X

– l’assureur – enquête sur l’assuré – atteinte illégitime au droit au respect de sa vie privée

Arrêt n° 935 du 22 septembre 2016 (15-24.015) – Cour de cassation – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2016:C100935

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE – RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

Rejet

Protection des droits de la personne – Respect de la vie privée


Demandeur(s) : société Garantie mutuelle des fonctionnaires

Défendeur(s) : M. Valentin X… ; et autre


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2015), que, victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (l’assureur), Valentin X…, alors âgé de seize ans, a présenté diverses fractures, un hématome et un traumatisme crânien modéré ; que, le rapport déposé par l’expert judiciairement désigné faisant état de discordances entre les plaintes de la victime et les bilans médicaux normaux, l’assureur a confié à la société Cabinet d’investigations, de recherches et de renseignements (la société CI2R) une mission d’enquête, afin de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de l’intéressé ; que, lui reprochant d’avoir porté une atteinte illégitime au droit au respect de leur vie privée, M. X…, devenu majeur, et sa mère, Mme Y…, ont assigné l’assureur pour obtenir réparation de leurs préjudices, ainsi que la publication de la décision à intervenir ;

Attendu que l’assureur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à M. X… et Mme Y… la somme d’un euro chacun à titre de dommages-intérêts et une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsqu’un assureur est fondé à diligenter une enquête afin de déterminer les besoins réels d’un assuré, la relation de faits anodins dans le rapport de filature, observés depuis la voie publique, ne peut caractériser une atteinte à la vie privée de ce dernier ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que les opérations de surveillance de M. X…, menées à la demande de l’assureur par la société CI2R depuis la voie publique, étaient justifiées ; qu’en relevant, pour retenir une atteinte à la vie privée de l’assuré, que le rapport d’enquête concernait en partie l’intérieur de sa maison en ce qu’il mentionne « dans la pièce en bas, femme âgée installée dans un fauteuil roulant », au second étage « jeune homme assis au bureau » ou encore « se lève tard,11h », qu’il comportait les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes se présentant à son domicile, ainsi que les mentions des heures et durées des déplacements de Mme Y…, la cour d’appel, qui a ainsi fait le constat de faits anodins ne pouvant caractériser une telle atteinte, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu’une atteinte à la vie privée peut être justifiée lorsqu’elle est proportionnée au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X… ; qu’en se contentant d’affirmer que la relation des faits concernant l’intérieur du domicile de l’assuré constituait une atteinte excessive à sa vie privée sans rechercher, comme elle y était invitée, si les constatations ainsi opérées ne se réduisaient pas à la détermination du degré d’autonomie et de mobilité de l’assuré et étaient ainsi proportionnées au but poursuivi, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que les atteintes à la vie privée peuvent être justifiées lorsqu’elles sont proportionnées au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X… ; qu’en considérant dès lors que les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes qui s’étaient présentées à son domicile n’avaient aucun rapport avec le but de l’enquête, quand ces mentions avaient précisément permis aux juges du fond d’en déduire qu’il ne s’agissait pas de visites de personnel médical ou paramédical et, partant, faire le constat de ce que l’assuré n’avait pas besoin d’une assistance médicale, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales s’évinçant de ses propres constatations, a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que les atteintes à la vie privée peuvent être justifiées lorsqu’elles sont proportionnées au but poursuivi ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a expressément relevé que le but poursuivi par l’enquête diligentée par l’assureur était de vérifier le degré de mobilité et d’autonomie de M. X… ; qu’en considérant que les mentions des heures et des durées des déplacements de Mme Y… étaient sans rapport avec l’objet de l’enquête, quand elles permettaient d’apprécier si M. X… était suffisamment autonome pour rester seul chez lui et accomplir les actes de la vie quotidienne sans avoir besoin de l’assistance d’un tiers, la cour d’appel a derechefviolé l’article 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que l’assureur qui, légitimement, organise une filature pour contrôler et surveiller les conditions de vie de son assuré pour déterminer ses besoins réels d’assistance, est en droit de connaître le lieu de son domicile pour mener à bien son enquête ; qu’en considérant que l’interrogatoire d’un voisin pour connaître la domiciliation de M. X… était constitutive d’une atteinte excessive à sa vie privée, après avoir pourtant relevé que le rapport d’enquête réalisé par la société CI2R à la demande de l’assureur, dans le but d’établir le degré d’autonomie de M. X…, était justifié, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

6°/ qu’en se bornant à considérer que les opérations de surveillance de l’intérieur de l’habitation de M. X…, les descriptions physiques et les recherches d’identité des différentes personnes se présentant à son domicile, les mentions des heures et durées des déplacements de Mme Y… ou l’interrogatoire d’un voisin pour confirmer la domiciliation de l’assuré, constituaient des atteintes à la vie privée manifestement disproportionnées au but légitimement poursuivi par l’assureur sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces atteintes n’étaient pas justifiées par l’exigence de la protection des droits et des intérêts de la compagnie d’assurance et de la collectivité de ses assurés et, partant, étaient proportionnées au regard des intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu’après avoir décidé, à bon droit, que les opérations de surveillance et de filature menées par les enquêteurs mandatés par l’assureur étaient, par elles-mêmes, de nature à porter atteinte à la vie privée de M. X… et de Mme Y…, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, énoncé qu’il convenait d’apprécier si une telle atteinte était proportionnée au regard des intérêts en présence, l’assureur ayant l’obligation d’agir dans l’intérêt de la collectivité des assurés et, pour ce faire, de vérifier si la demande en réparation de la victime était fondée ; qu’ayant constaté que les opérations de surveillance avaient concerné l’intérieur du domicile de M. X… et de sa mère, que les enquêteurs avaient procédé à la description physique et à une tentative d’identification des personnes s’y présentant et que les déplacements de Mme Y… avaient été précisément rapportés, elle a pu en déduire que cette immixtion dans leur vie privée excédait les nécessités de l’enquête privée et que, dès lors, les atteintes en résultant étaient disproportionnées au regard du but poursuivi ; que, par ces seuls motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Garantie mutuelle des fonctionnaires aux dépens ;


Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur
Avocat général : M. Ride
Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Delaporte et Briard

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