Administration judiciaire, Indépendance judiciaire et Etat de Droit

Administration judiciaire, Indépendance judiciaire et Etat de Droit

Administration judiciaire, Indépendance judiciaire et Etat de Droit

Le Maroc a connu récemment une grande avancée en matière de  construction de l’Etat de Droit et de promotion des droits de l’Homme.  L’année 2011 a vu l’adoption de la nouvelle constitution qui a promu la justice, qui était jusqu’alors considérée comme une simple autorité, au rang de pouvoir judiciaire bénéficiant en principe des mêmes garanties d’indépendance que les autres pouvoirs au sein de l’Etat à savoir le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. La nouvelle constitution a également constitutionalisé bon nombre de droits humains dont le droit au procès équitable.

La rédaction des textes législatifs sensés faciliter la mise en application des nouvelles normes constitutionnelles a fait surgir des défis de l’Etat de Droit dont le plus relevant, à mon sens, reste l’impératif de concilier le rôle du ministre de la justice_ membre de l’exécutif_  avec le rôle du nouveau conseil supérieur du pouvoir judiciaire_ garant de l’indépendance des magistrats de façon à ce que le premier n’empiète, pas lors de l’exercice de ses fonctions, sur les prérogatives de l’autre ; en d’autres termes comment repartir d’une manière qui serait équitable au principe de l’indépendance de la justice, les taches de l’administration judiciaire entre le ministre de la justice et le pouvoir judiciaire ?

Pour comprendre les tenants du défi, il serait judicieux de comprendre la relation qui existait entre le ministre de la justice et les magistrats avant l’adoption de la nouvelle constitution.

Le ministre de la justice jouait un rôle prédominant dans le système de justice marocain. Il était en effet, à la fois vice-président du conseil supérieur de la magistrature responsable de la gestion de la carrière et du contrôle des magistrats et chef hiérarchique du ministère public. Son département comptait des directions puissantes telles la direction des affaires pénales ou encore l’inspection générale des affaires judiciaires. Il pouvait même transférer des juges au détriment du principe universellement reconnu de l’inamovibilité des magistrats du siège en invoquant la nécessité du service public.

Dans cette configuration, les magistrats et plus précisément ceux du parquet étaient la partie faible qui manquait de moyens juridiques efficaces pour sauvegarder leurs droits et protéger leur indépendance. En matière disciplinaire à titre d’exemple, le ministre de la justice était juge et arbitre en même temps et les décisions rendues par le conseil supérieur de la magistrature n’étaient passibles d’aucune voie de recours.

Dans les tribunaux, les chefs de cours jouissaient d’une certaine liberté dans la gestion de leurs institutions. Administration, ressources humaines, relations publiques, gestion des finances constituaient le socle des taches quotidiennes dont ils se détachaient avec l’assistance des procureurs et des greffiers en chef.

La nouvelle constitution a changé la donne puisqu’une nouvelle institution a été mise en place. Il s’agit du conseil supérieur du pouvoir judiciaire d’où le ministre de la justice a été chassé et remplacé par le président de la Cour de Cassation. La désignation de La nature et l’ampleur des prérogatives de cette instance judiciaire a, toutefois, été laissée aux soins des lois organiques devant donner corps aux nouvelles normes constitutionnelles à savoir les lois sur le statut des magistrats, le code de l’organisation judiciaire et la loi concernant le conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

Dans la perspective d’harmoniser les lois nationales avec les nouvelles normes constitutionnelles, le Roi a institué le 08 Mai 2012 une haute instance du dialogue national sur la réforme profonde et globale du système judiciaire, et ce en vue de «  mettre au point une charte nationale, avec des objectifs clairs, des priorités, des programmes et des moyens de financement précis et des mécanismes de mise en œuvre et d’évaluation rigoureux. »

Après un an de recherches, de débats et de consultations approfondies, l’instance a émis des recommandations qui ont porté sur les grands objectifs stratégiques de la réforme du système judiciaire à savoir le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire, la moralisation du système judiciaire, le renforcement de la protection judiciaire des droits et libertés, la promotion de l’efficacité et l’efficience judiciaire, renforcement de la capacité institutionnelle du système judiciaire, modernisation de l’administration judiciaire et renforcement de sa gouvernance. Elle a aussi défini les mécanismes nécessaires pour accomplir les objectifs identifiés.

Si le ministre de la justice, membre du pouvoir exécutif, a perdu la bataille de la présence au sein de la formation du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, il n’estime pas pour autant avoir perdu la guerre. Il dispose en effet d’atouts majeurs en termes de rédaction des lois capables de lui garder la main sur des départements vitaux du système judiciaire notamment le ministère public, l’inspection générale des affaires judiciaires  et l’administration judiciaire. Il suffit de rappeler ici que l’article 52 de l’avant projet de la loi sur le conseil supérieur du pouvoir judiciaire stipule que : « l’autorité gouvernementale chargée de la justice [le ministre de la justice] s’occupe de la gestion administrative et financière des tribunaux. Elle désigne un administrateur qui se charge des fonctions de l’administration et de la gestion administrative du tribunal sous la supervision du responsable judiciaire.» cet article qui a disparu du projet de loi relative au conseil supérieur du pouvoir judiciaire a réapparu sous le numéro 19 dans le projet du code de l’organisation judiciaire.

S’il n’est pas envisageable, du moins dans l’immédiat, et compte tenu de la nécessité d’assurer une bonne transition de la justice marocaine, d’exclure tout rôle du ministre de la justice dans l’administration de la justice, le défi restera quand même de trouver le juste équilibre dans la répartition des taches entre le ministre et le nouveau conseil. Qui devra faire quoi ? Restera aussi à savoir si le ministre de la justice continuera à coiffer la pyramide du ministère public ou s’il sera remplacé ici aussi par le procureur général de la cour de cassation comme certaines voix veulent très bien laisser entendre, et le cas échéant quel impact cela aurait-il sur le conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

1) Liste des parties prenantes :

 

  • le ministère de la justice / le gouvernement
  • les partis de l’opposition
  • (le conseil supérieur de la magistrature )
  • la haute commission royale pour la réforme profonde et globale du système de justice au Maroc
  • les associations des magistrats
  • les associations de défense des droits de l’Homme
  • la société civile

2) Essai de conciliation entre les intérêts divergents:

 

 

La solution proposée serait de satisfaire les besoins des uns et des autres des principaux acteurs à savoir le ministère de la justice et les magistrats. Le premier vise à garder un contrôle sur le financement et l’administration des tribunaux et les derniers sont jaloux de préserver et défendre l’indépendance judiciaire.

 Force est de constater que le projet de loi sur le conseil supérieur du pouvoir judiciaire a déjà mis en place un mécanisme dont la bonne utilisation permettrait, à notre sens, d’apporter la bonne solution au défi posé. Il s’agit de la cellule de coordination entre le ministère de la justice et  le conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Cette cellule qui devrait en l’occurrence être composée d’un nombre égal de représentants du ministère de la justice et du conseil supérieur du pouvoir judiciaire jouerait le rôle de relai entre les tribunaux d’une part et les entités susmentionnées d’autre part de façon à ce que les tribunaux font des rapports concernant la gestion financière et administrative qu’ils adressent à la cellule, lesquels rapports seront remontés au ministre de la justice et au conseil supérieur du pouvoir judiciaire par le biais de leurs représentants au sein de la cellule.

De cette manière, le ministre de la justice et le conseil supérieur du pouvoir judiciaire garderont un œil sur la gestion administrative et financière des tribunaux sauf qu’à l’occasion de dysfonctionnements observés, et dans la perspective de sauvegarder l’indépendance de la justice, le ministre de la justice ne pourra pas intervenir directement auprès des tribunaux pour résoudre le problème, il pourra le cas échéant le faire à travers la concertation avec le conseil supérieur du pouvoir judiciaire que ce soit directement au cas par cas ou à travers les rapports annuels qu’il lui adresse. Le dit conseil pourra par la suite faire usage du pouvoir dont il est investi sur les chefs de Cours pour remédier aux problèmes posés et corriger les comportements dénoncés.

Dans un souci de rationalisation de la gestion financière des tribunaux, le ministre de la justice pourrait faire usage de la technique qui a fait ses preuves dans plusieurs pays à savoir ‘le traitement par objectifs’ à travers les contrats programmes que son département pourrait signer avec les tribunaux. Dans ces contrats, les tribunaux s’obligent à exécuter les programmes et à atteindre les objectifs fixés de commun accord avec le ministère et ce dernier s’oblige à produire les financements nécessaires.  De cette façon, les problèmes observés n’auront plus à attendre la fin de l’année budgétaire pour être résolus. Le schéma annexe apporte la lumière nécessaire sur les relations qui doivent exister entre les différentes parties concernées directement par l’administration judiciaire et l’indépendance judiciaire.

3) L’activité salvatrice proposée :

 

En vue d’harmoniser la législation nationale avec les nouvelles normes constitutionnelles, le ministère de la justice a rédigé des projets de loi qui doivent passer le test des deux chambres du parlement. Ce ci présente l’avantage de préciser l’action qu’il faut entreprendre pour relever le défi susmentionné.

 

Il serait judicieux de mobiliser les parlementaires de façon à les pousser à introduire toutes les modifications utiles dans les projets de loi proposés par le ministère de la justice, et ce en vue de garantir une meilleure répartition des taches de l’administration judiciaire entre ce dernier et le conseil supérieur du pouvoir judiciaire, répartition qui préserverait l’indépendance du pouvoir judiciaire et des magistrats, et garantirait le droit des citoyens à une justice indépendante et impartiale et à un procès équitable. Le meilleur moyen, à mon sens, d’atteindre cet objectif consiste en la sensibilisation, à travers les conférences, les tables rondes et les journées d’études, des associations et autres centres impliqués dans la défense des droits de l’Homme, des associations des magistrats, de la presse et de la société civile de manière générale dans la perspective de les voir influencer les parlementaires, et les pousser à voter des lois favorables à la promotion de l’indépendance de la justice et partant de l’Etat de Droit.

Dr. Rachid Sadouk

Avocat Général

Cour de Cassation du Maroc

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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