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L’Avocat Général A La Cour De Cassation

L’Avocat Général

PAR RACHID SADOUK 

 

I-                  Introduction :

L’une des spécificités des systèmes de justice dits de tradition latino germanique est que les magistrats font carrière dans la magistrature. Ils y commencent effectivement dans leur jeune âge au niveau des tribunaux de première instance et finissent si leur parcours se passe sans problèmes au bout d’un certain nombre d’années de travail à la plus haute juridiction à savoir la Cour de Cassation comme conseillers ou avocats généraux[1].

L’analyse de l’évolution toutefois de ces deux branches de la magistrature : magistrature assise et magistrature debout démontre que les membres de cette dernière sont amenés à vivre mal leur promotion. En effet au moment où les juges de la Cour de Cassation vivent dans la continuité ce qu’ils ont toujours été appelés à faire à savoir l’application de la loi, force est de constater que les procureurs ou avocat généraux vivent un défi tout à fait différent.

Alors qu’ils avaient l’habitude dans les juridictions inférieures de déclencher et Contrôler l’action publique et défendre l’intérêt général, ils se retrouvent à la Cour de Cassation à jouer un rôle complètement différent, celui de “Conseiller” les conseillers.

La question que l’on peut se poser maintenant est de nature existentielle. Les cinq conseillers constituant les chambres de la Cour de Cassation, ont-ils vraiment besoin de l’avis “juridique” d’un sixième conseiller ?

Si la réponse est par l’affirmative, devrait-on pour autant sacrifier tout un savoir faire et des années d’expérience cumulés dans l’exercice de fonctions au sein des communautés et au service des citoyens ?

Au delà de cette question existentielle, se pose une autre question d’ordre cette fois utilitaire. L’on est en effet en droit de se poser la question sur le rôle du parquet général dans la dynamique sociale et économique que la société marocaine connait, et dans la réforme globale et profonde que le système de justice Marocain s’apprête à connaître. Est-ce que l’Avocat Général est préparé pour remplir ce rôle ?

II- Constats :

Cette contribution n’a pas la prétention d’apporter les réponses adéquates à toutes ces questions. Elle vise néanmoins à provoquer le débat sur des thématiques qu’elle juge importantes : quel avocat général pour la réforme globale et profonde de la justice ? Quels moyens pour quelles attributions ?

Cette contribution n’a pas non plus l’ambition, du moins pour un travail destiné à la publication dans un magazine, de cerner les contours d’une fonction aussi multi dimensionnelle que celle d’avocat général. Elle se contentera par conséquent de tracer des constats sur la situation actuelle de la fonction d’avocat général, sur la situation du milieu professionnel et socio-économique au sein duquel il évolue, des défis auxquels il est confronté et des réponses qui doivent être apportées.

1er Constat :

–         Situation de la fonction d’Avocat Général

Dans un monde idéal, le métier d’Avocat Général constituerait l’aboutissement d’efforts considérables entrepris dans les juridictions inférieures au service du citoyen, du droit, de l’intérêt général et ultimement au service de la justice. Dans un monde pareil, l’avocat général ne bénéficierait pas seulement d’une formation adéquate lui permettant de mener à bien ses différentes actions, mais il aurait aussi toutes les structures organisationnelles nécessaires pour soutenir ses actions.

Dans la situation actuelle de la justice marocaine, l’avocat général subit un sérieux déphasage puisqu’ amené à remplir des fonctions qu’il n’a pas l’habitude d’exercer au sein des juridictions inférieures, et à répudier des fonctions qui représentaient l’essence de sa qualité de parquetier attentif aux besoins des différentes composantes de la société. Déphasage dont les conséquences se font sentir sur deux niveaux :

–         Niveau de la relevance de son action pour la société au sein de laquelle il évolue et pour laquelle il travaille.

–         Niveau de sa formation et de son épanouissement professionnel, la formation initiale et continue qu’il a pu avoir avant son passage à la Cour de cassation, ne répondant plus aux besoins de son nouveau rôle.

2ème constat :

–         Situation du milieu professionnel et socio-économique :

Il n’est nul besoin, j’imagine, d’élaborer longuement sur la situation professionnelle et socio-économique au sein de laquelle l’avocat général opère actuellement.

Le Maroc, en effet, a veçu ces dix dernières années des mutations socio-économiques tellement profondes que la justice a éprouvé beaucoup de peine à les accompagner.

Dans ce contexte, il s’est vite avéré impérieux de réformer la justice de façon globale et profonde pour lui permettre de relever les nouveaux défis, et apporter les bonnes réponses aux nouvelles questions plus complexes cette fois qui lui sont posées.

L’avocat général, composante essentielle du système de justice, est appelé lui aussi non seulement à apporter sa contribution dans cette dynamique socio-économique mais de contribuer aussi au débat social sur la réforme profonde de la justice, et de se préparer comme il se doit pour affronter les défis à venir notamment ceux relatifs aux nouvelles attributions qu’il pourrait se voir affecter.

3ème constat :

–         Défis à relever :

Les défis auxquels l’avocat général devrait faire face sont multiples. L’on va se concentrer dans cette contribution sur les défis suivants :

  1. Comment assurer la continuité dans le travail de l’avocat général à l’instar des conseillers de façon à tirer le meilleur parti de ses expériences antérieures en tant que parquetier et de son nouveau rôle comme “conseiller” des conseillers ?
  2. De quels moyens, l’avocat général devrait-il disposer pour qu’il puisse remplir ses fonctions correctement ?
  3. De quelle formation, l’avocat général a-t-il besoin pour qu’il puisse s’acquitter de ses devoirs convenablement ?

III- Les solutions proposées :

On va commencer ici par les solutions retenues par nos collègues français qu’on a pu voir à l’occasion du stage que nous avons effectué à la Cour de Cassation de la France entre le 12 et le 23 Novembre 2012.

1) La question existentielle prioritaire :

La condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’homme suivant son fameux arrêt dit ‘arrêt Souleymane’ a constitué un vrai “tsunami” pour la justice Française. La présence et la participation du ministère public dans les délibérés à la Cour de Cassation ont été considérées par la Cour Européenne comme touchant aux principes fondamentaux de la justice qui se doit d’être indépendante et impartiale. Le choc qui s’en est suivi était d’une telle violence qu’il a constitué une rupture douloureuse avec une tradition séculaire d’une part et a incité à la réflexion commune sur le rôle que le ministère public devrait jouer à la Cour de Cassation d’autre part.

L’arrêt Souleymane a certes fermé la porte des délibérés aux avocats généraux, il leur à toute fois ouvert la porte de la société et leur a permis de reprendre le rôle initial qu’ils avaient l’habitude de jouer en tant que membres du ministère public, portes parole de la société et défenseurs de la légalité et de l’intérêt public. Dans son discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire, le 11 janvier 2008, l’ancien procureur général près la Cour de cassation de France Mr. Jean-Louis Nadal disait : ‘cette reforme doit permettre au parquet général de mieux jouer son rôle auprès des Chambres de la Cour, d’être cette passerelle indispensable entre le juge et les citoyens, afin que la règle de droit intègre pleinement les évolutions de notre société en mutation. Ouvert sur l’extérieur, le parquet général peut contribuer à l’expression d’un droit vivant’[2].

En effet, les avocats généraux ont commencé, chaque fois que le besoin s’en faisait sentir, à consulter les ministères de tutelle, les organisations, les groupements professionnels et autres composantes de la société civile pour recueillir leurs avis sur les questions litigieuses importantes, qu’ils faisaient remonter en suite via leurs mémoires/arrêts aux conseillers. Grâce à l’action des avocats généraux, les conseillers gardent maintenant un œil sur le contexte socio-économique et politique dans lequel ils opèrent et sentent  l’impact de leurs actions sur la société au sein de laquelle ils évoluent.

De la sorte, la continuité dans l’action du ministère public à tous les niveaux de l’organisation judiciaire est garantie.

2) Formation des Avocats Généraux en France :

Un avocat général, qu’il soit originaire de la magistrature debout ou de la magistrature assise est loin d’être un “sait tout faire”. La particularité de la procédure devant la Cour de Cassation et la différence évidente de ses nouvelles fonctions avec celles qu’il avait l’habitude d’exercer font en sorte qu’une formation appropriée doive lui être nécessairement dispensée ne serait ce que pour l’accompagner dans sa phase de transition qui peut s’avérer parfois difficile.

En France, à la différence des magistrats des juridictions de fonds qui doivent impérativement suivre une formation annuelle de quelques jours dispensée par l’école nationale de la Magistrature, les magistrats de la Cour de Cassation ne sont pas tenus par cette obligation. Les avocats généraux donc suivent une formation sur le tas au parquet général s’étalant sur une période de deux mois dans laquelle ils auront à se familiariser avec les dossiers et la procédure, à assister aux audiences et à interagir avec leurs collègues. Ils devront à l’issue de cette formation être opérationnels et “fonctionner” au maximum de leurs capacités.

Force est de constater que cette formation reste très limitée et que le système judiciaire a mis en place des structures sensées justement palier à ses imperfections :

a)     Le service de documentation, des études et du rapport de la Cour de Cassation.

Le service a été fondé en 1947 sous la dénomination de fichier central de jurisprudence. Il est dirigé par un président de chambre de la Cour secondé d’un adjoint conseillé référendaire et composé de magistrats, greffiers en chef, documentalistes, greffiers, agents administratifs, adjoints administratifs de justice et stagiaires universitaires.

Les missions du service sont prévues par le code de l’organisation judicaire (articles R. 433-1 et suivants). La mission la plus relevante à cette intervention est celle relative à l’assistance apportée aux magistrats de la Cour pour le traitement des pourvois et la préparation des arrêts.

Cette assistance revêt pour les avocats généraux deux aspects : celui de la recherche et des études et celui de la formation. En effet, le service effectue pour les avocats généraux et à leur demande des recherches et des études qu’ils vont utiliser dans les avis qu’ils adressent aux conseillers. Cette mission de recherches et d’étude est systématique pour le jugement des pourvois audiencés devant l’assemblée plénière et les chambres mixtes. Le service intervient aussi dans la formation des avocats généraux à la consultation des bases de données juridiques.

b) les ressources juridiques :

– la bibliothèque est une structure qui rend des services inestimables aux avocats généraux. Son conservateur comme son personnel spécialisé (documentalistes) et le nombre et la qualité de ses innombrables ouvrages dépassant les 10 000 représentent des sources d’une valeur inestimable ou les avocats généraux viennent puiser leurs informations juridiques et judiciaires. Ces derniers peuvent bénéficier des services de la bibliothèque sur place au palais de justice comme ils peuvent le faire en toute aise de chez eux via la consultation électronique disponible.

– Au delà des ouvrages papiers, la Cour de cassation met à la disposition des avocats généraux des bases de données leur permettant un meilleur accès aux informations dont ils ont besoin. Ils ont en effet accès à des publications pertinentes comme celles du Lexis Nexis, les éditions Dalloz, le jurisclasseur etc. ils ont aussi accès à la jurisprudence de la Cour de cassation comme à celle des cours d’appel à travers les sites Jurinet et Jurica accessibles via le site Intranet de la Cour. Il faut dire que ces ressources électroniques sont facilement consultables par chaque avocat général à partir du bureau virtuel dont il dispose sur son ordinateur.

c) Institutions de soutien :

Par institution de soutien, nous désignons ce groupe de personnes qui viennent soutenir l’action des avocats généraux à la Cour de cassation. Il s’agit des avocats généraux référendaires.

Cette institution a été crée par le décret N° 2008-818 du 21 Août 2008 pour réaliser plusieurs objectifs dont les plus significatifs pour cette contribution restent[3] :

–                           Palier au manque d’effectif au niveau des avocats généraux à la Cour de cassation ; ce qui permet une meilleure répartition du volume du travail entre eux leur donnant la possibilité d’améliorer leur performance d’une part et de se focaliser sur les affaires les plus pertinentes pour la jurisprudence de la Cour, pour la justice et pour la société d’autre part.

–                           Assurer de meilleures relations entre le parquet général dans les Cours d’appel et le parquet général à la Cour de cassation et par la même occasion préparer en amont la formation des avocats généraux. A ce sujet Mr. Jean-Louis Nadal avait dit : ‘je ne voudrais pas clore mon propos sans rendre compte de l’évolution de la reforme du parquet général. Cette reforme a d’ores et déjà porté ses fruits, puisqu’ avec l’aide de trois gardes des sceaux, dont vous, Madame la Ministre, les premiers avocats généraux sont en place tandis que les avocats généraux référendaires, qui constitueront le vivier des avocats généraux de demain, existent déjà, par l’effet de la loi du 5 Mars 2007’[4].

Les avocats généraux référendaires sont en effet choisis parmi les substituts généraux dans les Cours d’appel pour remplir les fonctions d’avocat général à la Cour de cassation pour une période de quelques années à l’issue de laquelle ils devront reprendre leur travail initial comme substituts généraux. Il n’est nul besoin à mon sens d’élaborer plus sur l’intérêt que cette institution représente pour la qualité de l’action du parquet général à la Cour d’appel comme pour celle du parquet général à la Cour de cassation.

IV- Situation au Maroc :

S’il est trop tôt pour se prononcer sur le rôle que le parquet général près la Cour de cassation devrait jouer vu que les débats et consultations sur la réforme profonde et globale du système de justice au Maroc sont toujours en cours, il est tout de même important que les  avocats généraux soient préparés pour assumer les taches qui leur seront conférées. Cette préparation revêt certes un aspect de formation mais elle prend aussi et nécessairement la forme des moyens en termes de structures qui doivent être mises à leur disposition pour qu’ils puissent justement s’acquitter des dites taches dans les meilleures conditions.

Cette contribution a passé en revue les solutions qui ont été implémentées par nos collègues Français, qui relevaient pour certaines du judiciaire et pour d’autres du législatif. Restera pour nous autres Marocains de réfléchir tous ensemble pour identifier, à la lumière de notre réalité, de nos expériences et de nos propres moyens à celles qui nous conviendraient le mieux.


[1] Sous réserve de l’article 24 du code de l’organisation judiciaire marocain bien sur.

[2] Rapport Annuel 2007 La santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation p 35.

[3] Pour plus d’informations sur l’institution de l’avocat général référendaire consulter le site www.legifrance.gouv.fr

[4] Rapport Annuel 2007 La santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation op. ct p 35

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