéantie à la suite de l’annulation ultérieure de la marque ou du brevet, avait le pouvoir de vérifier et, le plus souvent, a effectivement vérifié la validité de cette marque ou de ce brevet. Car on aboutirait à admettre que l’appréciation différente qu’une juridiction, statuant en second lieu, porte sur un même acte juridique entraîne l’anéantissement de la décision rendue par la juridiction ayant statué en premier lieu”.
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Même observation, donc, que pour l’inopposabilité, et, par voie de conséquence, même conclusion : rien ne justifie que l’on considère que l’annulation postérieure d’un brevet anéantit la condamnation irrévocable pour contrefaçon. La situation présentée ne correspond pas aux cas habituels de perte de fondement juridique ou de modification d’une situation antérieurement reconnue en justice. L’on est seulement en présence de deux décisions différentes rendues dans deux instances différentes, parfois à deux époques différentes et qui, en outre, n’ont, le plus souvent, en commun que l’une seulement des parties en présence (à savoir le titulaire du brevet).
Faut-il chercher une autre solution ? Faut-il imaginer un autre fondement pour permettre la restitution des réparations versées au titre de la contrefaçon de l’objet du brevet annulé ? Autrement dit, est-il scandaleux que celui qui a ultérieurement vu son titre annulé, conserve les indemnités qui lui ont été allouées quand il pouvait s’en prévaloir ?
Nous ne le croyons pas. Celui qui a été condamné pour contrefaçon l’a été au regard d’une situation qu’il connaissait et d’un titre qu’il a délibérément choisi d’ignorer, alors qu’il lui était loisible de l’attaquer. On rappellera, à cet égard l’adage : “foi est due au titre” (JC Galloux, Droit de la Propriété Industrielle, Dalloz, n° 416). Quelle portée garderait-il si tous les effets de tous les brevets régulièrement déposés pouvaient à tout moment être annulés par l’effet d’une décision judiciaire postérieure (le cas échéant même bien postérieure) ? On voit bien, au contraire, la très grande fragilisation des titres qui en résulterait, et le peu de cas que cela pourrait inciter à faire du brevet les concurrents de celui qui l’a déposé.
Rappelons qu’il résulte de la jurisprudence New-Holland (cf. ci-dessus) que l’annulation d’un contrat de licence intervenue en conséquence de celle du brevet sur lequel il portait “n’a pas pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui”. Si bien que si l’on décidait que l’annulation d’un brevet entraîne par le jeu d’un effet “domino”, ou sur la base de toute autre construction, la restitution des indemnités versées en exécution d’une condamnation pour contrefaçon, on arriverait à ce résultat paradoxal de mieux traiter celui qui s’est délibérément affranchi des obligations découlant d’un titre qui avait, pourtant, une existence légale au moment où a eu lieu l’exploitation contrefaisante, que celui qui a accordé “foi au titre”au point de choisir de rémunérer l’exploitation qu’il en a faite. Le paradoxe serait d’ailleurs d’autant plus choquant que cette situation reviendrait aussi à accorder plus de poids aux effets d’un contrat qu’à ceux d’un jugement irrévocable.
Tout est-il, pour autant, dit ? Et l’annulation ultérieure d’un brevet (ou, mutatis mutandis, d’une marque) ne doit elle être d’aucun effet sur les conséquences du jugement de condamnation pour contrefaçon ? Certainement pas, et il demeurera nécessaire (le cas échéant à l’occasion d’autres pourvois) d’organiser les effets de la deuxième décision sur la première.
En effet, la condamnation pour contrefaçon ne fixe pas seulement le montant des dommages-intérêts dus par le contrefacteur ; le plus souvent elle interdit également à celui-ci de poursuivre la fabrication et la vente du produit contrefait, le cas échéant sous astreinte. Il serait totalement contraire à l’esprit de la loi que celui qui a été condamné pour contrefaçon continue, après annulation du brevet, à être frappé de cette interdiction alors que l’exploitation de l’invention qui, par hypothèse, n’est plus protégée, est désormais ouverte librement à tout un chacun.
Or, lui permettre de s’affranchir, sur ce point, de la condamnation dont il a fait l’objet revient nécessairement à remettre en cause, au moins en partie, soit la décision, elle-même, soit son autorité. Mais alors, pourquoi faire une différence entre deux éléments d’un même dispositif : la réparation du préjudice et l’interdiction sous astreinte ?
Comme le dit le Professeur Py (op cit, n° 165) à propos de la liberté retrouvée de celui qui a été condamné : “une telle solution suppose néanmoins que la décision d’annulation implique une cessation des effets de la chose jugée pour l’avenir”.
Cette solution est celle qui s’évince du texte. Comme nous l’avons dit, si l’article L. 613-27 du code la propriété intellectuelle confère un effet absolu à l’annulation d’un brevet, il ne parle pas de rétroactivité. De l’effet absolu nous parait découler l’interdiction absolue faite à celui qui avait déclaré le brevet de continuer à se prévaloir tant de celui-ci que des décisions de justice auxquelles il a servi de fondement, mais revenir sur les effets passés desdites décisions serait y ajouter un effet rétroactif qui n’existe pas. Cet effet absolu de l’annulation nous parait donc suffisant pour permettre à celui auquel cela a été interdit d’exploiter, néanmoins, l’invention dont s’agit sans qu’il y ait de contradiction à le débouter en même temps des demandes de restitutions qu’il présente.
Je suis donc favorable au rejet du pourvoi.