délit de presse – assignation devant la cour – condition de recevabilite

délit de presse – assignation devant la cour – condition de recevabilite

cassation 2

Arrêt n° 606 du 15 février 2013 (11-14.637) – Cour de cassation –

Assemblée plénière – ECLI:FR:CCASS:AP00606

PRESSE

Rejet

principe

selon l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation ;

 qu’ayant constaté que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvaient poursuivis sous deux qualifications différentes, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, que ce cumul de qualifications étant de nature à créer pour les défenderesses une incertitude préjudiciable à leur défense, l’assignation était nulle en son entier ;

 


Demandeur(s) : M. Dominique X… ; et autre

Défendeur(s) : La société Auféminin.com ; et autre


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 février 2011), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 8 avril 2010, pourvoi n° 09.14-399), que Mme Y… a fait diffuser sur le forum du site Internet “Aufeminin.com” des propos faisant état de pratiques commerciales malhonnêtes imputées à M. X… ; que celui ci et la société Docteur Dominique Debray (la société) ont fait assigner Mme Y… et la société “Aufeminin.com SA” du chef de diffamation et d’injures en raison de passages déterminés de ces propos ; que, par ordonnance du 19 décembre 2007, le juge de la mise en état a annulé l’assignation en son ensemble en raison de son imprécision ;

Attendu que M. X… et la société font grief à l’arrêt de confirmer l’ordonnance, alors, selon le moyen :

1°/ que satisfait aux prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 la citation introductive d’instance qui indique exactement au défendeur les faits et les infractions qui lui sont reprochés et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense sans qu’il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations ; qu’en présence de propos échelonnés sur la toile et liés par un même dessein, la citation introductive qui articulait les propos poursuivis et précisait les qualifications requises ne pouvait être déclarée imprécise ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour de renvoi a violé les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la régularité de l’acte introductif d’instance en matière de presse au regard de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 s’apprécie de manière distributive sous le rapport de la précision des faits et de leur qualification ; qu’il suit de là que l’assignation ne peut être déclarée nulle dans son ensemble à raison de la double qualification retenue pour certaines imputations ; qu’en annulant pour ce motif l’assignation dans son ensemble sans établir que l’imprécision prétendue de certains griefs affecterait également les nombreux autres griefs articulés par les requérants, qu’elle n’a en conséquence pas examinés, la cour a violé le texte susvisé, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le grief d’imprécision prétendu est lui même déduit de motifs inopérants puisque les énonciations retenues comme identiques par la cour sous des qualifications différentes procédaient elles mêmes d’itérations distinctes par leur date et leur contexte ; qu’en identifiant à tort ces énonciations cependant distinctes, notamment par leur date d’apparition sur le forum, la cour s’est déterminée par des motifs inopérants, violant ainsi l’article 53 de la loi de 1881, ensemble les articles 6, 10 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que selon l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation ;

Et attendu qu’ayant constaté que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvaient poursuivis sous deux qualifications différentes, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans encourir les griefs du moyen, que ce cumul de qualifications étant de nature à créer pour les défenderesses une incertitude préjudiciable à leur défense, l’assignation était nulle en son entier ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Président : M. Lamanda

Rapporteur : Mme Feydeau, conseiller, assistée de Mme Dibie, auditeur au service de documentation, des études et du rapport et Mme Gérard, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport

Avocat général : M. Marin, procureur général

Avocat(s) : Me Bouthors, SCP Piwnica et Molinié ; SCP Defrenois et Levis

 

One Reply to “délit de presse – assignation devant la cour – condition de recevabilite”

  1. ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE du 1er février 2013 à 14h00

    CONSEILLER-RAPPORTEUR : Mme Marie-Thérèse Feydeau

    PROCUREUR GENERAL: M. Jean-Claude Marin

    POURVOI N° : N 11-14.637

    M. Dominique X…
    et Société Dominique X… (Me Didier Bouthors)

    c/

    Société au feminin.com (SCP Piwnica et Molinié)
    et Mme Sylvie Y… (SCP Defrenois et Levis)

    ARRÊT ATTAQUÉ : Cour d’appel de Paris (Pôle 1 – Chambre 3) du 15 février 2011

    AVIS
    de Monsieur le Procureur Général Jean-Claude Marin

    L’ORIGINE DU LITIGE.

    Madame Sylvie Y…, ayant eu recours au docteur Dominique X… et à la SELARL éponyme qu’il a créée aux fins d’exercer au sein d’un centre d’épilation définitive au laser dénommé « Laser Etoile », a estimé que les pratiques de ce professionnel de la médecine et de ce centre étaient peu compatibles avec la déontologie des médecins.

    Elle a en conséquence saisi d’une plainte l’Ordre des Médecins décrivant ce qu’elle estimait être des comportements critiquables et a, dans le même temps, diffusé cette plainte et des commentaires sur son expérience via un site qu’elle exploite sous le nom de « Au féminin.com ».

    A la demande du docteur X… et de la SELARL « Docteur Dominique X… », deux constats d’huissier, en date des 2 et 6 avril 2007, ont acté le contenu des messages ainsi diffusés.

    LA PROCEDURE.

    Le 14 juin 2007, le docteur X… et la SELARL « Docteur Dominique X… » ont fait assigner Madame Y… et la société «Au féminin.com » des chefs de diffamation et d’injures à raison de certains passages de ces messages.

    Le juge de la mise en état a, par ordonnance en date du 19 décembre 2007, annulé l’ensemble de l’assignation délivrée aux défendeurs motif pris de l’imprécision de celle-ci au regard des exigences posées par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881.

    Cette ordonnance a été confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 19 mars 2009 au même visa du non respect des dispositions de l’article 53 de la loi de 1881.

    Par arrêt en date du 8 avril 2010, la première chambre de la Cour a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris dans ces termes :

    « Attendu que pour confirmer l’ordonnance, la cour d’appel a énoncé que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 applicable aux instances civiles, impose, à peine de nullité, que l’assignation précise et qualifie les faits incriminés et indique le texte de loi applicable, de telle sorte, notamment, que le défendeur puisse savoir quels passages sont considérés par le demandeur injurieux ou diffamatoires et puisse, le cas échéant, organiser sa défense et faire une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires dans le délai légal de dix jours ; que l’assignation doit qualifier les faits incriminés et permettre au défendeur de faire la distinction et de savoir en quoi les passages similaires sont susceptibles de caractériser soit l’imputation de faits précis contraires à l’honneur ou à la considération soit des injures et

    qu’à défaut il en résulte une incertitude contraire aux exigences de la loi sur la presse et aux droits de la défense».

    « Qu’en statuant ainsi, quand satisfait aux prescriptions du texte précité la citation qui indique exactement au défendeur les faits et les infractions qui lui sont reprochés, et le met ainsi en mesure de préparer utilement sa défense sans qu’il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures, et ceux qui constitueraient des diffamations, la cour d’appel a violé ce texte ».

    L’affaire ayant été renvoyée devant la même cour autrement composée, la cour d’appel de Paris a, se rebellant, confirmé, par arrêt en date du 15 février 2011, l’annulation de l’assignation objet de l’ordonnance du 14 juin 2007 par les considérations suivantes :

    «Considérant…que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvent poursuivis sous deux qualifications différentes ; que ce cumul de qualifications est de nature à créer une incertitude pour les défenderesses préjudiciable à leur défense ; que l’assignation ne répond dès lors pas aux exigences de l’article 53 susvisé ; que ce vice affecte l’assignation de l’acte en son entier…. »

    C’est l’arrêt attaqué.

    LE POURVOI.

    Le moyen unique de cassation propose trois branches :

    • L’assignation était suffisamment précise et permettait aux défenseurs de préparer leur défense sans qu’il soit nécessaire, dans la citation des passages incriminés, de préciser ceux qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations, son annulation viole donc les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

    • La Cour aurait du avoir une démarche distributive et ne pas annuler l’ensemble de l’assignation ;

    • La circonstance que les mêmes propos soient publiés à des dates différentes et dans un contexte différent autorise-t-elle la considération qu’il s’agit d’un fait unique insusceptible de qualifications cumulatives ?

    *********

    L’ANALYSE

    L’apparente limitation à un aspect purement procédural du moyen avancé à l’appui du pourvoi ne doit pas dissimuler les enjeux du débat soumis à la Cour de cassation après la rébellion de la cour d’appel de Paris.

    D’ailleurs, la communauté des juristes, et notamment celle des spécialistes du droit de la presse, ne s’y est pas trompée.

    En effet, les réactions doctrinales, favorables ou défavorables, aux termes de l’arrêt de la première chambre de la Cour en date du 8 avril 2010, sont le témoin d’enjeux bien plus importants, que sont celui, d’une part, juridique, du principe d’uniformisation, sous la bannière de la loi du 29 juillet 1881, du droit, notamment processuel, de la presse et celui, d’autre part, sociétal, de la protection de la liberté d’expression qui relève de l’essence même de nos démocraties, l’un et l’autre étant intimement liés.

    Il est d’ailleurs intéressant de constater que ni les tenants d’un droit unifié de la presse1, ni les défenseurs d’une autonomie de la procédure civile en ce domaine2 ne se satisfont de la solution dégagée par la première chambre civile de notre Cour dans son arrêt précité.

    L’assouplissement des règles procédurales du procès civil dans le champ du droit de la presse, et notamment celles relatives à l’acte introductif d’instance, peut-il, comme certains ont pu l’écrire, aboutir à vider la protection de la liberté d’expression de toute effectivité ?

    La détermination des règles procédurales applicables ne serait-elle qu’un cheval de Troie d’un mouvement plus profond de remise en cause de l’élaboration, au fil des arrêts rendus, y compris en assemblée plénière, par notre Cour, du principe de l’application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en matière civile comme en matière criminelle.

    L’importance de la réponse qu’il conviendra d’apporter au moyen soulevé, essentiellement dans sa première branche, doit se mesurer à l’aune des principes fondamentaux que les règles relatives à l’assignation en matière de presse contribuent à protéger.

    La liberté d’expression est indéfectiblement attachée aux principes fondateurs de notre démocratie.

    L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que
    « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » et Bertrand de Lamy relève que « non seulement la libre communication fait l’objet d’une affirmation spéciale, mais encore elle est
    seule expressément qualifiée de droit des « plus précieux de l’homme »3.

    Pour le Conseil constitutionnel, la liberté proclamée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen constitue une « liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et

    1 C. BIGOT : « La Cour de Cassation remet en cause l’uniformisation des procédures civiles et pénale en matière de presse » Dalloz 2010 p.1673.
    2 E. DREYER « Galimatias juridique en matière de presse » JCP ed.G n°52 du 26 décembre 2011.
    3 B. de Lamy, La constitution et la liberté de la presse, Les nouveaux cahiers du conseil constitutionnel, Dalloz n°36, 2012

    la souveraineté nationale »4, ajoutant, dans sa décision du 20 mai 2011, que cette liberté était une « condition de la démocratie»5.

    Pour autant, cette liberté fondamentale ne saurait constituer une immunité absolue et les abus auxquels elle peut donner lieu doivent être réparés, voire sanctionnés, sous certaines conditions.

    Dans le considérant 37 de sa décision du 11 octobre 1984 précitée, le Conseil constitutionnel consacre la compétence exclusive de la loi afin de limiter éventuellement l’exercice de cette liberté «…la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».

    Si ces considérations fondamentales sur l’essence même du principe de la liberté d’expression ne font pas, ne font plus, débat, tout aussi essentielle est la détermination des règles procédurales qui autoriseront une réelle effectivité de la protection de la liberté d’expression lors de la mise en oeuvre d’instances tendant à la sanction des abus de droit éventuels.

    En effet, si les conditions de cette mise en œuvre ne sont pas, elles-mêmes, enserrées dans un cadre suffisamment précis et contraint, la protection offerte par la loi ne se révélerait qu’incantatoire.

    Cette exigence est d’autant plus prégnante que, par sa jurisprudence abondante relative aux dispositions de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de Strasbourg a développé une conception très extensive de la liberté d’expression, la qualifiant de « chien de garde de la démocratie »6, et érigeant la protection des sources journalistiques au rang de « pierre angulaire »7 de nos Etats de droit.

    La Cour européenne considère, comme nos législateurs de la fin du 19ème siècle, qu’elle « ne se trouve pas devant un choix entre deux principes antinomiques mais devant un principe -la liberté d’expression- assorti d’exceptions qui appellent une interprétation étroite »8 ajoutant «… la “nécessité” d’une quelconque restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit être établie de manière convaincante »9.

    Notre loi de 1881, pour Patrick Auvret « correspond à l’esprit et à la lettre de la
    Convention européenne »10, relevant par ailleurs que « les règles de procédure, si décriées

    4 Décision DC n°84-181 du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.
    5 Décision QPC n°2011-131 du 20 mai 2011, décision DC n°2012-647 du 28 février 2012
    6 Cedh Goodwin c/ Royaume-Uni, 27 mars 1996, §39
    7 Cedh Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, JP constante, voir par ex. Cedh July et Sarl Libération c. France, 14 fév. 2008
    8 Cedh Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976
    9 Cedh Sunday Times c/ Royaume-Uni (n°2), 26 novembre 1991, § 50
    10 P. Auvret, La concordance entre la loi de 1881 et la Convention européenne des droits de l’homme, Petites
    Affiches 23 décembre 2003, n°357, p. 13

    par certains, correspondent parfaitement aux exigences de l’article 6 de la convention européenne.

    *******

    Cependant, la liberté de la presse n’a jamais été conçue comme un droit absolu affranchi de toute limite et ce pilier essentiel de nos systèmes démocratiques ne saurait efficacement s’exercer sans une nécessaire répression des abus auxquels elle peut donner lieu.

    Le régime du droit de la presse est le fruit de ce compromis nécessaire et les règles posées par le législateur en cette matière ainsi que leur interprétation par la jurisprudence, s’insèrent entre un dispositif attentatoire aux droits de la personne par la protection offerte à la liberté d’expression et une censure restrictive de cette libre communication des idées et des pensées, protectrice de droits de la personne face à certains abus de cette liberté.

    Conçue comme un « code complet de la matière »11, Monsieur Pierre Guerder avance que « la loi de 1881 a été voulue, comme une loi de compromis. Elle a fixé des limites à la liberté de la presse, à travers l’incrimination des crimes et délits commis par certains moyens, mais elle a compensé ces restrictions par un régime procédural dérogatoire au droit commun, très strict, multipliant les obstacles à la poursuite, au risque de fragiliser celle-ci, dans le but de privilégier les droits de la défense. Depuis 1881, la loi sur la liberté de la presse a subi des modifications et des ajouts qui n’en ont pas changé l’économie générale, ni
    altéré la valeur symbolique ».12

    La protection de la liberté de communiquer ne peut, évidemment, être dissociée des moyens procéduraux permettant d’en sanctionner les abus.

    Mais la loi de 1881, loi d’apparence répressive, s’est peu à peu affirmée comme le creuset de la responsabilité civile encourue à raison des incriminations contenues dans ce texte.

    Le principe est celui de la solidarité facultative des actions pénale et civile. L’action civile peut donc être exercée simultanément à l’action publique devant la juridiction répressive, ou indépendamment de l’action publique devant la juridiction civile.

    Toutefois, la solidarité des actions peut être obligatoire dans certains cas. Ainsi, l’article 46 de la loi de 1881 subordonne l’action civile à l’action publique en cas de délits commis envers les cours et tribunaux, les armées, les corps constitués et les administrations publiques (art. 30). Il est également interdit de poursuivre séparément de l’action publique, l’action civile en réparation des délits commis envers les ministres, les élus, les fonctionnaires publics, les citoyens chargés d’un service public, les jurés et les témoins (art. 31). Cette solidarité réserve donc à la juridiction répressive la compétence pour statuer sur l’ensemble des intérêts en cause.

    La jurisprudence considère de longue date que la solidarité des actions pour les délits prévus aux articles 30 et 31 implique le contrôle de la qualification des faits par le juge civil.

    11 M.Pierre Guerder, Rép. Pén. Dalloz, §8
    12 M. Pierre Guerder, Rép. Pén. Dalloz §12

    Celui-ci a l’obligation de contrôler la qualification légale des faits qui lui sont soumis et de se déclarer d’office incompétent si ces faits relèvent des infractions réprimées par les articles 30 et 3113.

    La partie qui s’estime victime d’abus en ce domaine est donc soumise, sans discussion possible, au cadre procédural fixé par la loi de 1881.

    Néanmoins, ces cas de solidarité obligatoire ou d’exclusion de solidarité des actions sont circonscrits. Pour la plupart des délits de presse, et notamment les deux plus usités, la diffamation publique envers un particulier (art. 32) et l’injure publique envers un particulier (art. 33), la partie lésée a le choix de la juridiction devant laquelle elle souhaite porter son action civile et ainsi obtenir réparation du délit dont elle estime qu’il lui a causé un préjudice.

    Ce libre choix soulève la question des règles procédurales applicables devant les juridictions pénale et civile.

    Pour Iehring, « les formes sont les servantes du droit », et s’il est un domaine où cette formule prend tout son sens, c’est sans aucun celui du droit de la presse.

    Quels sont les termes du débat soumis à l’Assemblée plénière de la cour.

    Depuis la fin des années 1990, la deuxième chambre civile, puis la première chambre civile de la Cour de cassation à qui a été transféré le contentieux de la presse, ont étendu les exigences particulières de la loi de 1881, notamment telles qu’interprétées par la chambre criminelle, y compris en ce qui concerne les termes de l’acte introductif d’instance, aux procédures intentées en réparation devant le juge civil, position couronnée par deux arrêts d’assemblée plénière de notre Cour en date du 12 juillet 2000 qui ont posé le principe de l’exclusivité des dispositions de la loi de 1881 comme support textuel de la réparation de toutes les atteintes par voie de presse.

    Il était donc acquis qu’en vertu de cette uniformisation du droit applicable tant aux procédures civiles qu’aux procédures pénales, l’acte introductif d’instance en matière civile devait répondre aux exigences posées par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose :

    « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
    Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public.
    Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite».

    13 Civ. 11 juin 1898, DP 1898, 1.510, Civ. 8 fév. 1909, DP 1909, 1.471, ou plus récent Civ. 2ème 30 sept.
    1998, n°97-10280:« Attendu que (…) l’action civile résultant du délit de diffamation publique envers une administration publique ne peut être poursuivie séparément de l’action publique et que cette prohibition d’ordre public impose au juge civil saisi d’une action de cette nature de la déclarer irrecevable »

    © Copyright Cour de cassation

    L’interprétation des dispositions de l’article 53 par la chambre criminelle, sillon des exigences procédurales de mise en œuvre de l’action en sanction et réparation des abus ou de la protection en creux de la liberté d’expression.

    Ces prescriptions de l’article 53 sont le pendant de celles posées à l’article 50 concernant le réquisitoire introductif sur l’application duquel la chambre criminelle a bâti une jurisprudence stable et ancienne.

    Ainsi, la chambre criminelle a-t-elle confirmé l’arrêt d’une cour d’appel qui annule la citation d’un prévenu du chef d’injures publiques et visant le texte d’incrimination de l’injure publique mais aussi un texte relatif à la répression de la diffamation :

    « Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; Attendu qu’en obligeant le demandeur à préciser et à qualifier le fait incriminé et à indiquer le texte de loi applicable à la poursuite, le législateur a voulu seulement, dans l’intérêt de la défense, que l’objet de la prévention fut d’avance expressément déterminé ».14

    Comme pour l’article 50, la chambre criminelle considère que l’article 53 al.1er « a pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite afin que le prévenu puisse connaître les faits dont il aura exclusivement à répondre »15.

    Dans son arrêt en date du 7 décembre 2010, elle a tenu à préciser à nouveau :

    « Pour constituer une diffamation, l’allégation ou l’imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme de l’articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ».16

    Ainsi que le relève un auteur, « Il s’agit d’une règle essentielle parce qu’elle est une garantie de la liberté d’expression. La notion de précision dans l’article 53 équivaut à la notion d’articulation dans l’article 50 ».17

    Comme le réquisitoire introductif, la citation directe doit spécifier les passages et propos incriminés à l’intérieur d’un article, afin de permettre au prévenu de préparer utilement sa défense.18

    S’agissant de la problématique plus particulière soumise à l’assemblée plénière, notamment par la première branche du moyen, la qualification d’un fait unique doit être unique. La jurisprudence de la chambre criminelle rappelle fréquemment cette prohibition des qualifications alternatives en matière d’injure et/ou de diffamation.

    « En matière de presse, la citation, doit à peine de nullité, qualifier le fait et énoncer l’article de loi applicable ; une qualification alternative est insuffisante ».19

    14 Crim 20 mai 1958. BC 410 ( SDER)
    15 JP constante, voir par ex. Crim. 8 nov. 1983, n°82-93992
    16 Crim 7 décembre 2010 pourvoi 10-81.984 BC 197 (SDER)
    17 Rép. Pén. Dalloz §504
    18 JP constante, voir par ex. Crim. 27 mai 1999, n°98-83943

    Par arrêt du 30 mars 2005, la chambre criminelle a cassé l’arrêt ayant rejeté l’exception de nullité de la citation tirée d’une qualification alternative :

    « En matière de presse, la citation doit, à peine de nullité de la poursuite, qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable. Est nulle une citation visant, pour un fait unique, les qualifications, de nature et de gravité différentes, de diffamation envers citoyen chargé d’un mandat public, de diffamation envers particulier et d’injure, de telles qualifications alternatives créant nécessairement dans l’esprit du prévenu une incertitude quant à l’objet de la poursuite. »

    «Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les qualifications alternatives employées en l’espèce [diffamation au principal, injure subsidiairement] pour un fait unique étaient nécessairement de nature à créer une telle incertitude, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».20

    Une double qualification entache donc la citation de nullité21 quand bien même cette double qualification viendrait de poursuites exercées successivement :

    « Attendu qu’il résulte des dispositions de ce texte que les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer une incertitude dans l’esprit du prévenu, et que, si des poursuites relatives aux mêmes imputations qualifiées différemment et visant des textes de loi distincts ont été engagées successivement devant la juridiction civile, puis pénale, la seconde se trouve frappée de nullité ».22

    Cependant, la chambre criminelle privilégie une lecture téléologique des dispositions de la loi de 1881 en ce domaine, en rappelant que seule une incertitude quant à l’objet de la poursuite entache l’acte d’une irrégularité attentatoire aux droits de la défense.

    Ainsi, lorsqu’un écrit contient plusieurs faits distincts susceptibles de qualifications différentes, la chambre criminelle a admis qu’il n’était pas toujours nécessaire que le réquisitoire introductif qualifie chaque chef de poursuite de manière distincte :

    « …que dès lors elles répondent aux prescriptions de l’article 50, sans qu’il soit nécessaire qu’elles précisent ceux des faits qui constituent des injures et ceux qui au contraire, constituent des diffamations, ni dans quelle mesure ils concernent respectivement l’homme public et la personne privée ; d’où il suit que la cassation est encourue ».23.

    S’agissant des mentions exigées dans le cadre d’une action intentée par voie de citation directe, en cas de pluralité de faits distincts, et à l’exemple de la règle dégagée sur le fondement de l’article 50, la citation n’est pas entachée de nullité lorsque les faits qualifiés soit d’injurieux soit de diffamatoires ne sont pas distinctement énoncés, pour autant que les propos les contenant figurent dans la citation et qu’une qualification juridique globale soit proposée.

    19 Crim., 23 décembre 1959, pourvoi n° 90-34.5/59, Bull. crim. 1959, n° 578 (SDER)
    20 Crim. 30 mars 2005, n°04-84 976 Bull Crim. 111
    21 Crim. 9 mars 1965, Bull. crim. n°70, Crim. 16 janv. 1990 Bull. crim n°26, Crim. 1er mars 1994, n°91-85796
    22 Crim., 28 novembre 2006, pourvoi n° 05-83.492, Bull. crim. 2006, n° 301
    23 Crim. 29 avril 1969, Bull Crim. N°148, n°67-90412

    En revanche, demeure intangible la règle selon laquelle, un fait unique ne peut recevoir de qualifications cumulatives ou alternatives.

    La circonstance qu’un propos unique ait pu être diffusé à des dates différentes n’influe en rien la rigueur de ce principe.

    Conséquences, pour la chambre criminelle, de la violation des dispositions de l’article 53.

    Pour la chambre criminelle, les dispositions de l’article 802 relatives à l’existence d’un grief ne sont pas applicables en cas de violation des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 188124 et les formalités prescrites par ce texte sont substantielles aux droits de la défense, leur inobservation ayant pour conséquence la nullité de la citation.25

    En revanche, cette nullité n’entache pas nécessairement l’intégralité de la citation et il convient, en cas de faits distincts, que le juge examine, pour chacun des faits, l’existence ou non d’une violation de l’article 53 de la loi de 1881 :

    « Attendu, d’autre part, que c’est vainement qu’il est allégué par les demandeurs que la cour d’appel aurait du annuler la citation pour le tout ; qu’en effet lorsque, comme en l’espèce, la poursuite embrasse une pluralité de faits distincts susceptibles de qualifications différentes et que la citation précise ces faits en les qualifiant séparément et en indiquant pour chacun d’eux le texte de loi applicable, la juridiction de jugement devant laquelle la citation a été arguée de nullité, sur la base de l’article 53, alinéa 1er, de la loi susvisée, est tenue d’examiner si pour chacun des faits incriminés les prescriptions de ce texte ont été respectées
    ; que rien ne s’oppose alors, s’il y a lieu, à une annulation partielle de la citation, auquel cas les juges ont le devoir de statuer sur ceux des faits pour lesquels l’action publique a été régulièrement engagée et dont ils sont valablement saisis ».26

    L’application de l’article 53 à l’acte introductif d’instance civile.

    Nous le savons, cette interprétation par la chambre criminelle des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 a, jusque dans les années 1990, été cantonnée à la poursuite des infractions de presse par la voie pénale, la Cour de cassation considérant que les instances intentées pour diffamation par la seule voie civile ressortait des dispositions générales définissant la responsabilité civile et des règles de la procédure civile en dehors de celles relatives à la prescription abrégée.

    Ainsi la Cour pouvait-elle énoncer que :

    « Les dispositions de l’article 60 de la loi du 29 juillet 1881 prescrivant que la citation précisera et qualifiera le fait incriminé et indiquera le texte de loi applicable à la poursuite, le tout à peine de nullité, ne se rapportent, d’après leurs termes mêmes, qu’à la poursuite devant

    24 Crim., 17 mars 1981, pourvoi n° 79‐94.121, Bull. crim. 1981, n° 96.

    25 Crim., 26 juin 1984, pourvoi n° 83-91.283, Bull. crim. 1984, n° 244

    26 Crim. 11 mars 1976, pourvoi n° 75-81.785, Bull. crim. 1976, n° 94

    les tribunaux correctionnels ou de simple police ; que la nullité ainsi édictée ne saurait être étendue aux assignations devant les tribunaux civils, même pour réparation du préjudice résultant d’une diffamation par un journal ».27

    Pour Monsieur Dreyer, « les tribunaux civils développèrent ainsi leur propre conception de l’injure et de la diffamation « civiles » sanctionnées au visa de l’art. 1382 c. civ. en application des seules dispositions de procédure civile alors applicables ».28

    Le mouvement d’uniformisation des procédures a notamment été initié par un arrêt en date du 5 février 1992, rendu aux conclusions de l’avocat général Dubois de Prisque, dans lequel la deuxième chambre civile a fait application de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 au « référé diffamation »29 :

    « Vu les articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 6-1 et 10 de la
    Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » ;

    « Le juge des référés ne peut condamner un journaliste, auteur d’un article diffamatoire, à verser une provision à la victime, sans respecter le délai d’ordre public de 10 jours, après la signification de l’assignation, dont dispose la partie assignée en diffamation qui veut être admise à prouver la vérité des faits diffamatoires ».

    Jean-François Burgelin commentait alors cette décision en avançant que « l’arrêt du 5 février 1992 n’a eu d’autre objet que de rappeler la prééminence de la loi sur la presse sur les textes réglementaires du nouveau code de procédure civile », pressentant déjà l’évolution à venir.30

    Aux termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 “ la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » et il serait paradoxal que des textes de nature réglementaire viennent, de fait, limiter la partie de la proclamation solennelle contenue dans le préambule de la Constitution ainsi que le monopole de la loi dans le domaine de la protection des droits fondamentaux, qui sont de l’essence même de nos démocraties.

    L’uniformisation de la procédure applicable en la matière semble consacrée avec l’arrêt du 19 février 1997, par lequel la deuxième chambre civile reconnaît applicable aux instances civiles l’intégralité des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 dans les termes suivants :

    « Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ; »

    « Attendu qu’il résulte de ce texte que l’assignation doit préciser et qualifier le fait invoqué et indiquer la loi applicable à la demande; (…) »

    27 ‐ Req., 8 avril 1895, D.P. 1895, 1, p. 360, conclusions Desjardins

    28 E. Dreyer, Qu’est devenue la responsabilité civile en matière de presse? D. 2004, p. 590
    29 Civ. 2ème, 5 février 1992, n°90-16022 Bull. 1992 II n° 44
    30 J.F. Burgelin, D. 1992, p.442 comm. sous Civ. 2ème 5 février 1997

    « Attendu que pour décider que l’assignation avait interrompu la prescription, la cour d’appel a retenu que les écrits dénoncés étaient dès l’acte introductif d’instance, qualifiés d’injures publiques et que l’action étant ainsi régulièrement intentée, le délai prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 avait été interrompu ;
    Qu’en statuant ainsi, alors que l’assignation n’indiquait pas la loi sur laquelle étaient fondées les prétentions du demandeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé… »

    Mais le mouvement d’harmonisation des procédures pénale et civile par l’application pleine et entière des dispositions de la loi de 1881 au procès civil de presse a trouvé sa consécration dans l’exclusion pure et simple de la responsabilité civile en matière d’infractions de presse.

    Dès 1999, dans deux arrêts notamment, la deuxième chambre civile, a posé le principe de l’exclusion d’une autonomie de l’action civile fondée sur l’article 1382 du code civil:

    « Il appartient aux juges de restituer aux faits leur exacte qualification, sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Dès lors, c’est à bon droit qu’une cour d’appel, qui a constaté que la cause du dommage résidait dans la publication d’un article diffamatoire envers les plaignants et un de leurs auteurs décédés, a fait application de la prescription spéciale prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, bien que les parties eussent fondé leur action en dommages-intérêts sur l’article 1382 du Code civil, dès lors que les éléments de la diffamation publique envers des particuliers et envers la mémoire d’un mort se trouvaient réunis, et que la publication incriminée était interdite par l’article 38 de la loi
    précitée ».31

    Par deux arrêts de son assemblée plénière en date du 12 juillet 2000, déjà cités, la Cour de cassation a considéré que « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil ».32

    En consacrant ainsi l’autonomie et l’exclusivité de la loi de 1881 en matière de réparation des délits de presse, la Cour de cassation a reconnu la spécificité, voulue par le législateur, des règles qui doivent entourer l’exercice de la liberté d’expression.

    Elle s’inscrit ainsi dans une démarche protectrice de cette liberté fondamentale dont les abus ne peuvent être réparés sur le terrain de la responsabilité civile de droit commun.

    Ces arrêts ont donné lieu à de nombreuses réactions doctrinales, positives ou critiques.33

    Christophe Bigot n’hésite pas à présenter ces arrêts comme « l’éradication » de l’application de l’article 1382 du code civil en matière d’abus de presse, dans l’objectif d’éviter

    31 -2e Civ., 6 mai 1999, pourvoi n° 95-18.883, Bull. 1999, II, n° 79

    32 Ass. Plén. 12 juillet 2000, n°98-10160 et 98-11155 Bull. 2000 Ass Plén. N°8
    33 E. Derieux s’exclame ainsi: « De l’exclusion de l’application de l’article 1382 du code civil, en arrivera-t-on à l’exclusion de toute action civile autonome? » Petites affiches, 18 mai 2001, n°99, p.21. Pour d’autres réactions, voir ci-après.

    ainsi « que les garanties de la liberté d’expression contenues dans la loi sur la presse soient contournées ».34

    La deuxième chambre puis la première chambre civile35 ont, d’abord pour cette dernière, développé leur jurisprudence dans cette voie36,37,38,39.

    La première chambre civile a même étendu l’application de ce principe d’exclusion totale de l’article 1382 du code civil en matière de droit des personnes, à l’occasion d’une action fondée sur l’article 9-1 du code civil40 mais face aux vives réactions doctrinales, elle est rapidement revenue sur sa position et s’en est ensuite tenue à la formulation contenue dans les arrêts d’assemblée plénière41.

    S’agissant des conséquences de cette uniformisation des procédures civiles et pénales sous la bannière de la loi du 29 juillet 1881, la deuxième chambre civile, en a, s’agissant des conditions de fond relatives à l’acte introductif d’instance, tiré des conséquences similaires à celles dégagées par la chambre criminelle.

    Ainsi, dans trois arrêts en date du 14 mars 2002, elle énonce notamment :

    « Mais attendu que les abus de la liberté d’expression prévus par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ; qu’il résulte de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 que l’assignation délivrée à la requête du plaignant doit non seulement préciser et qualifier le fait invoqué, mais encore indiquer le texte de cette loi qui édicte la peine applicable aux faits entrant dans la définition d’une infraction de presse, tels qu’ils sont qualifiés ; »

    « Et attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les exigences de l’article 53 répondent à la nécessité pour le défendeur de connaître sans équivoque, dès la lecture de l’assignation, l’objet de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’il peut y opposer dans les conditions strictement définies par la loi ; que le demandeur ne peut, à peine de nullité de son acte introductif d’instance et donc de son assignation, recourir à des qualifications cumulatives des propos incriminés ; qu’il ne peut donc pas invoquer, tout à la fois et à titre principal, les dispositions spéciales de la loi sur la presse et l’article 1382 du
    Code civil relatif au droit commun de la responsabilité civile »42

    L’évolution récente de la jurisprudence de la première chambre civile :

    La première chambre civile a récemment, et en particulier depuis 2009, fait évoluer sa jurisprudence en se montrant plus souple sur les conséquences d’un non respect strict de la loi de 1881 dans le cadre de procédures civiles en responsabilité du dommage causé par voie de

    34 C. Bigot, La procédure en matière de presse en proie aux contradictions, Dalloz 2011, p. 1467
    35 A laquelle le contentieux a été attribuée en 2007
    36 Civ. 2e 8 mars 2001, n°98-17574
    37 Civ. 2e 14 mars 2002, n°00-13917
    38 Civ. 2e, 11 décembre 2003, n°02-12747
    39 Civ. 2e 25 janvier 2007, n°03-20506
    40 Civ. 1re, 27 septembre 2005, n°03-13622
    41 Civ. 1re, 29 novembre 2005, n°04-16508, Civ. 1re, 7 février 2006, n°05-10309, Civ.1re, 12 décembre 2006, n°04-20719, Civ. 1re 6 mai 2010, n°09-67624
    42 Civ. 2e 14 mars 2002, n°00-13917 précité

    presse en faisant notamment prévaloir, s’agissant entre autres de l’assignation, certaines règles de procédure civile au détriment des règles spéciales posées par la loi de 1881.

    Tout d’abord, par deux arrêts de cassation en date du 24 septembre 2009, publiés au bulletin, la chambre a estimé que :

    -la seule omission dans l’assignation de la mention de la sanction pénale que la juridiction civile ne peut jamais prononcer n’est pas de nature à en affecter la validité43;

    -l’indication dans l’assignation de l’adresse d’un avocat parisien, pouvant exercer, en vertu de la règle de la multipostulation applicable aux juridictions de Paris et de la petite couronne, les attributions autrefois dévolues aux avoués devant le tribunal de Nanterre où siège la juridiction saisie, emporte valablement élection de domicile du demandeur au sens de l’article 53 de la loi44.

    Déjà, dans un arrêt du 20 décembre 2007, elle avait considéré qu’en matière civile, la signification d’une simple copie de la citation au ministère public n’avait qu’une valeur informative et il importait donc peu qu’elle n’ait pas fait l’objet d’un acte séparé45.

    Plus récemment, par deux arrêts de cassation en date du 8 avril 2010, la chambre a poursuivi sur la voie de l’assouplissement des exigences procédurales en considérant que constituait un acte interruptif de prescription au sens de l’article 65 de la loi, la demande de report de l’ordonnance de clôture pour produire des pièces nouvelles et, en entrant en voie de cassation de l’arrêt qui avait retenu que la simple mention faite par le juge de la mise en état sur le bulletin de procédure fixant un nouveau calendrier ne manifestait pas, en l’absence de tout acte de procédure déposé par le demandeur, l’intention de celui-ci de poursuivre l’action et n’interrompait pas la prescription46.

    Un auteur a pu relever à cette occasion que « c’est la notion même d’acte interruptif de prescription qui est remise en cause puisqu’il suffit, non plus d’un acte de procédure, mais d’une simple déclaration unilatérale, orale ou écrite, pour interrompre la prescription ».47

    Dans son arrêt de cassation en date du 3 février 2011 la première chambre a, de manière inattendue, considéré qu’était valable une assignation aux fins de réparation à titre principal d’un préjudice tiré de propos diffamatoires, et, subsidiairement, du préjudice tiré de la faute civile constituée par ces propos en ces termes :

    « Qu’en statuant ainsi, quand la citation est valable dès lors que, par le visa de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 réprimant le délit imputé, elle ne laisse aucune incertitude sur son objet exact ni ne peut provoquer, dans l’esprit des intéressés, aucun doute sur les faits qui

    43 Civ. 1re 24 septembre 2009, n°08-17315
    44 Civ.1re 24 septembre 2009, n°08-12381
    45 Civ. 1re 20 décembre 2007, n°06-19628
    46 Civ. 1re, 8 avril 2010, n°09-65032
    47 C. Bigot, La Cour de cassation remet en cause l’uniformisation des procédures civile et pénale en matière de presse, Dalloz 2010, p.1673

    leur sont reprochés, peu important la référence à titre subsidiaire à l’article 1382 du code civil, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».48

    Ainsi la chambre n’a pas été convaincue par le raisonnement, pourtant peu original, développé par la cour d’appel qui avait jugé que :

    « …même présenté sous cette forme subsidiaire, ce cumul d’actions soumises à des procédures radicalement différentes, qui ne permet pas à la partie poursuivie de connaître avec certitude les faits qui lui sont reprochés, ni d’organiser sa défense en conséquence, équivaut à une absence de qualification au sens de la loi précitée sur la liberté de la presse, qu’à cet égard, la circonstance que M. X… et la SCPE ont notifié une offre de preuve dans les formes de la loi sur la presse démontre seulement l’obligation que ceux-ci ont eue de se défendre sur ce terrain, alors que cette procédure spécifique était inopérante dans le cadre d’une action qui était aussi fondée sur le droit commun de la responsabilité civile, que s’il est certain que cette obligation faite à la partie poursuivante dès le début de la procédure de donner aux faits leur exacte qualification risque, en cas d’erreur de sa part sur ce point, de la priver d’un recours effectif eu égard notamment au bref délai de la prescription en matière de presse, cette atteinte à ses droits est justifiée en l’espèce par les exigences tout aussi protégées de la liberté d’expression ; qu’enfin, contrairement à ce qui est allégué, les assignations contestées, qui visent à titre subsidiaire à engager la responsabilité civile des personnes défenderesses, ne comportent pas seulement le visa erroné ou surabondant de l’article 1382 du code civil » ;

    C’est face à ces variations et glissements que certains commentateurs49 ont pu qualifier de « grand écart » la jurisprudence de la Cour, Monsieur Dreyer s’interrogeant dans ces termes :

    « Que penser d’une telle décision ? La Cour de cassation donne le sentiment d’hésiter. Elle semble avoir perdu sa boussole en même temps que les principaux conseillers qui défendaient la position antérieure. Mais peut-on imaginer qu’une jurisprudence soit à ce point
    « l’affaire » d’une personne ? On peine à l’imaginer. Reste donc un constat : il n’apparaît pas acceptable, dans un souci de bonne administration de la justice, que les solutions évoluent aussi vite : 15 mois seulement séparent les positions contraires arrêtées en 2009 et 2011! Précisément, parce que le droit de la presse définit les conditions d’exercice d’une liberté fondamentale, l’exigence de sécurité juridique devrait s’imposer aux magistrats avec plus de force qu’ailleurs. Ces changements à répétition devraient être exclus. En toute hypothèse,
    leurs effets dans le temps devraient être aménagés »50.

    Cependant, la première chambre civile a réaffirmé sa position par un arrêt de cassation en date du 26 janvier 2012, en modifiant légèrement sa motivation conclusive51

    « Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
    « Attendu que prétendant que des propos contenus dans l’article intitulé “Petit bonhomme Rock Star”, revêtaient à son égard le caractère d’injures publiques envers un particulier prévu par les articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, subsidiairement

    48 Civ. 1ere, 3 février 2011, n°09-71711
    49 F. Fourment, comm. Sous. Civ. 1re, 3 février 2011, Gazette du Palais, 16 juin 2011 n°167, p.12
    50 E. Dreyer, Le droit de la presse entre douceur et fermeté, note sous arrêt Civ. 1re 3 février 2011, JCP G n°14,
    4 avril 2011, n°376
    51 Civ. 1re, 26 janvier 2012, n°10-27107, inédit.

    d’une faute civile au sens de l’article 1382 du code civil, M. X a assigné M. Z, directeur de la publication du magazine sur le site internet duquel avait été mis en ligne cet article, en réparation de son préjudic » ;

    « Attendu que pour déclarer nulle l’assignation déposée par M. X à l’encontre de M. Z, la cour d’appel a énoncé que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par
    la loi du 29 juillet 1881, tels que les propos litigieux, qualifiés dans l’assignation d’injures publiques envers un particulier, ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil, que l’invocation de l’application de ce texte à ces propos, tantôt à titre subsidiaire, tantôt de façon cumulative, introduit une incertitude pour le défendeur quant à l’objet exact de la demande et lui interdit de connaître avec précision la nature des moyens de défense qu’il peut lui opposer et qui diffère selon que l’action est fondée sur les dispositions particulières de la loi du 29 juillet 1881 ou qu’elle obéit au régime de la responsabilité civile de droit commun ;
    Qu’en statuant ainsi, quand la citation est valable dès lors que, par le visa de l’article de la loi du 29 juillet 1881 réprimant le délit imputé, elle ne laisse aucune incertitude sur son objet exact ni ne peut provoquer, dans l’esprit de l’intéressé, aucun doute sur les faits qui lui sont reprochés, peu important la référence à titre subsidiaire à l’article 1382 du code civil, la cour d’appel a violé le texte susvisé » ;

    Les conséquences de ces assouplissements sont plus que procédurales : en désapprouvant les juges du fond qui appliquent les solutions dégagées depuis près de quinze ans, ces arrêts peuvent laisser présager un retour larvé du droit civil en matière de presse, dès lors qu’elles dénient à la loi de 1881 toute vocation exclusive à régir la matière, ce qui constituerait une rupture évidente avec notre tradition juridique et la jurisprudence de Strasbourg.

    Toutefois, il convient de relever que la chambre a fermement refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à la prescription trimestrielle de l’action en réparation des abus de presse, et est revenue à cette occasion à une définition plus rigoureuse de l’acte interruptif de prescription.52

    Comme l’énonce le professeur Christophe Bigot :

    « Il était à craindre que, poursuivant dans sa logique, la première chambre civile soit tentée de poursuivre son travail de déconstruction à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la prescription. Il n’en a rien été. Au contraire, la chambre affiche clairement sa volonté de conforter la prescription trimestrielle prévue pour les infractions à la loi du 29 juillet 1881 et, par là même, conforte la cohérence et les grands équilibres de cette loi. Une parenthèse malheureuse est-elle en train de se refermer ? On peut
    le penser, ou, à tout le moins, l’espérer ».53

    La première chambre ne semble pas encore avoir franchi le pas en réassignant à la responsabilité civile de droit commun un rôle subsidiaire en matière de réparation des abus de presse, quoi qu’en disent certains auteurs.54

    52 Civ. 1re, 5 avril 2012, n°11-25290 précité.
    53 C. Bigot, La Cour de cassation conforte la prescription trimestrielle en matière de presse, Dalloz 2012, p. 1588
    54 « La haute juridiction a restauré la fonction subsidiaire de la responsabilité civile : elle a admis que d’autres abus de liberté d’expression peuvent exister que ceux prévus et réprimés dans la loi de 1881 » E. Dreyer, Le procès civil de la
    presse entre douceur et fermeté, JCP G n°14, 4 avril 2011, 376, Comm. Sous Civ. 1re 3 février 2011

    Certes, des arrêts paraissent ouvrir à nouveau le droit de la presse aux règles du droit civil, mais ils restent encore peu nombreux et l’analyse de la jurisprudence de la première chambre civile ne permet pas encore de conclure au retour de l’application de l’article 1382 du code civil en matière de presse.

    Au contraire, semble-t-il, par arrêt du 6 octobre 2011, publié au bulletin, la chambre a tenu à réaffirmer l’autonomie et l’exclusivité de la loi du 29 juillet 1881 en matière d’abus de presse :
    « Vu l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881; (…)
    Attendu que pour rejeter le moyen de défense de M. X… tendant à l’application aux faits litigieux des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, l’arrêt attaqué énonce que le contenu du blog de M. X…, qui a agi de façon anonyme et sous une présentation trompeuse, cherche effectivement à discréditer M. Y… auprès des électeurs, mais que cette entreprise ne repose que sur une présentation générale le tournant en ridicule à travers le prisme caricatural d’une vision orientée et partiale de sa politique locale ou de sa personnalité sans imputer spécialement au maire, ou au candidat, de faits précis de nature à porter, par eux-mêmes,
    atteinte à son honneur ou à sa considération ;

    Qu’en statuant ainsi alors que dans son assignation M. Y… reprochait à M. X… de l’avoir dénigré dans des termes de nature à lui causer un préjudice et que les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».55

    Mais réaffirmer le principe de la seule application des dispositions de la loi du 29 mai
    1881 au fond du litige et assouplir dans le même temps de manière significative les règles procédurales relatives à la fixation des termes du litige ne constitue-t-il pas une incohérence ou, à tout le moins, un risque majeur de confusion sur l’application des règles essentielles à l’exercice d’une liberté fondamentale.

    L’arrêt de rébellion aujourd’hui soumis à la Cour témoigne du malaise ressenti à cet égard et ce pourvoi offre l’occasion de réaffirmer le principe essentiel de l’application unique et entière des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 en matière d’abus de liberté d’expression.

    Certes, il peut paraître choquant que le formalisme exigé par ce texte constitue une série d’obstacles redoutables pour la victime de tels abus, mais un pareil déséquilibre dans la situation des parties est justifié selon un auteur, par le fait qu’« il ne faut pas oublier que les poursuites en matière de presse constituent des dérogations au droit d’expression de la
    pensée »56 même si, pour d’autres « La généralité de la faute constitue un progrès immense par rapport à l’énumération des délits civils romains et, de façon plus contemporaine, des
    ‘torts’ britanniques (…) Comment expliquer qu’un dommage reste sans réparation alors qu’il
    ne résulte pas d’un cas de force majeure, du fait de la victime ou d’un tiers, mais bien d’un exercice illégitime de la liberté d’expression imputable à une personne clairement identifiée? ».57

    55 Civ. 1re, 6 octobre 2011, n°10-18142
    56 Rép. Pén. Dalloz §524
    57 E. Dreyer, Disparition de la responsabilité civile en matière de presse, D. 2006 précité.

    Au détriment du respect des droits de la défense d’une liberté essentielle, la première chambre entend-elle réhabiliter la procédure civile et le droit civil dans le procès de presse ? C’est ce que dénoncent certains auteurs, c’est ce que nous n’envisageons pas.

    En admettant la validité subsidiaire du visa de l’article 1382 (arrêt du 3 février 2011) et en s’éloignant de la rigueur des prescriptions de l’article 53 de la loi, la première chambre est- elle en passe de « déconstruire » l’uniformisation du droit de la presse opérée depuis plus de vingt ans ?

    Il ne nous semble pas que l’atteinte à la liberté d’expression que protège et encadre la loi de 1881 soit réductible à un simple « fait quelconque » qui se verrait ainsi également sanctionné sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

    Sans avoir atteint l’apogée d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, les principes posés par loi de 1881 gravitent désormais dans une sphère constitutionnelle ainsi qu’a pu le démontrer les décisions du Conseil constitutionnel déjà citées.

    Le poids du temps, la construction méthodique de jurisprudences au niveau national comme international, sont parvenus sinon à sacraliser la loi de 1881, au moins à conforter les équilibres posés.

    On ne voudrait pas croire que le nouveau chemin dessiné par la première chambre civile ne porte subrepticement atteinte à cet équilibre par la recherche d’une simplification procédurale.

    L’information précise de la personne citée (par l’exigence de qualification), le jeu des moyens de défenses spécifiques suivant la qualification des faits (provocatoire ou de bonne foi) comme les règles particulières de prescription s’expriment et se déclinent en une procédure organisée, elle-même garante d’un équilibre trouvé.

    Il y a lieu de craindre que les évolutions imprimées par la jurisprudence de la première chambre civile ne conduisent à un alignement du contentieux sur le régime procédural civil de droit commun. Mais ni l’assignation de l’article 56 du code de procédure civile, ni l’exigence de présenter ses moyens et arguments, ni le temps d’une mise en état ne parviendront, mieux que la loi 1881, à maintenir l’équilibre entre liberté d’expression et répression de ces abus.

    En l’absence d’évolution de la jurisprudence européenne fragilisant l’édifice de la loi
    1881, ou de questionnements contemporains sur le droit de la presse invitant à redéfinir les équilibres trouvés, la relecture opérée par la première chambre civile de la jurisprudence de l’assemblée plénière de 2002 s’interprète plus comme la résurgence d’une position ancienne – et que nous redoutons – que comme la résultante d’exigences nouvelles.

    La première chambre civile s’est engagée dans une « voie particulièrement aventureuse, consistant à maintenir formellement l’application des règles procédurales de la loi sur la presse devant la juridiction civile, tout en les vidant de leur substance, entérinant

    ainsi une protection des moyens de défense à deux vitesses, à rebours des décisions rendues pendant plus de quinze années tendant à l’uniformisation des pratiques pénales et civiles ».58

    M. Bigot relève la « contradiction interne fondamentale » du raisonnement de la chambre dans l’arrêt du 8 avril : la chambre ne peut « à la fois réaffirmer l’application de l’article 53 de la loi, rappeler que l’assignation doit mettre le défendeur en mesure de préparer utilement sa défense et, en même temps, admettre pour les mêmes faits une double qualification d’injure et de diffamation ».

    Comme d’autres auteurs, Monsieur Bigot espère que l’assemblée plénière mettra fin à
    « l’insécurité maximale » qui règne aujourd’hui sur les actions en réparation introduites devant les juridictions civiles. En outre, d’après lui, le « corpus de règles de procédure qui imprime à la loi de la presse son rigorisme n’est pas une montagne ».59

    Il convient de relever que les juges du fond résistent aux soubresauts qui agitent actuellement la première chambre civile.

    Par exemple, la cour d’appel de Paris par un arrêt du 10 septembre 2010 a considéré que « l’application aux mêmes faits d’une telle double qualification [ici art. 1382 et art. 29 loi
    1881] en méconnaissance des prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui fait ainsi grief aux droits de la défense, doit être sanctionnée par la nullité de l’assignation ».60

    L’occasion est donc offerte de donner un signal fort de lisibilité et de prévisibilité de notre droit de la presse à l’ensemble de la communauté des juristes et d’assurer notre démocratie du constant souci de la Cour de cassation de protéger l’exercice de nos libertés fondamentales.

    Sous couvert d’une problématique purement procédurale, ce sont donc bien les garanties offertes par un Etat démocratique à l’exercice de la liberté de la presse qui sont en jeu.

    L’abolition de certaines contraintes et exigences, s’agissant de l’acte introductif de l’instance civile, aboutit, certes indirectement mais incontestablement, à limiter l’exercice effectif de cette liberté et, ce, de manière non convaincante pour reprendre la formule choisie par la Cour de Strasbourg.

    En rejetant la première branche du moyen, l’assemblée plénière rétablira la prééminence de la loi protectrice du 29 juillet 1881 sur une de ses dispositions essentielles relative à l’acte introductif d’instance et à la prohibition pour des expressions uniques, même séparées dans le temps, de qualifications cumulatives ou alternatives.

    Cette solution ne concerne pas l’argument avancé dans la deuxième branche qui pourrait ouvrir la voie à une cassation partielle, la jurisprudence, tant pénale que civile, faisant

    58 C. Bigot, La Cour de cassation remet en cause l’uniformisation des procédures civile et pénale en matière de presse, Dalloz 2010, p.1673
    59 C. Bigot, La Cour de cassation remet en cause l’uniformisation, précité.
    60 CA Paris 10 septembre 2010, n°09/23995

    obligation au juge d’apprécier la régularité de la citation ou de l’assignation à l’égard de chacun des faits articulés.

    La question qui demeure en revanche est celle de l’indivisibilité de l’ensemble des propos critiqués qui semble bien au cas d’espèce exister.

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