garde à vue – interrogatoire – assistance par avocat

garde à vue – interrogatoire – assistance par avocat

cassation france

Arrêt n° 592 du 15 avril 2011 (10-30.316) – Cour de cassation

– Assemblée plénière

GARDE À VUE

Rejet

Principe

 les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ;

 le premier président, qui a relevé que, alors que le detenu. avait demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure, il avait été procédé, immédiatement et sans attendre l’arrivée de l’avocat, à son interrogatoire, en a exactement déduit que la procédure n’était pas régulière, et décidé qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la rétention ; que le moyen n’est pas fondé ;

 


Demandeur(s) : Procureur général près la cour d’appel de Rennes
Défendeur(s) : Mme X…


Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’ordonnance attaquée (Rennes, 25 janvier 2010), rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de la procédure, que Mme X…, de nationalité chinoise, en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 19 janvier 2010 à 16 heures ; qu’elle a demandé à s’entretenir avec un avocat commis d’office ; que l’avocat de permanence en a été informé à 16 heures 30 ; que Mme X… a été entendue par les services de police de 16 heures 30 à 17 heures 10 ; qu’elle s’est entretenue avec un avocat de 17 heures 15 à 17 heures 45 ; que le préfet de la Vienne lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative le 20 janvier 2010 ; que ce dernier a saisi un juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention ; que Mme X… a soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de sa garde à vue et pendant son interrogatoire ; que le procureur général près la cour d’appel a interjeté appel de la décision ayant constaté l’irrégularité de la procédure ;

Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’ordonnance de refuser la prolongation de la rétention et d’ordonner la mise en liberté de Mme X…, alors, selon le moyen :

1°/ que par application de l’article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un Etat n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement partie ;

2°/ que, de l’article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu’en droit français, les personnes gardées à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le premier interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque, aux termes de cet article, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat, au besoin commis d’office par le bâtonnier ; que s’il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l’avocat, qui est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, peut toutefois s’entretenir avec le gardé à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et qu’à l’issue de cet entretien, d’une durée maximale de trente minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;

3°/ qu’aucune disposition de procédure pénale, d’une part, n’impose à l’officier de police judiciaire de différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, d’autre part, n’exige de l’avocat désigné pour assister le gardé-à-vue qu’il informe l’officier de police judiciaire et le gardé-à-vue de sa décision d’intervenir ou non et de l’éventuel moment de son intervention ;

Mais attendu que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ;

Et attendu qu’après avoir retenu qu’aux termes de ses arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie, rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde, soit effectif et concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires, le premier président, qui a relevé que, alors que Mme X… avait demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure, il avait été procédé, immédiatement et sans attendre l’arrivée de l’avocat, à son interrogatoire, en a exactement déduit que la procédure n’était pas régulière, et décidé qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la rétention ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;


Président : M. Lamanda, premier président
Rapporteur : Mme Bardy, conseiller, assistée de M. Régis et Mme Georget, auditeurs au service de documentation des études et du rapport
Avocat général : Mme Petit, premier avocat général

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  1. Rapport commun aux dossiers n° P 10-17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242

    Par quatre arrêts du 18 janvier 2011, la première chambre civile a renvoyé les affaires en référence devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation en application de l’article L. 431-7, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire.

    1 – Rappel des faits et de la procédure

    Dossier P 10-17.049 :
    Mme X…, de nationalité comorienne, en situation irrégulière en France, a été interpellée le 1er mars 2010 dans les circonstances suivantes : des fonctionnaires de police se sont présentés au domicile de Mme A…, à la recherche de Mme B… qui faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et était domiciliée à cette adresse ; en l’absence de la personne recherchée, la porte leur était ouverte par Mme X… dont les policiers contrôlaient l’identité en relevant l’existence d’une raison plausible de soupçonner qu’elle était susceptible de leur fournir des renseignements utiles à l’enquête.

    Mme X… a été placée en garde à vue à compter du 1er mars 2010 à 11 heures 30. Ses droits lui ont été notifiés à 12 heures 15 et elle a demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure. La permanence des avocats a été informée à 11 heures 55. Mme X… a été entendue par un agent de police judiciaire de 12 heures 30 à 13 heures 15.

    Elle a rencontré son avocat de 14 heures 10 à 14 heures 30.

    Le préfet du Rhône a pris, à son encontre, un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention qui lui ont été notifiés le 1er mars 2010 à 15 heures 30. Par ordonnance du 3 mars 2010, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lyon a ordonné la prolongation de la rétention de l’intéressée pour une durée maximum de 15 jours. Par ordonnance du 5 mars 2010, le premier président de la cour d’appel de Lyon a confirmé cette décision. Mme X… a formé un pourvoi régulier à l’encontre de cette ordonnance.

    Dossier F 10-30.313 :
    Mme Y…, de nationalité kenyane, en situation irrégulière en France, a été interpellée le 22 janvier 2010 et placée en garde à vue à compter de 8 heures 15. Elle a pu s’entretenir, au cours de la garde à vue, avec un avocat, mais l’heure à laquelle cet entretien s’est déroulé n’est pas mentionnée dans le procès-verbal. Le 22 janvier 2010, le préfet des Deux-Sèvres lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative.

    Par ordonnance du 23 janvier 2010, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes a dit la procédure irrégulière et n’y avoir lieu à la prolongation de la mesure de rétention. Par ordonnance du 24 janvier 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a suspendu les effets de cette décision. Par ordonnance du 25 janvier 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le procureur général près la cour d’appel de Rennes a formé un pourvoi régulier contre cette décision.

    Dossier J 10-30.316 :
    Mme X…, de nationalité chinoise, en situation irrégulière en France, a été interpellée le 19 janvier 2010 et placée en garde à vue à 16 heures. Elle a pu s’entretenir avec un avocat mais cet entretien s’est déroulé après son audition par les services de police. Le 20 janvier 2010, le préfet de la Vienne lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative. Par ordonnance du 22 janvier 2010, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes a dit la procédure irrégulière et dit n’y avoir lieu à prolongation de la mesure de rétention.

    Par ordonnance du 22 janvier 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a dit n’y avoir lieu de suspendre les effets de cette décision et dit que Mme X… sera remise en liberté. Par ordonnance du 25 janvier 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention Le procureur général près la cour d’appel de Rennes a formé un pourvoi régulier
    contre cette ordonnance.

    Dossier D 10-30.242 :
    M. X… a été interpellé le 14 décembre 2009 à 18 heures 10, pour vol d’une bouteille de vodka, il a fourni une fausse identité. II a été placé en garde à vue à 18 heures 40, pour vol et séjour irrégulier et ses droits lui ont été notifiés par l’intermédiaire d’un formulaire rédigé en langue arabe. A 19 heures 50, l’interprète étant arrivé, ses droits lui ont été notifiés par procès-verbal et M. X… a déclaré vouloir s’entretenir avec un avocat commis d’office, le procès-verbal étant clôturé à 20 heures. La permanence des avocats a été prévenue par téléphone à 20 heures 05. M. X… a été entendu de 20 heures 10 à 20 heures 30 et a fait, durant cette période, des déclarations “incriminantes“ en reconnaissant le vol de bouteille. Il s’est entretenu avec son avocat de 20 heures 50 à 21 heures 05. Il été entendu à nouveau, après que sa véritable identité ait été révélée, il est alors apparu qu’il était sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière prise par le préfet.

    La garde à vue a été levée le lendemain, 15 décembre 2009, à 16 heures 55 et, à 17 heures, il a été placé en rétention administrative. Sur requête du préfet de la Loire-Atlantique, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes a, par ordonnance du 17 décembre 2009, ordonné la prolongation de la rétention administrative pour une durée de 15 jours. Par ordonnance du 18 décembre 2009, le premier président de la cour d’appel de Rennes a infirmé cette décision et mis fin à la mesure de rétention administrative. Le procureur général près la cour d’appel de Rennes a formé un pourvoi régulier contre cette ordonnance.

    2 – Analyse succincte des moyens

    Dossier P 10-17.049 (ci-après pourvoi Mme X…) :
    Par un moyen unique, il est fait grief à l’ordonnance attaquée de valider la procédure, en jugeant réguliers tant le contrôle d’identité que la garde à vue et le maintien en rétention administrative ;

    – selon la première branche, aux termes de l’article 78-2, alinéa 2, du code de procédure pénale, des agents de police agissant dans le cadre d’une enquête préliminaire sous le contrôle d’un officier de police judiciaire peuvent inviter à justifier de son identité une personne à l’égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou délit ; que l’ordonnance attaquée, qui ne procède que par affirmations abstraites, n’établit pas que les conditions d’application de ce texte soient réunies, méconnaissant ainsi les exigences du texte susvisé, ensemble l’article 66 de la Constitution ;

    – selon la deuxième branche, aux termes de l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’effectivité d’un procès équitable exige que la personne gardée à vue soit assistée d’un avocat dès son premier interrogatoire, qu’en l’espèce ces exigences ont été méconnues, que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme s’imposent aux pays adhérents ayant des dispositions législatives analogues à celles censurées et qu’en se déterminant comme il l’a fait, le premier président a commis une erreur de droit sur la portée normative des textes précités ;

    – selon la troisième branche, aux termes de l’article L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile étranger, l’assignation à résidence est subordonnée à deux conditions, d’une part, la disposition par l’étranger de garanties de représentation effectives et, d’autre part, la remise aux services de gendarmerie ou de police de documents d’identité, que le premier président n’a envisagé aucune de ces deux conditions alors que la requérante avait des garanties de représentation effectives ; qu’en se déterminant par un motif inopérant tiré du souhait de la requérante de rester sur le territoire national, entendu, à tort, comme la manifestation d’une opposition à la mesure d’éloignement, le premier président a méconnu le texte susvisé.

    Dossiers F 10-30.313 – J 10-30.316 (ci-après pourvois Mmes Y… et X…)
    Les moyens invoqués par le procureur général près la cour d’appel de Rennes sont identiques dans ces deux dossiers et peuvent faire l’objet d’un exposé unique. Le premier moyen, qui fait grief à chaque ordonnance attaquée de confirmer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, est pris de la violation des articles 63-4, 64, 591 et 593 du code de procédure pénale, 46 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

    Il est soutenu :

    – par une première branche, qu’un Etat n’est tenu, en application de l’article 46 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement parti ;

    – par une deuxième branche, que le dispositif législatif interne prévu par l’article 63-4 du code de procédure pénale qui permet l’accès à un avocat, choisi ou commis d’office, dès le début de la garde à vue, lequel est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, qui peut s’entretenir avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure, satisfait à l’exigence d’une assistance concrète et effective de l’avocat au sens de l’article 6 de la Convention ;

    – par une troisième branche, qu’aucune disposition du code de procédure pénale n’impose à l’officier de police judiciaire de différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, ni n’exige de l’avocat désigné pour assister la personne placée en garde à vue qu’il informe l’officier de police judiciaire de sa décision d’intervenir ou non et de l’éventuel moment de son intervention.

    Le second moyen, qui articule le même grief que le premier, est pris de la violation des articles 63-4 et 802 du code de procédure pénale, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958. Il est soutenu que l’annulation d’un procès-verbal ne peut entraîner que l’annulation des actes ultérieurs subséquents et à condition que l’acte irrégulier en soit le support nécessaire et, qu’en décidant, néanmoins, que la nullité du procès-verbal d’audition de l’étranger devait entraîner l’annulation de toute la procédure précédant le placement en rétention et, donc, des actes antérieurs au procès-verbal jugé irrégulier et des actes dont il n’était pas le support nécessaire, le conseiller à la cour d’appel de Rennes a méconnu le sens et la portée de l’article 802 du code de procédure pénale et de l’article 66 de la Constitution.

    Dossier D 10-30.242 (ci-après pourvoi M. X…) :
    Le premier moyen qui fait grief à l’ordonnance de déclarer la procédure de placement en garde à vue irrégulière, d’infirmer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, de mettre fin à la rétention et d’ordonner la mise en liberté de M. X…, est pris de la violation des articles 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale.

    La première branche rappelle les dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale et soutient, de façon identique à la deuxième branche du premier moyen des pourvois F 10-30.313 et J 10-30.316, que le dispositif interne de la garde à vue satisfait à l’exigence d’une assistance concrète et effective de l’avocat à la personne gardée à vue. La seconde branche fait valoir qu’aucune disposition n’impose à l’officier de police judiciaire d’attendre le bon vouloir de l’avocat qui n’est lui-même soumis à aucune obligation procédurale, et qu’à supposer que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme soit revêtue d’une autorité de chose interprétée et trouverait, de fait, à s’appliquer immédiatement en droit interne, force est de constater que l’audition de M. X… sur les faits de séjour irrégulier avait eu lieu postérieurement à son entretien avec l’avocat qui n’ayant déposé aucune observation, n’avait aucun grief à faire valoir.

    Le second moyen, pris de la violation des articles 63-4 et 802 du code de procédure pénale, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui fait grief à l’ordonnance attaquée de décider que la nullité du procès-verbal d’audition de M. X… devait entraîner la nullité de toute la procédure précédant le placement en rétention alors que ces actes n’avaient pas pour support le procès-verbal annulé. Il est exposé dans les termes identiques à ceux développés au soutien du second moyen des pourvois F 10-30.313 et J 10-30.316.

    3 – Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger

    Ces quatre pourvois posent la question de principe de la compatibilité de l’article 63-4 du code de procédure pénale à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales -ci-après la Convention au regard des conditions de l’assistance effective de l’avocat à la personne placée en garde à vue.

    Les autres points à trancher ont trait aux effets de l’annulation du procès-verbal d’audition au regard des autres actes de la procédure (second moyen des pourvois formés par le Procureur général).

    Une réponse distincte sera donnée aux première et troisième branches du moyen unique du pourvoi n° 10-17.049 formé par Mme X…

    4 – Discussion citant les références de jurisprudence et de doctrine

    Il paraît nécessaire, eu égard à l’intérêt de la question posée par les quatre pourvois relativement à la compatibilité du dispositif législatif interne de la garde à vue aux dispositions de l’article 6 § 3 de la Convention, de vider, à ce stade du rapport et sous réserve du sort qui sera réservé aux autres moyens des pourvois, les griefs formulés par le 2ème moyen des pourvois du Procureur général et les 1er et 3ème branches du moyen unique du pourvoi n° 10-17.049 de Mme X…, pour lesquels une décision de non-admission est proposée pour les raisons qui suivent :

    ► Sur le second moyen des pourvois du procureur général, pris de la violation de l’article 802 du code de procédure pénale1 :

    Selon la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation,2 l’annulation d’un acte de procédure n’étend ses effets qu’à ceux dont il est le support nécessaire en sorte que, d’une manière générale, l’annulation d’un procès-verbal ne peut se propager qu’à des actes qui lui sont postérieurs. Les ordonnances rendues par le premier président de la cour d’appel de Rennes, énoncent :

    (Pourvoi n° 10-30.316) que la violation de l’article 6 de la Convention [européenne] fait nécessairement grief à Mme X… mise en cause pour une infraction de séjour irrégulier sur laquelle portait l’enquête qui, seule, pouvait fonder le placement et le maintien de l’intéressée en garde à vue, mesure de contrainte à l’issue de laquelle elle a pu être placée en rétention ; que la procédure qui a précédé le placement en rétention, dont la prolongation est ici demandée, est irrégulière ;

    (Pourvoi n° 10-30.242) que la violation de l’article 6 de la Convention [européenne ] fait nécessairement grief à M. X…, notamment mis en cause pour une infraction de séjour irrégulier ; que la procédure qui a précédé le placement en rétention, dont la prolongation est ici demandée, est en conséquence irrégulière ; qu’il y a lieu d’infirmer l’ordonnance, de dire qu’il n’y a pas lieu à prolongation de la rétention de M. X… et d’ordonner sa mise en liberté ;

    (Pourvoi n° 10-30.313) qu’il résulte des pièces de la procédure que Melle Y… a demandé à voir un avocat et qu’elle a eu un entretien avec l’avocat de permanence ; que cependant l’heure à laquelle cet entretien a eu lieu ne figure pas à la procédure en sorte qu’il est impossible de savoir si l’entretien a été préalable à l’audition de Melle Y… ; que l’irrégularité de la procédure a été justement constatée par le premier juge en sorte qu’il a, à bon droit, refusé la prolongation de la rétention.

    Il en ressort que le premier président n’a pas annulé toute la procédure et notamment les actes antérieurs à l’audition, mais qu’il a, seulement, déclaré la procédure irrégulière à partir de l’audition des intéressés qui ne respectait pas les droits de la défense, cette seule irrégularité justifiant que la rétention ne soit pas prolongée.

    Ce moyen n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.

    ► Sur la première et la troisième branches du moyen unique du pourvoi n° 10-17.049 de Mme X… :

    Il est fait grief à l’ordonnance de valider la procédure en considérant réguliers tant le contrôle d’identité que la garde à vue et le maintien en rétention administrative.

    La première branche soutient que le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l’article 78-2, alinéa 2, du code de procédure pénale3.

    Dans cette affaire, les agents de police judiciaire agissaient dans le cadre d’une enquête préliminaire à l’encontre de Mme B…, étrangère en situation irrégulière en France. En l’absence de cette personne, Mme X… a ouvert la porte aux policiers qui ont considéré qu’il existait une raison plausible de soupçonner qu’elle était susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cours et ont contrôlé son identité.

    Le grief étant pris d’un manque de base légale, il paraît non fondé à l’aune des motifs de l’ordonnance attaquée qui relève que Mme X… a ouvert la porte du domicile de Mme A… chez qui elle résidait, aux policiers venus procéder à l’interpellation de cette dernière qui ne se conforme pas à un ordre de quitter le territoire ; qu’en application de l’article 78-2 du code de procédure pénale, Mme X… était susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête concernant Mme A… ; qu’il ne peut être reproché aux policiers de lui avoir demandé de justifier de son identité.

    La troisième branche soutient que le premier président s’est déterminé par un motif inopérant sur le souhait de Mme X… de rester sur le territoire national, entendu, à tort, comme manifestant une opposition à la mesure d’éloignement au regard de l’article L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Mais le grief paraît inopérant comme critiquant des motifs surabondants en l’état des motifs, non critiqués, du premier juge dont la décision est confirmée, retenant que l’intéressée n’offre pas de garanties suffisantes pour la bonne exécution de la mesure d’éloignement.

    Ce moyen ne paraît pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.

    ► L’applicabilité de l’article 6 de la Convention au contentieux des étrangers :

    La mesure de rétention administrative, prise par le représentant de l’Etat dans le département, et à Paris, par le préfet de police, permet de maintenir, s’il y a nécessité, dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à leur départ, les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement ou d’interdiction du territoire et qui ne peuvent pas quitter immédiatement le territoire français.

    La décision est écrite et motivée ; elle est prise, soit après interpellation de l’étranger et éventuellement à l’expiration de sa garde à vue, soit à l’issue de son emprisonnement s’il était détenu en prison. Le procureur de la République en est informé sans délai. L’étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps nécessaire à son départ et la décision initiale de placement vaut pour 48 heures.

    A l’expiration de ce délai, le préfet doit saisir obligatoirement le juge des libertés et de la détention pour toute prolongation de la mesure de rétention.

    Aux termes de l’article L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile4 le juge des libertés et de la détention est tenu d’informer l’étranger de ses droits et des délais de recours possibles contre toutes décisions le concernant. Il peut, à la demande de l’étranger, lui faire désigner un avocat d’office.

    Le juge des libertés et de la détention qui statue sans délai, par une ordonnance susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel, peut ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de 15 jours, soit, à titre exceptionnel si des garanties effectives de représentation sont fournies, décider de l’assignation à résidence de l’étranger ou mettre fin à la rétention s’il juge irrégulières les conditions d’interpellation de l’intéressé.

    Par un arrêt rendu en Grande Chambre le 5 octobre 2000, (Maaouia c. France, req. n° 39652/98), la Cour européenne des droits de l’homme -ci-après la Cour européenne- a écarté l’application de l’article 6 de la Convention au contentieux de l’entrée, du séjour et à l’éloignement des étrangers.

    Cet arrêt a été présenté comme validant la position de la Commission européenne des droits de l’homme qui considérait, de façon constante, que les autorisations de séjour ou les expulsions ne mettaient pas en jeu des droits et obligations de caractère civil, ni n’impliquaient d’accusation en matière pénale au sens de la convention de5 sauvegarde.

    Statuant sur le recours d’un requérant se plaignant de ce que la procédure en relèvement de l’interdiction du territoire français qu’il avait introduite en janvier 1994 avait abouti, seulement, en janvier 1998, dépassant le délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1 et en l’état du droit interne pertinent mettant en cause l’article 27 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ainsi que des articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale, la Cour européenne fait sienne la position de la Commission européenne qui considérait que la décision d’autoriser ou non un étranger à rester dans un pays dont il n’est pas ressortissant n’impliquait aucune décision sur ses droits et obligations de caractère civil ni sur le bien-fondé d’une accusation pénale dirigée contre lui au sens de l’article 6 § 1 ; elle justifie sa décision par le fait qu’en adoptant l’article 1 du Protocole 7 contenant des garanties spécifiques aux procédures d’expulsion des étrangers, les Etats ont clairement manifesté leur volonté de ne pas inclure ces procédures dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention de sauvegarde.

    Cette position a été critiquée par le juge Loucaides, dans son opinion dissidente, mais approuvée, bien qu’avec certaines réticences, par les juges Rozakis, Costa et Bratza qui font valoir, au-delà du débat sur le fait de savoir si les garanties prévues à l’article 1 du Protocole 7 justifiaient l’exclusion de celles prévues à l’article 6, que cet article trouvait, en réalité, application quand la procédure implique une décision sur des droits et obligations à caractère civil ou quand un tribunal décide du bien-fondé d’une accusation en matière pénale, et relèvent que la procédure en cause (relèvement d’une interdiction du territoire prononcée accessoirement à une condamnation pénale), ne débouchait pas sur la condamnation de l’étranger requérant, le tribunal correctionnel n’ayant été saisi que de la question de savoir s’il y avait lieu, ou non, de maintenir sur le territoire français un étranger jugé indésirable. Ce qui était en cause, c’est la décision même de la présence sur le territoire français d’un étranger.

    Pour la Cour européenne, la mesure d’éloignement n’est pas une sanction mais une mesure de simple police décidée dans le but d’éconduire la personne jugée indésirable par l’Etat ou de la dissuader d’enfreindre la législation sur l’entrée, le séjour des étrangers.

    Commentant, pour la critiquer sur le fond, cette décision, Bertrand de Lamy6 estime que la Cour européenne a entendu accorder aux Etats, “sur les décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers” une liberté de manoeuvre respectueuse de leur souveraineté, les mesures litigieuses relevant, par leur nature, du pouvoir d’appréciation des seules autorités nationales.

    La jurisprudence de la Cour de cassation reconnaît au juge des libertés et de la détention le pouvoir d’apprécier la régularité des conditions d’interpellation de toute personne étrangère placée en rétention administrative. Depuis les arrêts Bechta et Mpinga,7 le juge judiciaire statuant sur la demande de prolongation de la rétention, a le devoir, en tant que garant des libertés individuelles, de contrôler la régularité des conditions dans lesquelles est intervenu un contrôle d’identité, ainsi que les conditions de la garde à vue, lorsque ces mesures précèdent immédiatement le placement en rétention administrative.

    Par toute une série d’arrêts, la première et la deuxième chambres civiles ont défini le panel des droits dont doit bénéficier l’étranger en situation irrégulière : droit à la notification de ses droits, droit à un interprète, droit à un conseil.8

    Cette jurisprudence a pour prémisse que le juge des libertés et de la détention, s’il n’est saisi d’aucune infraction pénale et n’est pas juge pénal à titre principal, doit statuer sur la régularité de l’interpellation qui précède immédiatement la mesure de placement en rétention en tant que juge judiciaire garant de la liberté individuelle aux termes de l’article 66 de la Constitution. Il a le devoir de sanctionner les irrégularités attentatoires à la liberté individuelle et préjudiciables aux intérêts de l’étranger, comme à ceux de toute autre personne, quelle que soit sa nationalité, placée dans la même situation.

    L’étude effectuée par le Service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation, en annexe, révèle que le contrôle dévolu au juge des libertés et de la détention, sur la mesure de garde à vue, a trait à la décision de placement en garde à vue, sa durée, le délai d’avis au procureur de la république, la notification des droits.

    Le contrôle de la régularité de la garde à vue a pour unique fondement, outre l’article 66 de la Constitution, les règles du code de procédure pénale régissant la matière.

    Si le grief pris de la violation de l’article 6 de la Convention a été parfois invoqué au soutien de certains pourvois, il n’a pas donné lieu à réponse claire sur la question.

    Un seul arrêt de la deuxième chambre civile du 24 octobre 2002,9 vise l’article 6 en énonçant “mais attendu qu’il résulte de l’ordonnance et des pièces de la procédure que M. Z… n’a pas motivé son recours dans le délai d’appel ainsi que l’impose l’article 8 du décret du 12 novembre 1991,10 dont les dispositions n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention de sauvegarde” ;
    Ce qui était en cause, c’était les règles procédurales régissant la forme des recours formés contre une décision du juge des libertés et de la détention ayant prolongé la mesure de rétention administrative.

    L’analyse de la jurisprudence de la Cour européenne relative à l’application de l’article 6 de la Convention11 qui garantit certains droits au bénéfice des parties à un procès (§ 1) et les renforce en matière pénale (§§ 2 et 3), montre que la Cour réserve le champ d’application de ces dispositions aux décisions statuant sur des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil ou sur le bien fondé d’une accusation pénale.

    Aucun des arrêts rendus par la Cour européenne en matière de garde à vue et de conformité du dispositif juridique interne à l’exigence du procès équitable, au sens de l’article 6, qui seront étudiés par la suite, n’a trait à la situation d’un étranger en situation irrégulière qui, faisant l’objet d’une interpellation sur le fondement d’une législation nationale sur l’entrée et le séjour, est placé en garde à vue.

    La décision de principe rendue le 5 octobre 2000 a été confirmée par des arrêts ultérieurs, tous rendus en Grande Chambre.12

    Cette jurisprudence de la Cour européenne peut-elle avoir une incidence dans ces pourvois ?

    La garde à vue, définie par le Sénat, comme une “période de quelques heures ou quelques jours pendant laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction est retenue dans un local de police après avoir été arrêtée sans mandat d’arrêt “ constitue en soi une atteinte à la liberté individuelle dont le juge judiciaire est le garant.

    La Cour européenne a toujours jugé que les personnes placées en garde à vue étaient des <>, au sens de l’article 6, qui, en raison de la grande vulnérabilité dans laquelle elles se trouvaient placées, devaient bénéficier des garanties procédurales prévues à l’article 6 § 3c de la Convention.

    La garde à vue est, alors, prise comme une étape d’une enquête susceptible d’aboutir à une <> et, au delà, à un procès pénal, peu important la nationalité de la personne concernée et la régularité de sa situation au regard de la législation sur les étrangers.

    La Cour européenne a défini, dans l’affaire Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, req. n° 8130/78, l’accusation comme “la notification officielle émanant de l’autorité compétente du reproche d’avoir accompli une infraction pénale” idée qui correspond aussi à la notion de répercussions importantes sur la situation du suspect (§ 73). Les ordonnances attaquées par les pourvois du procureur général près la cour d’appel de Rennes font état de “la mise en cause” des intéressés pour une infraction de séjour irrégulier, les considérant comme en situation d’accusé au sens de l’article 6.

    Mmes X… (pourvois n° 10-30.316 et 10-17.049) et Y… (pourvoi n° 10-30.313) ont été interpellées et placées en garde à vue sur le soupçon d’infraction à la législation sur l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers sur laquelle elles ont été entendues. Elles se trouvaient bien en situation <>.

    La situation de M. X… (pourvoi n° 10-30.242) se présente de façon quelque peu différente. M. X… a été interpellé en flagrant délit de vol d’une bouteille de vodka et placé en garde à vue sous une identité qui s’est révélée être fausse ; après vérification de sa véritable identité, qui a mis à jour le fait qu’il se trouvait être sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière antérieurement pris à son encontre par le préfet, il a été entendu, dans la seconde phase de la garde à vue, sur sa situation au regard de la législation sur les étrangers. Il avait bien un statut <> au sens de l’article 6.

    La seule reconnaissance du statut d’accusé à un stade de la procédure en amont de l’intervention de l’autorité de police administrative pourrait suffire à justifier la portée et l’étendue du contrôle du juge des libertés et de la détention au respect, non seulement des dispositions législatives internes, mais également des garanties prévues à l’article 6 § 3 pour toute personne en situation d’accusé au sens de l’article 6 § 2 de la Convention. Il pourrait paraître paradoxal que le contrôle du juge judiciaire de la régularité de la garde à vue d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction diffère selon sa nationalité et que la garde à vue soit, en quelque sorte, à deux vitesses.

    Certes, il pourrait être objecté que, dans tous ces cas, les procès-verbaux de garde à vue ont été clôturés en “code 61 affaire non pénale” sur l’ordre du procureur de la république ; aucun d’eux n’a fait l’objet de poursuites pénales sur le fondement de ces procès-verbaux et, tous ont été mis à la disposition du préfet pour leur placement immédiat en rétention, dès la levée de la mesure de garde à vue, que le juge des libertés et de la détention n’a statué que sur la demande de prolongation d’une mesure de rétention administrative, rendue nécessaire par l’impossibilité d’exécuter immédiatement l’éloignement de l’étranger en exécution d’un arrêt de reconduite à la frontière, et qu’il ne décide pas du bien fondé d’une accusation dirigée contre l’étranger qui lui est présenté ni ne tranche une contestation portant sur des droits et obligations à caractère civil, la décision d’assignation à résidence, seule alternative à la prolongation de la mesure, n’impliquant qu’une appréciation de l’effectivité des garanties de représentation exigées par les textes.

    L’interprétation et le champ d’application de la Convention est du seul ressort de la Cour européenne dont la jurisprudence lie les Etats et les juridictions nationales. La Cour européenne rappelle, avec constance, le principe d’autonomie des notions de <> et de << bien-fondé d’une accusation pénale>>, qui ne peuvent être interprétées uniquement par référence au droit interne des Etats.

    Si l’assemblée plénière décidait que l’application de cette jurisprudence devrait conduire à exclure l’application de l’article 6 aux procédures qui sont l’objet des pourvois, ce qui rendrait inopérant le grief pris de la violation de l’article 6, un avertissement devrait être adressé aux parties, en application de l’article 1015 du code de procédure civile, sur ce moyen qui est de pur droit et qui, s’il était accueilli, aboutirait à la cassation sur les pourvois du procureur général sur ce moyen soulevé d’office, et au rejet du pourvoi n° 10-17.049 formé par Mme X…, par motif substitué à ceux critiqués.

    La compatibilité des dispositions de l’article 63-4, alinéas 1à 6, du code de procédure pénale avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

    L’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale, argué d’inconventionnalité, énonce :

    Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.

    Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

    L’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

    A l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

    L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.

    Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.

    Les thèses en présence, sont les suivantes :

    La position défendue par le procureur général près la cour d’appel de Rennes se résume ainsi :

    – contrairement aux affirmations des ordonnances attaquées, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ne s’appliquent pas directement en droit interne des pays, tiers au litige, que celles invoquées par le premier président de la cour d’appel ne peuvent lier le juge français et que, par application de l’article 46 de la convention de sauvegarde, un Etat n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est partie ;

    – que les dispositions de l’article 64 du code de procédure pénale sont d’interprétation stricte et que celles des articles 64 et 63-4 du même code ont été, ici, respectées à la lettre, que l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat est organisé en droit interne, qu’il est laissé pour partie à la discrétion de l’avocat, qu’il est concret et effectif au sens de la Convention et que, même à admettre que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme soit revêtue d’une autorité de chose interprétée et trouverait immédiatement application en droit interne, les intéressés ont, tous, bénéficié d’un entretien avec un avocat, lequel n’a déposé aucune observation écrite, de sorte qu’il n’en résulterait aucun grief ;

    La position défendue par Mme X… (pourvoi n° 10-17.049), nécessairement inverse, se résume comme il suit :

    – La Cour européenne, si elle n’impose pas aux Etats adhérents de modifier leur législation en fonction des arrêts qu’elle rend, estime, cependant, que ses décisions dépassent la simple autorité inter partes, considère que les Etats qui conservent dans leur ordre juridique respectif des dispositions qui sont contraires à la convention de sauvegarde, sont tenus de respecter cette jurisprudence sans attendre d’être
    attaqués ;

    – que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010 a considéré que les dispositions combinées des articles 62 et 63 du code de procédure pénale, autorisant l’interrogatoire d’une personne gardée à vue, ne permettent pas à cette dernière, retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat, qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération de circonstances particulières susceptibles de la justifier, qu’au surplus la personne gardée à vue ne se voit pas notifier son droit de se taire, considéré comme l’un des premiers droits de la défense ;

    – que le dispositif législatif interne ne répond pas aux exigences fixées par la Cour européenne, aux termes de ses décisions, pour garantir aux justiciables l’effectivité du droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 de la Convention, qui impose le bénéfice de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades de l’interrogatoire et le bénéfice de la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil.

    Au grief énoncé à la première branche du premier moyen des pourvois du procureur général, il peut être répondu :

    – que le juge judiciaire tire de l’article 55 de la Constitution13 l’obligation et le devoir de contrôler la conformité d’une loi aux engagements internationaux de la France ;

    – que la France a ratifié le 2 mai 1974 la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont les dispositions s’imposent au juge français ;

    – que la Convention, comme tout texte juridique doit être interprétée par le juge et que si la jurisprudence de la Cour européenne n’a pas d’effet direct en droit français, c’est à la lumière des arrêts de cette Cour que la conformité de la loi française aux dispositions de la convention de sauvegarde doit être appréciée, ainsi que rappelé par la Cour dans l’arrêt Salduz dans les termes ci-après “l’article 6 § 3 ne précise pas les conditions d’exercice du droit qu’il consacre. Il laisse ainsi aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable “ ;

    – que si la Cour européenne n’impose pas aux Etats adhérents de modifier leur législation en fonction des différents arrêts rendus (l’article 46, alinéa 1 de la Convention énonçant que les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties), elle estime pourtant, que ses décisions dépassent la simple autorité entre les parties et que tous les Etats qui conservent, dans leur ordre juridique respectif, une ou des normes nationales similaires à celles qui ont été déclarées contraires à la convention de sauvegarde, sont tenus de respecter cette jurisprudence sans attendre d’être attaqués devant elle (CEDH, Modinos c. Chypre, 22 avril 1993, A.259, req. n° 15070/89) ;

    – qu’au demeurant, l’arrêt rendu le 14 octobre 2010 par la Cour européenne dans l’affaire Brusco c. France (req. n° 1466/07) condamnant la France pour violation de l’article 6 en rappelant notamment (§ 45) que la personne gardée à vue a le droit d’être assistée d’un avocat, rend, en tout état de cause, le grief inopérant.

    La question de la conventionnalité du dispositif législatif interne conserve-t-elle son intérêt en l’état de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 30 juillet 201014 déclarant, notamment, les articles 63-4, alinéas 1er à 6 (ici en cause), et 77 du code de procédure pénale contraires à la Constitution qui a reporté au 1er juillet 2011 au plus tard l’abrogation de ces textes ?

    Il doit être répondu par l’affirmative, en l’état de la coexistence, dans notre ordre juridique national, d’un contrôle de constitutionnalité et d’un contrôle de conventionnalité, le premier effectué par le Conseil constitutionnel qui juge que le second ne lui incombe pas, et le second effectué par les juges judiciaire et administratif, et d’un projet de réforme de la garde à vue, à intervenir, dont les dispositions une fois adoptées pourraient ne pas être, pour autant, à l’abri de critiques et d’un contrôle de conventionnalité si elles étaient appréciées comme insuffisantes au regard des exigences actuelles, et à venir, de la Cour européenne des droits de l’homme en cette matière et de la décision du Conseil constitutionnel du 12 mai 2010 (DC2010/605) qui rappelle que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administrative et judiciaire pour faire prévaloir les engagements internationaux et européens de la France sur une disposition législative incompatible avec eux, lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution.

    Eléments de droit comparé :

    Un rapide aperçu de l’état du droit dans les autres pays européens met en lumière la très grande hétérogénéité des dispositifs internes en15 vigueur.

    Ainsi, sur trente trois Etats, vingt-neuf, dont la France, prévoient un entretien de la personne gardée à vue avec un avocat, dès le début de la mesure. La Belgique, où la garde à vue n’est envisagée que pour les seuls délits et crimes et ne peut dépasser 24 heures, la personne gardée à vue ne peut s’entretenir avec un avocat et doit attendre d’être placée en détention provisoire pour bénéficier de cette assistance. Dans certains pays, comme les Pays-Bas et l’Ecosse, l’entretien avec un avocat ne peut avoir lieu qu’après quelques heures de rétention et, parfois, qu’en cas de prolongation, comme au Maroc. D’un pays à l’autre, les attributions de l’avocat diffèrent et, selon le tableau établi par le SAEI (service des affaires européennes et internationales du ministère de la justice), sur les trente trois Etats, objet de l’étude, vingt-cinq permettent à l’avocat d’assister aux interrogatoires et parmi eux, vingt donnent à l’avocat accès au dossier. En Allemagne, le suspect peut, à tout moment, demander un entretien avec l’avocat de son choix qui n’assiste pas à l’interrogatoire. En Angleterre, l’avocat assiste aux interrogatoires mais peut en être exclu par la police si son comportement nuit à leur bon déroulement. Au Danemark, l’avocat assiste aux interrogatoires et peut avoir des entretiens confidentiels avec le suspect. En Espagne et en Italie, la personne placée en garde à vue a le libre choix de son avocat et celui-ci doit se présenter lors des interrogatoires ; si aucun avocat ne se présente au bout de 8 h de garde à vue, l’interrogatoire commence si le suspect y consent. Enfin, la plupart des pays prévoient un régime dérogatoire pour certaines infractions.

    Notre dispositif législatif interne est ainsi organisé :

    Un individu ne peut être mis en garde à vue que s’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction ; dès le début de la garde à vue, l’intéressé est avisé de son droit de s’entretenir avec un avocat (choisi ou commis d’office, si cette demande est formulée) ; l’avocat (ou le bâtonnier) en est informé sans délai, quelle que soit la réponse de l’avocat qui n’a pas l’obligation de venir voir son client dans les locaux de la garde à vue (du moins quand il est choisi) et quelle que soit l’heure à laquelle il arrive, les opérations d’enquête de police peuvent continuer à se dérouler y compris l’audition de la personne gardée à vue ; l’avocat est informé, dès son arrivée, par l’officier de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction reprochée à son client mais il n’a pas accès au dossier ; il peut s’entretenir avec la personne placée en garde à vue et peut rédiger des observations écrites qui sont jointes au dossier. En cas de prolongation de la mesure, un nouvel entretien avec l’avocat peut avoir lieu, dès le début de la prolongation dans les mêmes conditions que le premier.

    Enfin, pour certaines infractions à la délinquance organisée, particulièrement graves et limitativement définies par l’article 706-73 (meurtres en bande organisée, tortures et actes de barbarie en bande organisée) pour lesquelles la durée de la garde à vue est rallongée, la première intervention de l’avocat est retardée à l’issue d’un délai de 48 h, et pour deux autres infractions (trafic de stupéfiants et actes de terrorisme) cette première intervention est reportée à l’issue d’un délai de 72 h.

    La Cour européenne, au fil de ses arrêts, a progressivement élaboré une véritable charte des droits de la personne placée en garde à vue.

    Elle a décidé que les garanties du procès équitable au sens de l’article 6 valaient tant dans la phase préparatoire que dans la phase de jugement dans un premier arrêt du 24 novembre 1993 – Cedh, Imbrioscia c. Suisse.16

    Dans un arrêt ultérieur rendu en formation de Grande Chambre, John Murray c. Royaume Uni du 8 février 1996,17 elle a posé le principe de l’assistance de l’avocat dès le premier interrogatoire à moins que des raisons valables ne s’y opposent.
    Par l’arrêt rendu en formation de Grande Chambre le 27 novembre 2008, Salduz c./Turquie,18 dans une affaire concernant un mineur, elle a affirmé que pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 [de la convention de sauvegarde] demeure concret et effectif … il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer,à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit, et, insistant sur la vulnérabilité particulière dans laquelle la personne gardée à vue se trouve, que cette vulnérabilité […] ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même…. ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (§ 54),… qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors de l’interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (§ 55), et retient, in fine, que l’application systématique de dispositions légales, en raison de la nature de l’infraction, justifiant la restriction imposée à la personne privée de liberté constitue déjà en soi un manquement aux exigences de l’article 6 (§ 56).

    Si cet arrêt a donné lieu à des interprétations divergentes sur sa portée,19 notamment sur le fait de savoir si la présence de l’avocat incluait ou pas sa présence lors des auditions, sa portée s’est mieux appréciée à la lecture des opinions concordantes des juges Bratza, Zagrebelsky et celle des juges Casadevall et Türmen qui ont souligné que l’importance des interrogatoires est évidente dans le cadre de la procédure pénale, de sorte que, comme l’arrêt le souligne, l’impossibilité de se faire assister d’un avocat pendant les interrogatoires s’analyse, sauf exceptions, en une grave défaillance par rapport aux exigences du procès équitable.

    Par l’arrêt rendu le 13 octobre 2009, Dayanan c. Turquie,20 dans un contexte factuel similaire à celui de la précédente affaire, exception faite de ce que le requérant était une personne majeure et avait choisi de garder le silence au cours des interrogatoires menés pendant sa garde à vue, de sorte qu’aucun élément n’avait pu être retenu contre elle pour fonder sa condamnation, la Cour européenne a conclu à la violation de l’article 6 de la convention de sauvegarde en raison de l’absence systématique de l’avocat durant la garde à vue en rappelant qu’en ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue (…) le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (…) que l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire (§ 30, § 31), et reprenant la formule utilisée par le juge Zagbrebelsky, que l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer.

    Dans un arrêt du 2 mars 2010, Adamkiewicz c. Pologne (req. n° 54729/00), la Cour européenne réaffirme encore, que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin, commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (§ 2).

    Enfin, dans l’arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010,21 dans une affaire où le requérant alléguait des violations de l’article 6 de la Convention en soutenant que l’obligation de prêter serment pour une personne gardée à vue portait nécessairement atteinte à son droit au silence et son droit de ne pas participer à sa propre incrimination, la Cour européenne a dit qu’il y avait eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 s’agissant du droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence en relevant (au § 44) que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable… (au § 45) et que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie… Dayanan c. Turquie… Adamkiewicz c. Pologne), après avoir constaté (au § 54) qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire… et que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale… L ’avocat n’a donc pas été en mesure ni de l’informer sur son droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

    La citation des motifs de ces décisions de la Cour européenne est faite à dessein de mesurer le degré d’exigences posées par les juges européens pour satisfaire à l’équité du procès.

    La doctrine exprimée par ces arrêts, ramenée à l’essentiel, eu égard aux dossiers qui sont l’objet des pourvois, s’énonce ainsi : le suspect placé en garde à vue a droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue, et pendant les interrogatoires, car c’est à ce moment là, que privé de sa liberté, il doit être mis en mesure de bénéficier de toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil, et dont la mise en oeuvre est seule de nature à assurer l’assistance concrète et efficace d’un avocat ; une restriction au droit à l’assistance d’un avocat peut être admise au cas par cas, pour des raisons impérieuses ne tenant pas à la nature de l’affaire et il est en tout état de cause, porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations faites lors d’un interrogatoire suivi sans l’assistance d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation alors qu’aucune notification de son droit de se taire et à ne pas s’auto-incriminer ne lui a été faite par l’officier de police.

    En l’espèce, il ressort de la procédure que Mmes X… (pourvois n° 10-17.049 et 10-30.316) ont eu un entretien avec un avocat mais après leur audition, que Mme Y… (pourvoi n° 10-30.313) a eu un entretien avec un avocat sans que l’on sache à quel moment et dans quelles conditions et que M. X… (pourvoi n° 10-30.242) a eu un entretien avec un avocat après sa première audition sur la suspicion de vol et avant sa seconde audition sur l’irrégularité de sa situation de séjour.

    Par ailleurs, il ne résulte pas des procès-verbaux que ces derniers aient reçu notification de leur droit de se taire et de ne pas s’auto-incriminer avant leur premier interrogatoire comme l’exige l’article 6 de la Convention.

    En revanche, leurs déclarations reçues sans l’assistance d’un avocat ou notification du droit de garder le silence n’ont, à ce jour, pas été utilisées pour fonder des poursuites et une condamnation.

    Il en résulte que si la garde à vue s’est déroulée dans des conditions régulières au regard des dispositions légales, aucun des intéressés ne paraît avoir bénéficié des garanties prévues à l’article 6 § 3 de la Convention.

    Si la portée de ces arrêts est discutée, dans l’attente de la confirmation de la jurisprudence Dayanan par un arrêt rendu par la formation de Grande Chambre et si certains commentateurs ont encore quelques doutes sur leur portée, l’on peut déjà admettre que les règles ainsi posées, appréciées même a minima, confrontées à celles prévues au dispositif législatif interne, appliquées à Mmes X… (pourvois n° 10-17.049 et 10-30.316), Y… (pourvoi n° 10-30.313) et M. X… (pourvoi n° 10-30.242), font présumer fortement de la non-conformité des dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale à l’article 6 § 3.

    C’est dans ce sens que la chambre criminelle a statué par plusieurs arrêts rendus le 19 octobre 201022 en jugeant :

    qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X, placé en garde à vue pour des faits de complicité de tentative d’assassinat, s’est entretenu confidentiellement avec son avocat, dès le début de la mesure et avant même son interrogatoire par les services de police ; que la garde à vue ayant fait l’objet d’une prolongation, il s’est, une nouvelle fois, entretenu confidentiellement avec son avocat, avant d’être, à nouveau, interrogé par les enquêteurs ;

    que pour prononcer l’annulation des procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenues pendent celle-ci, les juges énoncent que M.X a bénéficié de la présence d’un avocat mais non de son assistance, dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui les interrogatoires auxquels cet avocat n’a pu en l’état de la législation française participer ;

    qu’en se prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

    que toutefois, l’arrêt encourt l’annulation dès lors que les règles qu’il énonce ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice.

    Auparavant, le Conseil constitutionnel avait, dans une décision du 30 juillet 201023 jugé contraires à la Constitution les dispositions des articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1 à 6, et 77 du code de procédure civile en considérant que (…) l’article 63-4 [du code de procédure pénale] ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier ; (…) qu’au demeurant la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence…

    La sanction de l’atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes étrangères placées en garde à vue est, selon la jurisprudence de la première et la deuxième chambres civiles, l’annulation de la garde à vue et le refus du juge des libertés et de la détention de maintenir la rétention administrative, avec la conséquence de la mise en liberté des étrangers, sans préjudice de la mesure de reconduite à la frontière.

    Les effets dans le temps d’une décision déclarant inconventionnelles des dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale :

    En faisant application des dispositions de l’article 6 de la Convention telle qu’interprétée par la Cour européenne et en décidant l’inconventionnalité du dispositif législatif interne régissant la garde à vue, la Cour de cassation effectue-t-elle un revirement de jurisprudence ?

    La Convention est devenue un ordre juridique en soi, d’application directe, et donc immédiate, source d’une jurisprudence qui dit l’état du droit et dont le juge judiciaire doit veiller à son application.

    Les arrêts de la Cour européenne ont force obligatoire car ils sont revêtus de l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 46 de la Convention et cette autorité vaut autant pour les arrêts dits <> dans lesquels la Cour européenne dit s’il y a eu ou non violation que pour les arrêts dits << de prestation>> pour lesquels elle accorde une “satisfaction équitable”.

    Ses décisions ne s’imposent donc pas “de jure” aux juridictions nationales et n’ont qu’un effet déclaratoire sans effet en droit strict sur la validité des décisions rendues dans la même affaire.

    Mais l’Etat doit s’y conformer et ses décisions produisent des effets débordant les limites du cas d’espèce, d’autant que les violations relevées ont leur source immédiate dans les textes conventionnels qu’elle interprète et non dans des mesures individuelles d’exécution.

    L’autorité des arrêts de la Cour européenne va au-delà de la législation nationale de l’Etat concerné dans la mesure où un autre Etat ayant une législation similaire risque de voir sa propre loi critiquée dès lors que son contenu est jugé intrinsèquement contraire aux droits garantis par la Convention.

    L’intensification du contrôle de conventionnalité donne à cette question une acuité particulière.
    Le juge judiciaire tient de l’article 55 de la Constitution le devoir de contrôler la conformité de la loi interne aux traités internationaux et le contrôle de conventionnalité est de l’office du juge, qui est le gardien de la compatibilité de l’ordre juridique national à l’ordre européen.
    En déclarant inconventionnels les articles 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale, le juge ne fait-il pas que restaurer l’application de la règle de droit qui est seule applicable ?
    Emmanuel Dreyer,24 commentant les arrêts de la chambre criminelle du 19 octobre 2010, estime qu’en décidant l’inconventionnalité du dispositif législatif interne sur la garde à vue, la chambre criminelle n’a pas dégagé de règles nouvelles et n’a fait qu’appliquer l’article 6 dont elle méconnaissait jusque là les termes, que la règle n’est nouvelle qu’en ce qu’elle répare l’erreur antérieure et restaure à l’article 6 le sens qui est le sien. Il n’y aurait, selon lui, pas de place à la modulation sauf à enfreindre la prohibition de l’article 5 du code civil de rendre des arrêts de règlement.

    Moduler dans le temps les effets d’une décision statuant en matière de contrôle de conventionnalité irait au rebours de ce que préconisait le rapport dit “Molfessis” qui << n’avait pas été commandé pour faciliter l’effort d’adaptation de la police et des juges du fond, mais pour essayer de neutraliser la rétroactivité de la norme jurisprudentielle qui surprend les justiciables dans la confiance légitime qu’ils avaient dans l’état antérieur du droit positif>>.

    A suivre cette position doctrinale, l’assemblée plénière, tranchant pour la première fois cette question de droit, pourrait (ou devrait) décider qu’il n’y pas lieu de moduler dans le temps les effets de sa décision.

    Mais il pourrait être répondu que le contrôle de conventionnalité qui conduit le juge judiciaire à disqualifier la règle de droit interne qu’il avait appliquée et interprétée jusqu’alors, et à lui substituer un nouvel état du droit positif résultant de la jurisprudence interprétative de la Cour européenne, provoque un bouleversement dont les conséquences ne sont pas très éloignées de celles induites par un revirement de jurisprudence, de sorte que l’application du principe de modulation des effets dans le temps d’une telle décision se poserait.

    La question des effets dans l

  2. PREMIERE PRESIDENCE

    Communiqué)

    Décisions de l’assemblée plénière du 15 avril 2011

    Par quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (n° P 10- 17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a statué sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à l’assistance effective d’un avocat.

    La première chambre civile, saisie de ces affaires, les avait renvoyées devant l’assemblée plénière à la demande du procureur général, ce renvoi étant de droit.

    Quatre personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière ont été interpellées puis placées en garde à vue, l’une pour vol, les trois autres pour infraction à la législation sur les étrangers. A l’issue de ces gardes à vue, un arrêté de reconduite à la frontière puis une décision de placement en rétention ont été pris à leur encontre. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention, les personnes retenues ont contesté la régularité de la procédure en soutenant qu’elles n’avaient pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant leur interrogatoire. Statuant sur l’appel interjeté contre les décisions du juge qui avaient soit ordonné, soit refusé d’ordonner la prolongation de ces mesures de rétention, le premier président de la cour d’appel de Lyon a considéré la procédure régulière (dossier n° P 10-17.049), tandis que le premier président de la cour d’appel de Rennes l’a jugée irrégulière (dossiers n° F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242).

    Les pourvois qui ont été formés dans le premier dossier par la personne retenue et dans les trois autres par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, ont conduit l’assemblée plénière à statuer sur deux questions.

    La première porte sur le point de savoir si les dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale relatives à la garde à vue sont conformes ou non à l’article 6 de la Convention européenne. L’assemblée plénière, reprenant la solution retenue par la chambre criminelle dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a constaté que les règles posées par l’article 63-4 du code de procédure pénale ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 § 1. Elle a énoncé que “pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires”.

    La deuxième question a trait à l’effet immédiat ou différé de la décision constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention européenne. Après avoir rappelé que “les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits del’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”, la plus haute formation de la Cour de cassation, en censurant la décision ayant admis la régularité de la procédure et en rejetant le pourvoi formé contre les trois autres qui avaient retenu son irrégularité, a décidé une application immédiate. Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.

  3. Avis de Mme Petit, Premier avocat général

    Au moment même où le législateur s’apprête à réformer la loi sur la garde à vue, votre

    assemblée plénière est appelée à statuer sur l’un des droits les plus importants dont bénéficient les personnes faisant l’objet de cette mesure de « contrainte ».

    En effet, les quatre pourvois soumis à votre examen, posent la question de la conformité des dispositions de l’actuel article 63-4 du code de procédure pénale qui réglementent le rôle de l’avocat pendant la garde à vue avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

    Aux termes des trois arrêts rendus en formation plénière, le 19 octobre 2010,1 la chambre criminelle de votre cour a affirmé que « toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un conseil » et ce, quelle que soit la nature de l’infraction.

    Elle a ainsi estimé que les conditions de la garde à vue n’étaient pas conformes aux exigences de la Convention européenne, telles qu’interprétées par la Cour européenne.

    Dès le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel,2 saisi en application de l’article 61-1 de la Constitution de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité sur les règles applicables à la garde à vue, avait considéré que les articles 62, 63, 63-1 et 63-4 alinéas 1er à 6 et 77 du code de procédure pénale « n’instituaient pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions”, méconnaissant les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et “devaient être déclarées contraires à la Constitution ».

    Les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité étaient toutefois reportés au 1er juillet 2011 pour permettre au Parlement de procéder aux modifications nécessaires.

    S’inspirant de cette décision, la chambre criminelle a énoncé, dans les trois arrêts susvisés, que les effets de ses décisions seraient reportés à la date d’entrée en vigueur de la loi devant modifier le régime de la garde à vue ou, au plus tard, le 1er juillet 2011.

    Le Gouvernement a déposé le 13 octobre 2010 un projet de loi réformant la garde à vue destiné à remédier à « la double crise de cette mesure, liée d’une part à une explosion quantitative et d’autre part à son trop faible encadrement juridique ».3

    En effet, le nombre de garde à vue est passé de 336 718 en 2001 à près de 800 000 en 2009.

    Ce projet de loi, qui a été adopté par l’Assemblée nationale et par le Sénat, fixe dans ses articles 5, 6 et 7 bis les nouvelles conditions de l’assistance effective de l’avocat auprès de son client.

    Le vote définitif de ce texte devrait intervenir dans la première quinzaine d’avril puis, être soumis à l’examen du Conseil constitutionnel. Cette nouvelle loi devrait entrer en vigueur au mois de juin.

    A la différence des affaires examinées par la chambre criminelle, les pourvois dont vous êtes saisis mettent en cause des personnes de nationalité étrangère, en situation irrégulière, dont le placement en garde à vue a précédé une mesure de reconduite à la frontière avec placement en rétention administrative.

    Ces dossiers ont donc été distribués à la première chambre civile laquelle, sur la demande du Parquet général, les a renvoyés en application des dispositions de l’article L. 431-7 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire, devant votre assemblée plénière.

    Rappel succinct des faits et de la procédure

    – Pourvoi n° J 10-30.316 :

    Mme X…, de nationalité chinoise, a été interpellée à son domicile alors que les services de police procédaient à une enquête concernant son concubin. Dépourvue de titre de séjour en cours de validité, elle a été placée en garde à vue le 19 janvier 2010 à 16 heures pour infraction à la législation sur les étrangers ; elle a indiqué qu’elle souhaitait s’entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue mais cet entretien n’a eu lieu qu’après sa première audition.

    La mesure de garde à vue a été levée le 20 janvier à 14 heures 40 après que le préfet lui ait fait notifier un arrêté de reconduite à la frontière.

    Pour assurer l’exécution de cette mesure, Mme X… a également fait l’objet d’une décision de rétention administrative dont la prolongation a été demandée au juge des libertés et de la détention.

    Le délégué du premier président de la cour d’appel a confirmé le 25 janvier 2010 l’ordonnance du juge des libertés qui a constaté l’irrégularité de la procédure du fait de la non-assistance d’un avocat dès le début de cette procédure et dit n’y avoir lieu à prolongation de la mesure de rétention.

    – Pourvoi n° F 10-30.313 :

    Mlle Y…, de nationalité Kenyane, placée le 14 janvier 2010 en hébergement d’urgence à l’Aide sociale à l’enfance, a révélé être majeure. Une procédure pour entrée et séjour irrégulier sur le territoire national ayant été ouverte, elle a été placée en garde à vue le 22 janvier 2010 à 8 heures 15. Elle a demandé à s’entretenir avec un avocat mais l’heure à laquelle s’est déroulé l’entretien n’a pas été mentionnée dans la procédure.

    La mesure de garde à vue a été levée à 12 heures et, elle a alors fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et d’un placement en rétention administrative.

    Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation du maintien en rétention, ce magistrat, par ordonnance du 23 janvier 2010, confirmée par le délégataire du premier président, a constaté l’irrégularité de la procédure au motif qu’il ne résultait pas des pièces de la procédure que Melle Y… ait pu s’entretenir avec un avocat préalablement à son audition, contrairement aux exigences du procès équitable consacrées par l’article 6 de la Convention européenne.

    – Pourvoi n° D 10-30.242 :

    M. X …, de nationalité tunisienne, a été interpellé le 14 décembre 2009 par les services de police, en flagrant délit de vol. Il a donné une fausse identité mais les recherches effectuées ont permis de l’identifier et d’apprendre qu’il avait déjà fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière.

    Placé en garde à vue à 14 heures 40 pour vol et infraction à la législation sur les étrangers, il a déclaré vouloir s’entretenir avec un avocat qu’il n’a rencontré qu’après son premier interrogatoire. La garde à vue a été levée le 15 décembre à 16 heures 55.

    Le préfet a pris un arrêté de reconduite à la frontière et il a été placé en rétention administrative.

    Le juge des libertés et de la détention ayant accordé la prolongation de la rétention, le délégataire du premier président a infirmé cette décision au motif que, bien qu’ayant demandé l’assistance d’un avocat, il n’avait pu s’entretenir avec celui-ci avant son premier interrogatoire en violation de l’article 6 de la Convention européenne.

    – Pourvoi n° P 10-17.049 :

    Mme X…, de nationalité comorienne, a été interpellée le 1er mars 2010 dans le cadre d’une procédure de recherche diligentée à l’encontre d’une compatriote comorienne faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et domiciliée à la même adresse.

    Ne pouvant justifier d’un titre de séjour régulier, elle a été placée en garde à vue à 11 heures 30. Elle a demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure mais n’a pu rencontrer celui-ci qu’après son premier interrogatoire.

    Le préfet lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et elle a été placée en rétention administrative.

    Le juge des libertés et de la rétention, confirmé par le délégataire du premier président, a accordé la prolongation de cette mesure, estimant la procédure régulière au motif que « la Convention européenne n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence d’un avocat ».

    ♦ ♦ ♦ ♦

    Le procureur général près la cour d’appel de Rennes a formé un pourvoi à l’encontre de chacune des ordonnances rendues par les délégataires du premier président ayant constaté l’irrégularité de la procédure et refusé le maintien en rétention.

    Concernant les dossiers de Mme X… (pourvoi n° 10-30.316) et de Melle Y… (pourvoi n° 10-30.313), les moyens identiques aux deux pourvois qu’il développe sont les suivants :

    Premier moyen de cassation pris de la violation des articles 63-4, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi et défaut de base légale :

    EN CE QUE le conseiller à la cour d’appel de Rennes a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes,

    ALORS QUE par application de l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, un Etat n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement partie ;

    ALORS QUE de l’article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu’en droit français, les personnes gardées à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le premier interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque aux termes de cet article, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat, au besoin commis d’office par le bâtonnier ; que s’il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l’avocat, qui est informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, peut toutefois s’entretenir avec le gardé à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et qu’à l’issue de cet entretien, d’une durée maximale de 30 minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;

    ET ALORS QUE aucune disposition de procédure pénale, d’une part n’impose à l’officier de police judiciaire de différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, d’autre part n’exige de l’avocat désigné pour assister le gardé à vue qu’il informe l’officier de police judiciaire et le gardé à vue de sa décision d’intervenir ou non et de l’éventuel moment de son intervention ;

    Second moyen de cassation pris de la violation des articles 63-4 et 802 du code de procédure pénale, 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, violation de la loi et défaut de base légale :

    ALORS QUE l’annulation d’un procès-verbal ne peut entraîner que l’annulation des actes ultérieurs subséquents et à condition que l’acte irrégulier en soit le support nécessaire, et qu’en décidant néanmoins que la nullité du procès-verbal d’audition de l’étranger devait entraîner l’annulation de toute la procédure précédant le placement en rétention, et donc des actes antérieurs au procès-verbal jugé irrégulier et des actes dont il n’était pas le support nécessaire, le conseiller à la cour d’appel de Rennes a méconnu le sens et la portée de l’article 802 du code de procédure pénale aux termes duquel « en cas (…) d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui (…) relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne » et de l’article 66 de la constitution aux termes duquel « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

    Les deux moyens font grief à l’ordonnance d’avoir ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas et d’avoir méconnu les textes et les principes susvisés.

    Concernant le dossier de M. X… (pourvoi n° 10-30.242), le procureur général formule également deux moyens, le deuxième étant identique au second moyen des dossiers de Mme X… (pourvoi n° 10-30.316) et Melle Y… (pourvoi n° 10-30.313) ci-dessus exposé.

    Le premier moyen en 2 branches reprend les 2ème et 3ème branches du premier moyen du précédent pourvoi :

    – La première branche est tirée de la violation de l’article 63-4 du code de procédure pénale qui prévoit que les personnes gardées à vue pour une infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat, si besoin commis d’office, qui peut intervenir avant même le 1er interrogatoire réalisé par les enquêteurs puisque dès le début de la garde à vue, il peut demander à s’entretenir avec lui et que si l’avocat ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, il peut s’entretenir avec lui et présenter des observations écrites qui seront jointes à la procédure ;

    – La deuxième branche affirme en substance qu’aucune disposition de procédure pénale n’impose à l’officier de police judiciaire de différer l’audition d’une personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat.

    Concernant le pourvoi n° 10-17.049 de Mme X…, le moyen unique du pourvoi reproche à l’ordonnance confirmative d’avoir validé la procédure en considérant réguliers tant son contrôle d’identité que sa garde à vue et son maintien en rétention administrative :

    – 1ère branche : En procédant abstraitement par voie de pure affirmation, la décision attaquée n’établit pas que les conditions de l’article 78-2 du code de procédure pénale soient en l’espèce réunies, méconnaissant ainsi les exigences du texte précité ensemble l’article 66 de la Constitution ;

    – 2ème branche : Aux termes de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et au regard du principe général des droits de la défense, droit essentiel du procès équitable, l’effectivité d’un procès équitable exige, notamment, que la personne mise en garde à vue soit assistée d’un avocat dès son premier interrogatoire. La requérante n’ayant bénéficié de l’assistance d’un avocat qu’après son interrogatoire, les exigences du procès équitable ne sont pas remplies. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme s’imposent aux pays adhérents ayant des dispositions législatives analogues à celles censurées. En se déterminant à la faveur d’une erreur sur la portée normative des textes précités, la cour (en fait le premier président) a commis une erreur de droit.

    – 3ème branche : En se déterminant par un motif inopérant sur le souhait de la requérante de rester sur le territoire national entendu à tort comme manifestant une opposition à la mesure d’éloignement, l’ordonnance a méconnu les dispositions de l’article L. 552-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

    Par mémoire enregistré le 11 mars 2011, le Syndicat des avocats de France a déclaré intervenir au soutien du pourvoi n° 10-17.049 de Mme X…

    ♦ ♦ ♦ ♦

    Seule, justifie la réunion de votre assemblée plénière, la question de principe relative à la conformité des dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale aux exigences du procès équitable, prévues par l’article 6 de la Convention européenne, tout particulièrement le droit du suspect gardé à vue d’être “effectivement” assisté d’un avocat dès le début de sa garde à vue.

    En conséquence, mes observations se limiteront aux moyens invoquant cette question, les autres moyens relevant, ainsi que le propose le conseiller rapporteur, de la non-admission.

    Mais, pour parvenir à l’examen de cette question de principe, il est d’abord une voie d’accès obligée : celle de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne.

    En effet, le droit au procès équitable ne concerne pas tous les litiges4 mais uniquement les « contestations sur les droits et obligations de caractère civil” et le “bien-fondé d’une accusation en matière pénal », notions d’interprétation « autonome » selon le juge européen, détachées de leur contexte juridique national et dotées d’une signification propre.

    Ce recours à la technique de « notions autonomes » tend à éviter « toute fraude à la Convention », en empêchant les Etats de se soustraire à leurs obligations grâce aux définitions propres de leurs droits internes.5 Il s’agit de donner une définition commune de la norme européenne protectrice des droits de l’homme.

    Ces notions sont donc les clés d’accès aux garanties du procès équitable.

    Certains contentieux, en raison principalement de leur nature, échappent à l’article 6 de la Convention, en particulier lorsqu’ils présentent un caractère de droit public.

    C’est ce que d’aucuns ont appelé « le relativisme conventionnel » qui met en évidence le défaut d’accord initial des Etats contractants sur des questions éminemment politiques.6

    Tel est le cas de la police des étrangers, s’agissant des procédures d’octroi de l’asile politique ou de l’éloignement du territoire.

    Ce moyen de pur droit (relevé d’office dans le cadre de l’article 1015 du code de procédure civile) nous invite, préliminairement à rechercher si l’emprise de l’article 6 s’étend au contentieux des étrangers faisant l’objet d’un placement en garde à vue, en amont d’un arrêté de reconduite à la frontière (I) puis, dans l’affirmative, à examiner s’il convient de se ranger à l’appréciation de la chambre criminelle quant à l’inconventionnalité des dispositions actuelles de l’article 63-4 du code de procédure pénale au regard de l’article 6 de la Convention. (II) Enfin, si tel est le cas, les conséquences de ce constat d’inconventionnalité peuvent-elles être modulées dans le temps ? (III)

    ♦ ♦ ♦ ♦

    I- L’emprise de l’article 6 de la Convention européenne s’étend-t-elle au contentieux des étrangers, placés en garde à vue avant le prononcé d’un arrêté de reconduite à la frontière ?

    Comme l’écrit le Président Costa : « Suivant une jurisprudence constante, la Commission et la Cour ont refusé l’applicabilité de l’article 6 § 1 au contentieux des étrangers, c’est-à-dire tout ce qui touche à l’admission au séjour des étrangers et à leur éloignement forcé du territoire des Etats parties. Autant la jurisprudence de Strasbourg est dans l’ensemble protectrice des droits et libertés des étrangers lorsqu’elle se fonde sur l’article 3 de la Convention qui interdit la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants, ou sur son article 8 qui affirme le droit au respect de la vie privée et familiale, autant elle est et demeure fermée quand il s’agit de soumettre aux règles du procès équitable le contentieux des étrangers ».

    En principe, ce contentieux ne relève donc, ni de la matière pénale, ni de la matière civile, au sens de l’article 6 et n’entre pas dans le champ d’application du procès équitable. Pour autant les étrangers faisant l’objet de mesures d’éloignement disposent bien de garanties procédurales prévues aux articles 5 et 13 de la Convention ainsi qu’à l’article 1 er du protocole n° 7.7

    1°) L’inapplicabilité rationae materiae des griefs tirés de la violation de l’article 6 en matière d’asile et de droit au séjour des étrangers en France
    La Commission européenne des droits de l’homme, a en effet toujours considéré que les procédures relatives au séjour des étrangers et au traitement des demandes d’asile n’impliquaient pas de décision sur des droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé d’une accusation pénale au sens de l’article 6 § 1 (cf. Uppal et Singh c/ Royaume-Uni, décision de la Commission, 2 mai 1979 ; Bozano c/ France, décision de la Commission, 15 mai 1984 ; Urrutikoetxea c/ France, décision de la Commission, 5 décembre 1996).

    Dans son arrêt Maaouia c/ France du 5 octobre 2000, la Cour européenne, se prononçant pour la première fois sur la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux procédures d’expulsion d’étrangers, a également estimé que les décisions relatives à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers n’emportaient pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil et n’avaient pas davantage trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Dès lors l’article 6 § 1 ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce.

    – S’agissant en premier lieu du volet pénal de l’article 6, la Cour a en effet considéré que la mesure d’interdiction du territoire français dont faisait l’objet le requérant, ne portait pas sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale. En effet, la Cour estime que la qualification d’une sanction dans l’ordre juridique interne n’est pas décisive pour conclure à son caractère pénal.

    Relevant ensuite que la mesure d’interdiction du territoire est par nature, une mesure de prévention spécifique en matière de police des étrangers, elle ne peut dès lors être regardée comme portant sur le bien-fondé d’une accusation pénale dirigée contre le requérant, au sens de l’article 6 § 1.

    Tel ne serait vraisemblablement pas le cas de l’arrêté d’expulsion qui, comme le relève le juge BRATZA dans son opinion concordante, serait pris par un tribunal après condamnation pour une infraction pénale et faisant partie intégrante de la procédure ayant débouché sur la condamnation ou encore, d’une interdiction du territoire prise après condamnation pour refus d’obtempérer à un arrêté d’expulsion.

    – S’agissant en second lieu du volet civil de l’article 6, son applicabilité est, comme on le sait, commandée par l’existence d’une contestation réelle et sérieuse portant sur des droits ou obligations de caractère privé reconnus en droit interne (König c/ RFA 28 juin 1978 § 90). Pour la Cour en effet, seul le caractère privé du droit en cause prime. Ainsi toute contestation ayant un objet patrimonial et se fondant sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux relève de la notion de droits et obligations de caractère civil (Editions Périscope c/ France, 26 mars 1992 § 40).

    Comme le relève le professeur Sudre,8 le critère de l’incidence d’une situation ou d’un acte sur les droits patrimoniaux du justiciable apparaît donc comme le critère décisif de l’applicabilité de l’article 6.

    Cette conception matérielle du droit de caractère civil a conduit la Cour à étendre largement le champ d’application de l’article 6 § 1 et à y intégrer le contentieux disciplinaire, le contentieux social, ainsi que des contentieux de droit public comme celui de la fonction publique ou des juridictions financières, la Cour de Strasbourg estimant qu’« il faut se référer à l’essence et aux effets d’un droit et non à sa classification juridique en vertu du droit interne de l’Etat concerné » (Laidin c/ France 7 janvier 2003, § 73).

    Si l’article 6 est ainsi applicable à une partie de la matière administrative, il existe néanmoins des zones d’exclusion du procès équitable, en particulier les procédures de nature administratives et discrétionnaires impliquant l’exercice de prérogatives de puissance publique, au nombre desquelles on retrouve les mesures d’éloignement des étrangers.

    Le fait qu’une mesure d’interdiction du territoire français puisse avoir des conséquences importantes sur la vie privée, familiale ou professionnelle de l’étranger ne suffit pas en soi à faire entrer cette procédure dans le domaine des droits civils protégés par l’article 6 § 1 de la Convention (Maaouia précité §38).

    Cette position a été confirmée, plus récemment, dans l’affaire Kaya c/ Roumanie (requête n° 33970/05) du 12 octobre 2006 :

    Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour énonce (§ 23 et 24) : « le requérant allègue une atteinte à son droit à un procès équitable à l’occasion de la procédure qui s’est déroulée devant la cour d’appel de Bucarest… La Cour rappelle que les décisions relatives à l’éloignement des étrangers comme ce fut le cas en l’espèce du jugement de la cour d’appel, n’emportent pas contestation sur les droits ou obligations de caractère civil ni n’ont trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Maaouia c/France).

    Dès lors, la Cour estime que cette partie de la requête est incompatible rationae materiae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 3 et 4 de la Convention ».

    2°) Les garanties procédurales existantes en matière d’expulsion et d’extradition
    – L’applicabilité de l’article 1 du Protocole n° 7

    Dans l’arrêt Maaouia, reprenant à son compte la position de la Commission et excluant par là même du champ d’application de l’article 6 § 1 les litiges en matière de police des étrangers, la Cour rappelle que le dispositif conventionnel comprend également les protocoles et souligne que l’article 1 du Protocole n° 7, adopté le 22 novembre 1984 et ratifié par la France contient des garanties procédurales applicables aux cas d’expulsion d’étrangers.

    L’article 1 du protocole 7 dispose en effet que :

    « 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un Etat ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

    a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion ;

    b) faire examiner son cas, et ;

    c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité (…) ».

    A propos de l’arrêt Maaouia, le président Costa explique à cet égard : « Se fondant sur l’article premier du Protocole n° 7 qui énonce des garanties procédurales en cas d’expulsion des étrangers, et considéré comme une lex specialis par rapport à l’article 6 § 1, la Grande Chambre a considéré par un raisonnement a contrario, que l’article 6 § 1 ne s’applique pas pour sa part au contentieux des étrangers et notamment à celui de l’interdiction du territoire français. Mais il ressort de cet arrêt (Maaouia) qui par ailleurs estime cet article également inapplicable sous l’angle pénal, que la portée de cette affirmation est générale et va au delà du cas spécifique de la demande de relèvement d’une interdiction du territoire ».

    – Les autres garanties procédurales.

    L’étranger sous le coup d’une mesure d’éloignement, dispose en effet, selon la jurisprudence de la Cour, de garanties procédurales diverses, prévues par la Convention : le droit à un recours effectif garanti par l’article 13 souvent combiné avec l’article 3 (interdiction de traitements inhumains dégradants) ou avec l’article 8 (protection de la vie privée et familiale), lesquels supposent l’existence d’un recours juridictionnel protégeant l’intéressé contre un refoulement arbitraire (Muslim c. Turquie, 26 avril 2005).

    L’article 5 de la Convention : « Droit à la liberté et à la sûreté » est le pivot sur lequel se greffent naturellement nombre d’exigences procédurales en cas de privation de liberté pour les étrangers et, la combinaison des articles 5 et 13, apportent de fait des garanties procédurales assez proches de celles qui découlent de l’article 6.

    Ainsi, l’étranger dispose sur le fondement de l’article 5 § 4, d’un droit à un contrôle juridictionnel à bref délai de la légalité de sa détention, selon une procédure contradictoire et offrant des garanties suffisantes contre l’arbitraire (Sanchez-Reisse c/ Suisse, 21 octobre 1986, Chahal c/ Royaume Uni, 15 novembre 1996). L’arrêt Conka, CEDH, 5 février 2002, rappelle que le droit à l’information est “une garantie élémentaire”, en application de l’article 5 § 2, lors des détentions des étrangers, laissant une grande latitude d’action et d’organisation aux Etats pour aménager ce type de garanties procédurales.

    3°) Le juge national peut-il aller plus loin que le standard conventionnel en cette matière ?
    Le standard minimum commun de protection des droits de l’homme instauré par le droit de la Convention présuppose une application homogène dans la réalité jurisprudentielle nationale.

    En France, le contrôle judiciaire de la privation de liberté dans le cadre d’une mesure de placement en rétention administrative s’exerce dans le cadre des articles L. 551-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

    Une abondante jurisprudence, se fondant sur l’article 66 de la Constitution et sur la qualité de « gardien de la liberté individuelle » impose au magistrat de refuser le prolongement de la rétention administrative lorsqu’il considère que la décision a été prise à la suite d’une interpellation, d’un contrôle d’identité ou d’une garde à vue de l’étranger effectué de manière irrégulière.

    – la Cour de cassation contribue, dans les limites des compétences du juge judiciaire, à adapter aux engagements européens l’application des règles nationales gouvernant la présence de l’étranger sur le territoire et les droits auxquels il peut prétendre.

    Aucune décision de votre cour ne s’est cependant prononcée expressément en faveur ou en défaveur de l’application des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme lors du contrôle de la garde à vue en matière de contentieux judiciaire des étrangers.9

    Cette question est indirectement abordée, dans certains arrêts de rejet, en réponse aux moyens fondés notamment sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

    Ainsi « Attendu que M. A… fait grief à l’ordonnance d’avoir confirmé la prolongation de cette mesure alors, selon le moyen, que, n’ayant pas lu le procès-verbal de placement en garde à vue, il n’a pas été informé de la nature de l’infraction reprochée, de la durée de la garde à vue et des droits afférents à cette mesure en violation des articles 62 et 63-1 du Code de procédure pénale et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

    Mais attendu que l’ordonnance ayant relevé que les dispositions du Code de procédure pénale n’exigent pas que lecture soit faite du procès-verbal constatant l’information donnée verbalement à l’intéressé de son placement en garde à vue et de ses droits afférents, pièce signée par l’étranger et par l’interprète, le premier président a fait une exacte application de la loi ; » (Civ. 2e, 27 mars 2003, pourvoi n° 01-50.047, non publié).

    La deuxième chambre a écarté les moyens de cassation fondés sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui reprochaient aux juges du fond d’avoir ordonné la prolongation de la mesure administrative hors la présence de l’avocat à l’audience du fait d’une grève des avocats du barreau concerné. (Civ. 2e, 7 mai 2002, pourvoi n° 00-50.124 ; Civ. 2e, 21 février 2002, pourvoi n° 00-50.127, Bull 2002, II, n° 22 ; Civ. 2e, 07 mai 2002, pourvoi n° 00-50.124) ainsi que, le moyen de cassation pris de l’absence d’un interprète devant le juge des libertés et de la détention.

    Pour la première chambre civile : « Ni les dispositions de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, ni celles du décret du 19 novembre 1991, pris pour son application, n’imposant au préfet de communiquer ses observations en défense avant l’audience et l’intéressé n’établissant pas qu’il n’avait pas été en mesure de consulter les pièces du dossier mis à sa disposition au greffe de la cour d’appel, c’est sans violer les dispositions de l’article 16 du nouveau code de procédure civile et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’un premier président a statué sur la rétention de cet étranger, au vu des observations écrites du préfet » (Civ. 1re, 13 janvier 2005, pourvoi n° 03-50.021, Bull. n° II 2005, n° 6).

    Si c’est au visa de l’article 6.1 de la Convention européenne que la 1ere chambre civile censure l’ordonnance d’un premier président déclarant irrecevable l’appel formé contre une décision de prolongation d’un maintien en rétention d’un étranger (Civ. 1re, 4 octobre 2005, pourvoi n° 04-50.100), la 2e chambre adopte une position inverse le 24 octobre 2002 (pourvoi n° 00-50.132, Bull. II, n° 235) en affirmant l’exclusion des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne, à l’égard du contentieux des étrangers :

    « Mais attendu qu’il résulte de l’ordonnance et des pièces de la procédure que M. B… n’a pas motivé son recours dans le délai d’appel ainsi que l’impose l’article 8 du décret n° 91-1164 du 12 novembre 1991 dont les dispositions n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

    Le Conseil d’Etat juge, pour sa part, que l’article 6 n’est pas applicable au contentieux de recours des réfugiés (CE, SSJS, 10 avril 2009, n° 290405) et le tribunal des conflits n’a admis qu’une applicabilité « indirecte » de l’article 6, s’agissant d’un refus de visa opposé à un étranger en vue d’être autorisé à comparaître à l’audience sur une opposition.

    Comme le relève V. Pironon,10 contrôler la conventionnalité des mesures de police des étrangers s’apparente à un véritable exercice d’équilibrisme car, d’un coté, les droits et libertés garantis à l’échelon international ne remettent pas en cause la souveraineté de chaque Etat pour définir sa politique de l’immigration. Mais de l’autre, l’Etat qui accueille -en droit ou même en fait- un étranger d’un Etat tiers ne peut le priver des droits fondamentaux reconnus à chacun par les instruments internationaux de promotion des droits de l’homme.

    – La garde à vue de l’étranger préalablement à son placement en rétention administrative et la notion « d’accusation pénale »

    Les critères de l’accusation pénale ont été précisés par la jurisprudence européenne : fixés par l’arrêt Engel11 et affinés par l’arrêt Ozturk.12

    Les juges européens prennent tout d’abord en considération les indications du droit national car il est important de savoir si, à cet égard, l’infraction en cause est qualifiée de pénale.13 La nature du fait ou du comportement est un élément essentiel, une certaine gravité s’impose et enfin, les juges européens tiennent compte du but et de la sévérité de la sanction.

    Il convient, à cet égard, de s’interroger sur une dissociation possible de la mesure de garde à vue, subie par les personnes étrangères en situation irrégulière, de l’ensemble de la procédure au titre des mesures d’éloignement.

    Cette question a été abordée à l’occasion de l’arrêt de la chambre mixte du 7 juillet 2000 (Préfet de Police de Paris c/ H) mais, en l’espèce, la chambre s’en est tenue à l’analyse de la seule garde à vue et n’a pas retenu, comme le préconisait l’avocat général, une « approche globale » de la totalité de privation de liberté subie, « qui critiquait un examen, sous le seul régime juridique de chacune des mesures successives : garde à vue plus rétention administrative. »14

    A juste titre, A. Guidicelli15 s’interroge sur une garde à vue dont l’objet n’est plus d’entendre ou de réentendre la personne concernée mais de permettre ou faciliter un placement en rétention : « Dans un tel cas, l’on semble bien proche de ce que l’on pourrait appeler un détournement de procédure, c’est-à-dire une utilisation de voies procédurales à des finalités autres que celles spécialement déterminées par le texte spécial ».

    Affichant clairement son souci de lutte contre le séjour irrégulier, la circulaire du 21 février 2006 du Ministère de la justice invite les parquets au placement en garde à vue de la personne en infraction à la législation sur les étrangers et ce, préalablement à son placement en rétention.

    L’article 63 du code de procédure pénale dispose que « l’officier de police peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » et tel est bien le cas des personnes en situation irrégulière sur le territoire national qui encourent une peine d’un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende (L. 621-1 CESEDA).

    Il s’ensuit que la mesure de garde à vue, prise à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière, ne constitue bien qu’une phase de l’ensemble de la procédure conduite à son égard, dont la finalité n’est pas d’assurer un procès équitable, au pénal, devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l’accusation » mais d’assurer sa reconduite dans son pays d’origine. D’ailleurs, aucune des personnes concernées par les présents pourvois n’a été poursuivie devant le tribunal correctionnel. Comme nous l’avons vu avec l’arrêt Maaouia « la décision d’expulser une personne n’implique aucune décision sur ses droits et obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention ».

    Certes, ainsi que l’expose le conseiller rapporteur, il peut paraître paradoxal en droit interne que le contrôle judiciaire de régularité de la garde à vue diffère selon la nationalité.

    Cependant, on peut rétorquer que les conditions de la garde à vue sont d’ores et déjà loin d’être uniformes ; elles diffèrent en effet sensiblement selon un certain nombre de critères : âge, gravité des infractions, risques encourus par l’ordre public (cf. : article 706-73 du code de procédure pénale).

    Votre choix est donc tributaire des réponses aux questions suivantes :

    – Quelle est la qualification exacte de la procédure de rétention administrative qui obéit à un régime juridique faisant intervenir successivement ou simultanément l’autorité administrative, le juge administratif et le juge judiciaire et qui n’est pas réellement une « accusation pénale » ?

    – Peut-on dissocier la garde à vue du reste de la procédure, ce qui paraît en contradiction avec l’arrêt de la Cour européenne Imbroscia c/ Suisse, CEDH 24 novembre 1993, qui favorise l’indivisibilité des étapes successives de la procédure en rappelant « qu’il échet de prendre en compte l’ensemble des procédures internes dans l’affaire considéré » ?

    – Enfin, comment coordonner les dispositions de l’article 6 avec celles du protocole n° 7 au regard de l’adage « specialia generalibus derogant » ?

    Car, comme le souligne G. Bitti,16 la non application de l’article 6 §1 réside dans le fait qu’en adoptant, 34 ans après l’article 6 de la Convention, l’article 1er du Protocole n° 7, les Etats ont ainsi voulu restreindre le champ d’application de l’article 6.

    Et le professeur Sudre « rappelle bien que les organes de la Convention, avant toute ouverture vers une interprétation évolutive, ne peuvent perdre de vue qu’ils ont des compétences limitées par le texte et le système de la Convention. »17

    En définitive, il faut avoir présent à l’esprit que la Cour européenne est naturellement très vigilante, par le biais de l’article 5 de la Convention et de l’ensemble de la protection dite « par ricochet », du respect des garanties procédurales dont toute personne, étrangère ou non, privée de liberté, doit bénéficier, garanties qu’il vous appartient de décliner au niveau national « in concreto » et non « in abstracto », sous l’éclairage de la jurisprudence européenne.

    S’il est possible d’aller plus loin que les standards européens et si vous décidiez d’étendre les règles du procès équitable au contentieux des étrangers, contrairement au choix actuel effectué par la Cour européenne, il faut cependant être bien conscient des impacts au niveau national et international que cette décision est susceptible d’engendrer, s’agissant d’un domaine extrêmement sensible : celui des flux migratoires.

    Dans l’hypothèse où vous vous rangeriez à l’avis de la Commission et de la Cour européenne sur l’exclusion du contentieux des étrangers de l’application de l’article 6 de la Convention, la garde à vue ne constituant qu’une phase de l’enquête conduisant à la mesure d’éloignement du territoire, il conviendrait de prononcer la cassation des ordonnances du délégataire de la Cour d’appel de Rennes et de rejeter le pourvoi n° 10-17.049 de Mme X…

    ♦ ♦ ♦ ♦

    II- Les dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale sont-elles conformes aux exigences de l’article 6 §1 de la Convention européenne quant à l’assistance effective de l’avocat ?

    C’est la question posée par les pourvois du procureur général de Rennes dans ses premiers moyens aux termes desquels, il considère que les juges du fond auraient fait une analyse erronée des dispositions de l’article 63-4 en affirmant que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, exige que l’accès à l’avocat soit consenti dès le 1er interrogatoire du suspect, sauf à démontrer des raisons impérieuses de restreindre ce droit et que l’accusé doit pouvoir obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil.

    Mme X… (pourvoi n° 10-17.049) affirme, à l’inverse, que l’effectivité du procès équitable impose la présence de l’avocat dès le 1er interrogatoire, les arrêts de la Cour européenne s’imposant aux pays adhérents.

    Rappelons que les dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale offrent la possibilité à la personne gardée à vue, sous le régime de droit commun, de demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue, la confidentialité de cet entretien devant être préservée ; qu’il est précisé que l’avocat doit être informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête et que la durée de l’entretien ne peut excéder 30 minutes. L’avocat peut présenter, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure. Enfin, en cas de prolongation de la garde à vue, un second entretien avec l’avocat est possible dès le début de cette prolongation.

    1°) Sur le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article 46 de la Convention européenne
    Selon l’article 46 qui a trait à la force obligatoire et l’exécution des arrêts, « Les hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ».

    Pour le procureur général de la cour d’appel de Rennes, contrairement aux énonciations des ordonnances attaquées, les décisions de la Cour européenne ne s’appliqueraient pas directement en droit interne aux pays tiers au litige en sorte qu’elles ne pourraient, de quelque façon que ce soit, lier le juge français.

    Les arrêts de la Cour européenne ont force obligatoire car ils sont définitifs et revêtus de l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 46 susvisé qui confie au Comité des ministres du Conseil de l’Europe le soin d’en surveiller l’exécution.18 Cette autorité vaut autant pour les arrêts dits « déclaratoires » dans lesquels la Cour européenne dit s’il y a eu ou non violation, que pour les arrêts dits de « prestation » pour lesquels elle accorde une « satisfaction équitable » au requérant individuel.

    Si cette autorité de chose jugée n’est que relative car elle se limite effectivement aux parties dans un litige déterminé, elle ne connaît aucune limitation dans l’espace et dans le temps.

    L’Etat partie doit se conformer à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme comme l’a explicité l’arrêt Marckx c/ Belgique en indiquant :

    « La Cour n’a pas à se livrer à un examen abstrait des textes législatifs incriminés : elle recherche si leur application aux requérantes cadre ou non avec la Convention (…). Sans doute sa décision produira-t-elle fatalement des effets débordant les limites du cas d’espèce, d’autant que les violations relevées ont leur source immédiate dans lesdits textes et non dans des mesures individuelles d’exécution, mais elle ne saurait annuler ou abroger par elle-même les dispositions litigieuses : déclaratoire pour l’essentiel, elle laisse à l’État le choix des moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de l’obligation qui découle pour lui de l’article 53 (art. 53) . » (§ 58)

    Dans l’arrêt Assanidzé c/ Géorgie du 8 avril 2004 (requête n° 71503/01), la CEDH précise :

    « Pour ce qui est des mesures que l’Etat défendeur devra adopter (…), sous le contrôle du Comité des Ministres, afin de mettre un terme à la violation constatée, la Cour rappelle que ses arrêts ont un caractère déclaratoire pour l’essentiel et qu’en général il appartient au premier chef à l’Etat en cause de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour ». Mais elle souligne que « ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1) ».

    Cette autorité va donc au delà de la législation nationale de l’Etat concerné, dans la mesure où un autre Etat ayant une législation similaire risque de voir sa propre loi critiquée dès lors que son contenu a été jugé intrinsèquement contraire aux droits garantis par la Convention.

    L’intervention des gouvernements dans les procédures devant la CEDH illustre bien cette prise en compte de l’autorité des arrêts de la Cour européenne ; ainsi, dans l’affaire Taxquet relative à la question de la motivation des arrêts de cours d’assises, le gouvernement français a souhaité intervenir à la procédure qui concernait la Belgique, nos systèmes de jurys populaires étant proches.

    Le Président Costa rappelait en 201019 « Le principe de base est qu’il appartient aux Etats de garantir le respect des droits issus de la Convention au niveau interne et à la Cour de vérifier, à travers l’examen des requêtes individuelles (ou exceptionnellement des affaires interétatiques), que les Etats ont effectivement respecté leurs engagements. Cela signifie qu’il appartient, au premier chef, aux autorités nationales et aux tribunaux internes de prévenir ou, à défaut, d’examiner et de redresser les violations de la Convention. Cela veut également dire que les Etats doivent se conformer à la jurisprudence de la Cour et s’assurer que ses jugements sont exécutés de manière adéquate, notamment en prenant des mesures de nature générale et en remédiant aux affaires qui pourraient poser des questions similaires ».

    Et, lors d’un colloque au Conseil d’Etat,20 il apportait les précisions suivantes : « Dans la Déclaration finale d’Interlaken, les ministres s’étaient engagés à tirer les conséquences non seulement des arrêts qui les concernent directement, mais de ceux qui tranchent des questions analogues… » ajoutant : « cette autorité de la chose interprétée va incontestablement faciliter la mise en oeuvre du principe de subsidiarité. A terme, l’article 46 pourra même être modifié pour mettre sa lettre en conformité avec son esprit mais celui-ci peut précéder celle-là… Faut-il rappeler que l’article 53 de la Convention, qui n’est pas le plus connu, encourage les Etats à aller plus loin que les standards minimaux résultant de la Convention et de la jurisprudence de Strasbourg ? »

    Quoiqu’il en soit, ce moyen semble être devenu inopérant depuis l’arrêt Brusco de la Cour européenne du 14 octobre dernier qui a condamné, à son tour la France, le requérant n’ayant pas été informé, au début de son interrogatoire, du droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination. La Cour a confirmé également que la personne gardée à vue avait le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires.

    Il s’ensuit que le grief formulé de ce chef par le procureur général de Rennes doit être rejeté.

    2°) Sur l’effectivité du rôle de l’avocat pendant la garde à vue : une jurisprudence européenne très volontariste sur laquelle s’appuient les trois arrêts de la chambre criminelle
    Le contenu de l’article 6 § 3 de la Convention est significatif de l’importance qui est attachée aux droits de la défense, d’autant plus qu’aux garanties explicitement consacrées par ce texte, s’ajoutent des garanties implicites découlant d’une interprétation large par les juges européens.

    – la jurisprudence européenne

    Par un 1er arrêt rendu le 8 février 1996, en grande chambre, dans l’affaire John Murray c/ Royaume-Uni, la Cour a jugé que « Une législation nationale peut attacher à l’attitude d’un prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure ultérieure. En pareil cas, l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police… Il est primordial pour les droits de la défense qu’un prévenu ait accès à un homme de loi pendant la phase initiale des interrogatoires de police ».

    Plus récemment, dans l’affaire jugée le 27 novembre 2008 en grande chambre, Salduz c/ Turquie, la Cour européenne a réaffirmé que « pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment “concret et effectif” (…), il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire ». Elle ajoute « qu’il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes, faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat, sont utilisées pour fonder une condamnation ».

    Par l’arrêt Dayanan c/ Turquie, rendu le 13 octobre 2009, la Cour confirme une nouvelle fois sa position et rappelle que, « En ce qui concerne l’absence d’avocat lors de la garde à vue, (…) le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable » et que « l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire ».

    Elle précise en outre les différentes attributions que l’avocat doit pouvoir exercer : « En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ».

    Encore plus récemment, les arrêts Savas c/ Turquie du 8 décembre 2009, puis, Adamkieiew c/ Pologne du 2 mars 2010, mettent à nouveau l’accent sur la nécessité d’un accès au conseil avant tout interrogatoire recueillant des déclarations incriminantes.

    Enfin, l’arrêt Brusco du 14 octobre 2010 (requête n° 1466/07), déjà évoqué, « constitue la dernière étape dans la construction européenne d’une garde à vue qui garantit au mieux les droits de la défense tels qu’envisagés par l’article 6 de la Convention ».21

    Aux termes de cet arrêt : « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable » et « la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires et ce, a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire » (§ N°44 et 45).

    Selon la formule du Professeur Pradel,22 désormais, « le rôle de l’avocat au cours de la garde à vue est celui d’un contrôleur de la régularité des auditions et d’un assistant moral ».

    – la jurisprudence de la chambre criminelle

    S’inspirant des décisions précitées, la chambre criminelle, se référant à « l’exacte application de l’article 6 de la Convention » s’est clairement prononcée sur le rôle de l’avocat lors du déroulement de la garde à vue et sur le droit au silence, en précisant que « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ».

    Si la présence de l’avocat pendant la garde à vue doit être effective, au sens de la jurisprudence européenne, les dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale ne sont manifestement pas à la hauteur de ces exigences.

    Dès lors, l’analyse des jurisprudences combinées de la Cour européenne et de la chambre criminelle conduit indubitablement au constat de la non-conformité des dispositions actuelles de l’article 63-4 du code de procédure pénale avec celles de l’article 6 de la Convention européenne en ce qui concerne l’assistance effective de l’avocat pendant la garde à vue.

    Mais, reste encore à examiner la délicate question de l’effet différé de ce constat d’inconventionnalité, décidé par la chambre criminelle, dans l’alignement de la jurisprudence constitutionnelle.

    ♦ ♦ ♦ ♦

    III- Les conséquences du constat d’inconventionnalité de l’article 63-4 du code de procédure pénale peuvent-elles être modulées dans le temps ?

    Sur le report des effets du constat d’inconventionnalité, la chambre criminelle a énoncé : « Attendu que toutefois, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que ces règles de procédure ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ; que ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime de la garde à vue ou, au plus tard, le 1er juillet 2011. »

    La question du pouvoir de modulation dans le temps des effets d’un revirement de jurisprudence relève, comme l’analysent très justement P. Deumier et R. Encinas de Munagorri,23 de la conception que l’on se fait de l’office du juge, défini comme « l’ensemble des pouvoirs nécessaires au juge pour accomplir sa mission juridictionnelle : maîtrise dans le temps des effets de la décision de justice, maîtrise dans le temps des effets de la règle jurisprudentielle, juge substitut du pouvoir réglementaire, juge concurrent ou juge source spécifique et incomparable du droit ?… Si tant d’efforts sont déployés par les auteurs pour tenter de cerner l’origine du pouvoir créateur du juge, c’est parce que celle-ci dictera très concrètement les modalités de sa mise en oeuvre. »

    1°) Le choix de l’effet différé dans le temps : une solution en harmonie avec le principe de sécurité juridique consacré par le droit européen
    La solution adoptée par la chambre criminelle s’inscrit dans un contexte totalement inédit et s’appuie sur l’exigence européenne de sécurité juridique en terme de prévisibilité et d’accessibilité au droit.

    Compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’espèce, c’est aussi « la bonne administration de la justice » qui légitime sa position.

    – Un contexte totalement inédit

    Les trois arrêts de la chambre criminelle, tout comme les pourvois dont vous êtes saisis, interviennent en effet, après :

    – en 1er lieu, une déclaration d’inconstitutionnalité à la suite de plusieurs questions préjudicielles de constitutionnalité sur la garde à vue et ce, dans le cadre de la révision opérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a inséré un nouvel alinéa à l’article 62 de la Constitution. Dorénavant, le Conseil est habilité à préciser si l’abrogation de la disposition législative, déclarée inconstitutionnelle, est immédiate ou fixée à une date ultérieure.

    Il peut donc fixer, lui même, la date à laquelle produira effet l’abrogation de la disposition dont il constate la non-conformité à la Constitution.

    Comme l’écrit X. Prétot, ces dispositions ne constituent qu’une demi-surprise tant elles s’inscrivent dans le cadre des réflexions ouvertes depuis plusieurs années sur les effets dans le temps des décisions de justice et, plus largement, des exigences de la sécurité juridique.

    En invalidant les règles relatives à la garde à vue, le Conseil, conscient des conséquences pouvant résulter de l’annulation de plusieurs milliers de procédures en cours, a pris soin de préciser que « en principe,une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la QPC » mais il a ajouté que « l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ».

    – en 2ème lieu, une déclaration d’inconventionnalité.

    Si le principe de sécurité juridique ne figure ni dans la Convention européenne, ni dans ses protocoles additionnels, c’est pourtant le juge européen qui a reconnu ce principe.24

    En effet, la Cour européenne s’est accordée la possibilité de limiter les effets dans le temps de sa décision en considérant dans l’affaire Marckx c/ Belgique, du 13 juin 1979, que : « le principe de sécurité, nécessairement inhérent au droit de la convention comme au droit communautaire, dispense l’Etat belge de remettre en cause des actes ou des situations juridiques antérieures au prononcé du présent arrêt ».

    S’agissant de privation de liberté, la Cour souligne (CEDH Jecius c/ Lituanie, 30 juillet 2000) « que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique et par conséquent, il est essentiel que les conditions de privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies, que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de “légalité” fixé par la Convention qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen -en s’entourant au besoin de conseils éclairés- de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé ».

    Le principe de sécurité juridique sur lequel se fonde la Cour européenne, permet de garantir une stabilité normative face à l’annulation pour non-conventionnalité d’une disposition de droit interne qui a servi de base juridique à de multiples comportements.

    La décision juridictionnelle n’est pas pour autant privée d’effet car elle incite généralement à une modification rapide de la législation en cause.

    La sécurité juridique est un outil permettant de concilier la nécessaire stabilité des normes et l’effectivité des décisions de justice en matière de légalité.

    La Cour européenne ne cesse d’ailleurs de montrer son attachement à cette notion.25 Aussi bien, lorsqu’ils appliquent ce principe, les juges européens tendent, dans certains cas, à protéger la sécurité des rapports juridiques (CEDH, 28 oct. 1999, Brumarescu c/ Roumanie) mais aussi, à sauvegarder la qualité de la loi qui doit être suffisamment accessible et précise (CEDH, 25 juin 1996, Amuur c/ France) ; Et c’est également à cette notion que la Cour a recours pour refuser l’existence d’un droit acquis à une jurisprudence constante, « les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime » ne consacrant pas un tel droit (CEDH, 18 déc. 2008, Unédic c/ France).

    La sécurité juridique est également considérée par la Cour de justice de l’Union européenne comme principe fondamental de l’ordre juridique communautaire.26 Et, se fondant sur ce principe, le juge communautaire admet, dans certains cas, de limiter l’effet rétroactif de ses arrêts.

    Ainsi, dans l’affaire Defrenne/Sabena la Cour affirme « Que, dans ces conditions, il convient de constater que, dans l’ignorance du niveau global auquel les rémunérations auraient été établies, des considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l’ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés, empêchent en principe de remettre en cause les rémunérations pour des périodes passées ».

    Mais, au delà du principe de sécurité juridique, la chambre criminelle s’est également appuyée sur le principe de bonne administration de la justice, principe à valeur constitutionnelle, consacré par la jurisprudence de Strasbourg.

    Et, comme l’analyse avec réalisme H. Matsopoulou27 « Il faut bien convenir que l’absence d’un texte qui fixe, d’une manière claire et précise les conditions de mise en oeuvre des nouvelles règles sur la garde à vue peut être source de difficultés et favoriser des décisions judiciaires contradictoires. Deux situations identiques ou comparables seraient susceptibles d’entraîner des réponses différentes, ce qui pourrait créer de graves inégalités et conduire à des situations chaotiques. Seule une loi précise et accessible pourrait satisfaire le principe de bonne administration de la justice expressément consacré par la Cour européenne et assurer des interprétations jurisprudentielles harmonieuses et cohérentes ».

    2°) L‘évolution de l’office du juge et le pouvoir de moduler les effets de ses décisions
    Comme le relève N. Molfessis dans son « Rapport sur les revirements de jurisprudence »,28 le système juridique français a suffisamment évolué pour qu’il puisse dorénavant être admis que la jurisprudence est source de règles qui appellent un régime et un contrôle jusqu’alors rendus impossibles en raison de la fiction de l’absence de pouvoir créateur du juge en droit

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