propriété industrielle – condamnation par arrêt irrévocable- annulation du brevet – restitution des sommes payées- non

propriété industrielle – condamnation par arrêt irrévocable- annulation du brevet – restitution des sommes payées- non

cassation france

Arrêt n° 604 du 17 février 2012 (10-24.282) – Cour de

cassation – Assemblée Plénière

principe

l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet dans la mesure de l’annulation des revendications prononcée par une décision postérieure n’était pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de la condamnation du chef de contrefaçon

 

PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

Rejet

Propriété industrielle


Demandeur(s) : M. Réginald X…

Défendeur(s) : M. Louis-Paul Y… ; La société LPG Systems


Sur le moyen unique : 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 8 juin 2010), que M. X… a été condamné au paiement de diverses sommes par un arrêt irrévocable du 10 septembre 2001 pour contrefaçon par reproduction des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet, enregistré sous le n° 87-03865 et déposé par M. Y… qui en avait concédé l’exploitation exclusive à la société LPG Systems ; que ces revendications ayant été annulées par un arrêt du 21 février 2002, irrévocable, M. X… a assigné M. Y… et la société LPG Systems en restitution de ces sommes ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande, alors, selon le moyen, que la décision d’annulation d’un brevet d’invention, qui a un effet à la fois rétroactif et absolu, prive de fondement juridique la condamnation précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation, pour contrefaçon du brevet annulé ; qu’elle rend donc indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, serait-elle irrévocablement passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées ; qu’en rejetant la demande de M. X… tendant à obtenir la restitution de la somme totale de 6 000 euros versée en exécution des condamnations pour contrefaçon des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 prononcées à son encontre par le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 13 mars 1997, et confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 septembre 2001, après avoir pourtant constaté l’annulation des revendications précitées par un jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000, et la confirmation de cette annulation par un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, ensemble l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu qu’ayant relevé que M. X… avait été condamné comme contrefacteur par une décision irrévocable, la cour d’appel en a exactement déduit que l’anéantissement rétroactif et absolu du brevet dans la mesure de l’annulation des revendications prononcée par une décision postérieure n’était pas de nature à fonder la restitution des sommes payées en exécution de sa condamnation du chef de contrefaçon ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi


Président : M. Lamanda, premier président

Rapporteur : M. André, conseiller, assisté de M. Régis, auditeur au Service de documentation, des études et du rapport

Avocat général : M. Le Mesle, premier avocat général

Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard et Tichet ; SCP Boré et salve de Bruneton

 

One Reply to “propriété industrielle – condamnation par arrêt irrévocable- annulation du brevet – restitution des sommes payées- non”

  1. Rapport de M. André, conseiller
    1 – Rappel des faits et de la procédure

    Prétendant que certaines parties de l’appareil de massage réalisé et commercialisé par M. X… constituaient une reproduction contrefaisante notamment des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet qu’il avait déposé le 17 mars 1987, enregistré sous le n° 87-03865, M. Y… a assigné celui-ci devant le tribunal de grande instance de Limoges. La société L.P.G. Systems, titulaire d’une licence d’exploitation exclusive du brevet concerné, s’est jointe à l’instance.

    Par jugement du 13 mars 1997, le tribunal de grande instance de Limoges a, entre autres dispositions :

    – constaté la contrefaçon par M. X… d’une partie de l’appareil de massage, par reproduction des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 de M. Y… ;

    – interdit, sous astreinte, à M. X… de poursuivre la fabrication et la vente de la partie de l’appareil concerné ;

    – condamné M. X… à verser, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 50.000 Frs. (7.622,45 euros) à M. Y… et 10.000 Frs. (1.524,49 euros) à la société L.P.G. Systems ;

    – ordonné la publication des dispositions du jugement relatives à la contrefaçon de la tête basse de massage dans deux revues professionnelles au choix des demandeurs ;

    – ordonné l’exécution provisoire de ces dispositions.

    M. X… a interjeté appel de ce jugement et a du s’acquitter immédiatement de la somme de 38.508,15 Frs. (5.870,53 euros) au titre des condamnations prononcées à son encontre par cette décision, en vertu de l’exécution provisoire qui y était attachée.

    Par arrêt du 10 septembre 2001, la cour d’appel de Limoges a réformé le jugement en ses seules dispositions relatives au montant des dommages-intérêts. Statuant à nouveau de ce chef, elle a condamné M. X… à verser les sommes de 40.000 Frs. (6.097,96 euros) à la société L.P.G. Systems et 10.000 Frs. (1.524,49 euros) à M. Y…. Elle a confirmé, pour le surplus, la décision entreprise.

    En exécution de cet arrêt, M. X… a versé, en sus du montant déjà acquitté de 5.870,53 euros, une somme supplémentaire de 300 euros au titre de ses condamnations à dommages-intérêts.

    Cette décision, à l’encontre de laquelle aucun pourvoi n’a été formé, est passée en force de chose jugée.

    Pendant le cours de cette instance, dans un procès opposant M. Y… et la société L.P.G. Systems à un autre concurrent, la société C.F.K. Concepts, les revendications 1 à 5 du brevet n° 87-03865 – dont la contrefaçon avait servi de fondement aux condamnations indemnitaires prononcées à l’encontre de M. X… – ont été déclarées nulles, pour défaut d’activité inventive, par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000.

    Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002.

    Le pourvoi formé par M. Y… et la société L.P.G. Systems contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation (Com., 5 octobre 2004, n° 02-15.214).

    Par actes des 23 et 29 janvier 2007, M. X… a fait assigner M. Y… et la société L.P.G. Systems devant le tribunal de grande instance de Valence afin, notamment, d’obtenir la condamnation in solidum de ces derniers :

    – à lui restituer, avec intérêts au taux légal, la somme totale de 6.000 euros qu’il avait acquittée en exécution des condamnations prononcées à son encontre pour contrefaçon des revendications 1, 3, 4 et 5 du brevet n° 87-03865 ;
    – à lui rembourser les frais exposés pour sa défense sur l’action en contrefaçon des revendications précitées, s’élevant à la somme de 10.000 euros ;

    – à lui verser 5.000.000 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial, et 15.000 euros en réparation de son préjudice moral.

    Par jugement du 23 septembre 2008, le tribunal de grande instance de Valence a débouté M. X… de toutes ses prétentions.

    M. X…r a interjeté appel de cette décision.

    Par arrêt du 8 juin 2010, objet du pourvoi, la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

    La décision attaquée a été signifiée le 8 juillet 2010, le pourvoi formalisé le 1er septembre 2010.
    Le MA, déposé le 3 janvier 2011 (le 1er janvier 2011 était férié et le 2 janvier 2011 tombait un dimanche), a été signifié le même jour.
    Le MD a été déposé le 3 mars 2011 et signifié le même jour.
    La procédure apparaît régulière.
    Les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile sont les suivantes :

    – M. X… : 3000 euros.
    – M. Y… et la société L.P.G. Systems, ensemble : 3000 euros.

    2 – Analyse succincte du moyen

    Le moyen unique, en une branche, fait grief à l’arrêt de débouter M. X… de sa demande tendant à la condamnation in solidum de M. Y… et de la société L.P.G. Systems à lui restituer le montant de la somme versée en exécution des condamnations prononcées à son encontre pour contrefaçon du brevet n° 87-03865.

    Il soutient que l’effet à la fois rétroactif et absolu de la décision d’annulation d’un brevet d’invention prive de fondement juridique la condamnation pour contrefaçon du brevet annulé précédemment prononcée, même à l’encontre d’un tiers à l’instance en annulation.
    Il en déduit que cette annulation rend indu le paiement fait en exécution d’une telle condamnation, quand bien même serait-elle passée en force de chose jugée, et ouvre droit à la répétition des sommes versées.

    Le pourvoi en déduit donc qu’en rejetant la demande de M. X… tendant à obtenir la restitution de la somme payée en exécution des condamnations pour contrefaçon du brevet n° 87-03865 prononcées à son encontre par le jugement du tribunal de grande instance de Limoges du 13 mars 1997, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 septembre 2001, alors qu’elle avait pourtant constaté l’annulation du brevet par jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 15 juin 2000, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Lyon du 21 février 2002, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, ensemble l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle.

    3 – Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger

    Les sommes versées en exécution d’une condamnation irrévocable pour contrefaçon d’un brevet peuvent-elles faire l’objet d’une action en répétition à la suite de l’annulation de ce brevet par une décision postérieure ?

    4 – Discussion citant les références de jurisprudence et de doctrine

    La solution à donner au pourvoi requiert, dans une première partie, que soient examinés les effets de l’annulation d’un brevet (I), puis, dans une seconde partie, que ceux-ci soient confrontés avec la décision antérieure irrévocable de condamnation pour contrefaçon de ce brevet (II).

    I.- Les effets de l’annulation d’un brevet

    A. – Les conséquences de l’annulation d’un brevet

    Il convient, sur ce point, de considérer successivement les conséquences de la décision d’annulation du brevet, selon qu’elles s’exercent respectivement dans l’espace, en examinant sa portée erga omnes ou « effet absolu » (1°), et dans le temps, en étudiant l’effet rétroactif de l’anéantissement du brevet (2°).

    1°.- La portée erga omnes de l’annulation d’un brevet

    L’article L. 613-27, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, dont la violation est invoquée par le pourvoi, dispose que : « la décision d’annulation d’un brevet d’invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition » [1] .

    L’alinéa 2 de ce même article précise que : « les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l’Institut national de la propriété industrielle, aux fins d’inscription au registre national des brevets ».

    L’« effet absolu » est attaché à toutes les décisions d’annulation, quelle que soit la nature du titre, l’auteur de la demande ou la cause de nullité invoquée.[2] Cette solution a en outre été étendue au droit des marques (article L. 714-3, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle).[3]

    Au plan historique, la nullité du brevet, en tant que sanction des conditions de brevetabilité, a succédé, dans la loi du 5 juillet 1844, à la seule déchéance que prévoyait la législation antérieure de 1791. Le texte de 1844 ne conférait toutefois à la décision d’annulation qu’un effet relatif inter partes, sauf lorsqu’elle avait été rendue à la suite de l’intervention du ministère public, hypothèse dans laquelle son article 37 disposait qu’elle revêtait alors un effet erga omnes. Cette solution a été reprise par la loi n° 68-1 du 2 janvier 1968, en son article 50. L’effet absolu sera étendu à toutes les hypothèses d’annulation par la loi n° 78-742 du 13 juillet 1978 (art. 50 bis modifié).[4] Cette disposition a été codifiée à droit constant par la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992. La rédaction actuelle de l’article L. 613-27, applicable à la cause et ci-dessus rappelée, résulte de la loi n° 94-102 du 5 février 1994.

    La lecture des travaux préparatoires de la loi de 1844 enseigne que le principe de l’effet relatif de l’annulation du brevet était justifié, dans l’esprit de ses auteurs, par la règle de l’autorité relative de la chose jugée.[5] En conséquence, le législateur de 1844 avait prévu que dans l’hypothèse où la nullité du brevet était poursuivie par le ministère public et était donc susceptible d’avoir un effet absolu, celui-ci devait mettre en cause tous les ayants droit du brevet dont les titres auraient été enregistrés au ministère de l’Agriculture et du Commerce, pour atténuer – en quelque sorte – la dérogation ainsi apportée au principe de l’autorité relative de la chose jugée (art. 38). Aux termes de la loi de 1844, la nullité ou la déchéance du brevet était relative ou absolue -non quant aux conditions de l’action, mais quant aux effets du jugement – selon que seules les personnes privées avaient été parties à l’instance ou que le ministère public avait été lui-même partie. Cette analyse, reprise lors de l’élaboration de la loi de 1968, était également celle de la doctrine dans son ensemble [6], et celle de la jurisprudence.[7]

    Ce principe de l’effet relatif de l’annulation du brevet a été abandonné par la loi de 1978. Selon le principal inspirateur de cette réforme et auteur de la proposition de loi, Jean Foyer, cette règle avait abouti à de nombreuses difficultés pratiques et présentait l’inconvénient majeur de permettre au titulaire d’un brevet annulé de « brandir son titre devant d’autres prétendus contrefacteurs », ce qui favorisait la mauvaise foi, ainsi que le risque de survenance de jugements contradictoires.[8]

    Surtout, selon cet auteur, le rattachement de l’effet de l’annulation au principe de l’autorité de la chose jugée est erroné. Il résulte d’une mauvaise compréhension de ce principe, dont les conséquences néfastes se sont fait sentir dans de nombreuses matières telles que le désaveu de paternité (l’enfant judiciairement désavoué par le mari de sa mère pouvait-il continuer à être considéré par les tiers comme le fils de ce mari en raison de la relativité de l’autorité de la chose jugée) ou le contentieux de la nationalité, qui ont pareillement nécessité des interventions législatives.[9] Jean Foyer soulignait en effet que l’annulation modifie l’ordonnancement juridique, lequel est nécessairement opposable à tous.[10] Cet effet est distinct de la question de l’autorité de la décision prononçant cette nullité. La solution retenue par les lois de 1844 et 1968 « résulte d’une confusion entre deux notions : celle de l’étendue des effets d’un jugement, déterminée par celle du rapport de droit qui en est l’objet, et l’autorité de la chose jugée, qualité du contenu de la sentence qui la rend désormais incontestable et que la règle du contradictoire rend nécessairement relative. La solution traditionnellement admise, très protectrice des droits des brevetés, a été expliquée de manière peu convaincante par le caractère très spécifique de la matière des brevets et la crainte de divergences de décisions entre des juridictions peu habituées à en traiter » [11]. Le principe de l’autorité de la chose jugée fait seulement naître, toujours selon Jean Foyer, une fin de non-recevoir s’opposant au renouvellement de la contestation. “Un tel effet erga omnes n’est pas une autorité de chose jugée qui serait absolue. Le jugement d’annulation aurait une autorité absolue, si ce qui en fait l’objet ne pouvait être remis en question, dans une instance différente, par les personnes qui n’y auraient point été parties. La loi dit expressément le contraire puisqu’elle réserve aux tiers la faculté de former tierce opposition”.[12] L’effet absolu de la décision d’annulation ne saurait donc être considéré comme constituant une exception à l’autorité de la chose jugée.

    Cette analyse paraît partagée par de nombreux auteurs [13]. Selon Jean-Pierre Stenger : « l’opposabilité erga omnes d’une décision d’annulation d’un brevet irait sans dire, même en l’absence de la disposition introduite en 1978. Tout jugement annulant un acte opposable aux tiers est nécessairement lui-même opposable aux tiers ». [14] De même, Emmanuel Py souligne que la « règle traditionnelle de l’effet relatif de la décision d’annulation correspondait davantage, en fait, à une déclaration d’inopposabilité entre les parties au procès, qu’à une véritable destruction de droit réel. C’est ainsi qu’ont pu être relevées dans la jurisprudence deux décisions de la cour d’appel de Paris, datées du même jour, dont l’une aboutissait à l’annulation d’un brevet dans les rapports entre son titulaire et un syndicat ( Paris, 4ème ch., 9 mai 1979 : PIBD 1979, n° 245, III, p. 362 ; Dossiers brevets 1979, III, p. 4) et l’autre, à la condamnation d’un défendeur en contrefaçon sur la base du même titre ( Paris, 4ème ch., 9 mai 1979 : PIBD 1979, n° 245, III, p. 361 ; Dossiers brevets 1980, I, p. 7) ».[15]

    Le professeur Landraud estime également que tout jugement apporte une modification de l’ordonnancement juridique, « et objectivement cette modification doit être reconnue et respectée par tous. C’est en cela que doit être affirmée l’opposabilité du jugement (…) à tous » ; “Tout jugement ne produit des effets qu’entre les parties, mais tout jugement est aussi opposable aux tiers : l’autorité absolue n’existe pas et elle n’a d’autre signification que l’opposabilité aux tiers”.[16]

    C’est sans doute l’hypothèse des décisions rejetant une demande d’annulation d’un brevet qui illustre le mieux cette différence entre opposabilité et autorité de la chose jugée et qui éclaire la portée et la signification de la notion d’« effet absolu ». La doctrine considère presque unanimement que cet effet absolu n’est pas attaché aux décisions rejetant la demande en annulation.[17] Cette solution est également consacrée par la Cour de cassation (Com., 5 mai 1987, Bull. 1987, IV, n° 107, pourvoi n° 85-16.892) [18]. Il ne paraîtrait pas admissible, en effet, qu’une telle décision de débouté rende le brevet incontestable par quiconque.[19] Or, comme le note Jean Foyer, si une telle décision n’a pas à proprement parler d’« effet absolu », c’est qu’elle n’apporte aucune modification dans l’ordonnancement juridique. Pour autant, elle permet au brevet de produire ses effets erga omnes [20], alors que, par une application classique du principe de l’autorité de la chose jugée, la validité du brevet ne peut plus être attaquée par les mêmes parties et pour les mêmes causes. Emmanuel Py cite ainsi une décision ayant accueilli une demande en annulation postérieure à une première décision de rejet, pour les mêmes causes, mais introduite par un tiers [21], ainsi qu’une décision de la Cour de cassation ayant décidé que l’auteur d’une demande d’annulation rejetée peut réitérer sa contestation en se fondant sur une autre cause d’annulation ou agissant en une autre qualité (Com., 10 mars 1980, Bull. n° 118, pourvoi n° 78-11.697) [22], ce qui paraît conforter cette analyse.[23]

    En revanche, l’effectivité juridique de l’opposabilité requiert que la décision d’annulation soit passée en force de chose jugée, au sens de l’article 500 du code de procédure civile, c’est-à-dire qu’elle ne soit plus susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. On relèvera à ce propos qu’en vue d’assurer la publicité de la décision d’annulation, corollaire de son opposabilité absolue, l’alinéa 2 de l’article L. 623-27 du code de la propriété prévoit que : « les décisions passées en force de chose jugée sont notifiées au directeur de l’Institut national de la propriété industrielle, aux fins d’inscription au registre national des brevets ».

    La doctrine s’interroge en revanche sur l’effet d’un jugement accueillant une exception de nullité soulevée par le défendeur à une action en contrefaçon. Dans cette hypothèse, l’annulation du brevet n’est pas prononcée par le juge, auquel il est simplement demandé de constater l’existence d’un vice affectant le brevet et de rejeter corrélativement la demande en contrefaçon. Selon certains auteurs, une telle décision n’entraîne pas l’annulation du titre et n’a donc pas d’effet absolu [24]. La jurisprudence a pourtant jugé le contraire, approuvée en cela par certains auteurs qui estiment que cette position donne son plein effet à la réforme de 1978.[25]

    Cette réforme a suscité quelques interrogations quant à l’étendue et des conséquences précises de l’annulation du brevet. Au-delà de la question de l’effet absolu, les difficultés semblent s’être surtout concentrées sur la problématique de la rétroactivité de cette annulation. Si certains auteurs semblent rattacher cet effet rétroactif aux dispositions de l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle [26], selon une majorité d’autres, celle-ci est une conséquence logique de l’annulation et ne relève donc pas à proprement parler de l’effet absolu.[27]

    2°.- L’anéantissement rétroactif du brevet

    La doctrine s’accorde à reconnaître à l’annulation du brevet un effet rétroactif. Ainsi, le professeur Mathély écrit-il : « il est bien évident que l’annulation d’un brevet remonte à son origine. Si le brevet est nul, il n’a donc jamais eu d’existence légale ; il n’a pu produire aucun effet »[28]. La nullité opère, conformément au droit commun, un anéantissement rétroactif du brevet [29], en accord avec la théorie civiliste des nullités, illustrée par des arrêts de la Cour de cassation, rendus au visa du “principe selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé”.[30]

    Il en découle que la destruction du droit de propriété sur l’invention remonte au jour de la demande de brevet.
    La Cour de cassation paraît également adopter cette position en retenant que :

    “l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet” (Com., 12 juin 2007, Bull. n° 158, pourvoi n° 05-14.548).

    Les contrats dont le brevet a pu être l’objet avant son annulation (cession, concession, gage …) pourront être annulés pour défaut d’objet et/ou de cause (Com., 8 juillet 1981, Bull. n° 310, pourvoi n° 79-15.844). [31]
    Parallèlement, les actes d’exploitation de l’invention qu’il était censé réserver ne pourront plus être considérés comme des actes de contrefaçon. [32]

    Il en est symétriquement de même s’agissant des marques de fabrique, la Cour de cassation, au visa de l’article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, retenant que :

    “la décision d’annulation d’un enregistrement de marque a un effet absolu, et notamment entraîne la nullité des licences accordées sur la marque dont l’enregistrement est annulé”, (Com., 1er juin 1999, Bull. n° 118, pourvoi n° 97-12853).

    Suite à l’annulation du contrat de cession, et conformément au droit commun des nullités, des restitutions doivent être opérées aux fins de remettre les parties dans la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat.[33] Si le prix de cession du brevet peut être restitué par le cédant au cessionnaire, il n’en va pas de même du brevet qui ne peut faire l’objet d’une quelconque restitution. La jurisprudence a pu dès lors tenir compte, dans le calcul des restitutions dues par le cédant, des profits réalisés par le cessionnaire pendant la période d’efficacité du brevet.[34] Emmanuel Py considère à ce sujet qu’il faut recourir à la notion de restitution par équivalence par laquelle le juge impose au cessionnaire, dans des hypothèses proches où celui-ci ne peut plus restituer en nature le bien acquis, le versement d’une indemnité dont il détermine librement le montant.[35]

    Le problème se pose en termes similaires s’agissant des contrats de licence. En effet, si le concédant peut matériellement restituer les redevances qu’il a reçues du concessionnaire, ce dernier ne peut pas restituer la jouissance du brevet pendant la période d’effectivité du contrat. La jurisprudence tient compte de ce déséquilibre en reconnaissant que la cause du versement des redevances, qui résidait dans la jouissance alors paisible du brevet, ne disparaît pas rétroactivement du fait de l’annulation de ce dernier :

    “Vu les articles L. 613-27 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil ;

    […] l’invalidité d’un contrat de licence résultant de la nullité du brevet sur lequel il porte, n’a pas, quelque soit le fondement de cette nullité, pour conséquence de priver rétroactivement de toute cause la rémunération mise à la charge du licencié en contrepartie des prérogatives dont il a effectivement joui ” ;

    Com., 28 janvier 2003, Bull. 2003, IV, n° 11, pourvoi n° 00-12.149 [36]

    Il en découle que le concédant n’aura pas à restituer les redevances qu’il a perçues.[37] En revanche, il peut être tenu de restituer les redevances encaissées à compter de la date où le trouble de jouissance du concessionnaire a commencé.[38]

    Il s’agit là d’une exception au droit commun des nullités, puisque la jurisprudence, en matière de baux par exemple, impose au juge d’ordonner la restitution des loyers par le bailleur et d’évaluer la valeur effective de la jouissance passée que le locataire doit restituer par équivalent.[39] La solution retenue par l’arrêt du 28 janvier 2003 précité semble toutefois pouvoir trouver son fondement dans l’article 549 du code civil qui permet au possesseur de bonne foi de conserver les revenus qu’il a perçus, en considération de leur vocation normale à être consommés.[40]

    Dans ce même arrêt, la Cour de cassation a également considéré que l’annulation du brevet n’entraînait pas l’annulation de la transaction portant sur le versement d’une indemnité, intervenue antérieurement entre la personne condamnée pour contrefaçon et le titulaire du brevet [41] :

    « Mais attendu que l’arrêt relève que la transaction avait eu pour objet de mettre fin au litige concernant les conséquences pécuniaires résultant de l’arrêt ayant condamné la société Greenland pour contrefaçon de brevet ; que c’est à bon droit, dès lors que la transaction ne portait pas sur la nullité du brevet comme allégué à la deuxième branche, et que l’arrêt rendu en 1995 ne constituait pas un titre nouvellement découvert, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu l’autorité de la chose jugée, a statué comme elle a fait, peu important l’annulation ultérieure de la revendication n° 52 du brevet ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

    […]

    Mais attendu que l’arrêt qui tranche au principal une partie du litige a autorité de la chose jugée ; qu’ayant relevé que la transaction avait eu pour objet l’exécution de l’arrêt de 1989, lequel avait condamné la société Greenland pour contrefaçon d’une revendication du brevet et n’avait ordonné une mesure d’instruction que pour évaluer le montant du préjudice en résultant, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu la validité de la transaction portant sur les conséquences pécuniaires de la condamnation, peu important l’annulation partielle ultérieure du brevet ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; » (Com., 28 janvier 2003, Bull. n° 11, pourvoi n° 00-12.149, précité)”.

    Aux termes de l’article L. 613-28 du code de la propriété intellectuelle, l’annulation du brevet entraîne, en outre, la disparition du certificat complémentaire de protection qui s’y rattache.

    Une partie de la doctrine envisage également les conséquences de l’annulation d’un brevet apporté à une société, qui, non seulement entraîne la nullité de l’apport, mais risque aussi de rejaillir sur la société elle-même, lorsque, notamment, l’objet social de cette dernière consiste en l’exploitation de ce brevet [42].

    II.- Conflit entre effets de l’annulation du brevet et décision de condamnation pour contrefaçon de ce brevet.

    Seront ici successivement examinées la présentation de cette problématique et les solutions dégagées par la Cour de cassation (A), puis les critiques apportées à ces solutions et la position de la doctrine (B).

    A.- Position du problème et jurisprudence de la Cour de cassation

    Les sommes versées par le contrefacteur en exécution d’une décision irrévocable de condamnation pour contrefaçon du brevet, peuvent-elles faire l’objet d’une action en répétition de l’indu à la suite de l’annulation de ce brevet ?

    Le moyen unique du pourvoi invoque, outre la violation de l’article L. 613-27 étudié ci-dessus, celle des articles 1235 et 1376 du code civil qui disposent respectivement :

    – article 1235 : “Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition”.

    – article 1376 : “Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu”.

    La doctrine, comme la jurisprudence, admettent que l’absence de dette ne puisse se manifester qu’après le paiement effectué par le solvens, notamment lorsque ce dernier a payé en exécution d’un contrat postérieurement résolu ou annulé, ou d’une décision de justice ultérieurement infirmée, annulée ou cassée, faisant ainsi disparaître la dette, condition juridique de l’indu [43]. Il appartient alors au solvens de rapporter la preuve que son obligation n’existe plus, sans être tenu d’établir que son paiement procède d’une erreur.

    La coexistence entre deux jugements prononçant, pour le premier, la condamnation indemnitaire du chef de contrefaçon d’un brevet et, pour le second, l’annulation postérieure de ce brevet, instaure une problématique impliquant la résolution du conflit entre, d’une part, l’autorité attachée à la décision de condamnation et, d’autre part, l’effet absolu et rétroactif de l’annulation. Il convient de distinguer, au regard des termes de ce problème, entre les actions en contrefaçon en cours (1), et les décisions de condamnation revêtues de l’autorité de la chose jugée (2).

    1.- Action en contrefaçon en cours

    L’annulation anéantit rétroactivement le brevet et les droits qui y sont attachés : les actes commis par les tiers ne peuvent constituer une atteinte à un droit qui est censé ne jamais avoir existé. Il n’est pas discuté que la décision d’annulation, passée en force de chose jugée, s’impose aux décisions à venir quant aux actes allégués de contrefaçon de ce brevet, même si le litige relatif à ces dernières est né antérieurement à celui qui a abouti au prononcé de la nullité du brevet [44]. Le demandeur en contrefaçon verra en conséquence sa demande rejetée comme mal fondée.[45]

    La question s’est posée de savoir si le juge saisi d’une action en contrefaçon devait surseoir à statuer dans l’attente de l’issue d’une autre instance en annulation du brevet fondant les poursuites. Selon Emmanuel Py, citant de nombreuses décisions rendues par les juridictions du fond, le juge choisit généralement dans cette hypothèse de prononcer le sursis à statuer.[46]

    Il convient de signaler que, dans notre espèce, alors que l’existence d’une instance en annulation du brevet litigieux pendante devant le tribunal de grande instance de Lyon était connue, aucune demande aux fins de sursis à statuer n’a été formée devant la cour d’appel de Limoges. Celle-ci n’a été avisée de l’annulation de ce brevet que postérieurement à la clôture des débats, le conseil de M. Y… et de la société LPG Systems ayant fait valoir, dans une note en délibéré, que le jugement d’annulation “ lequel n’a pas de caractère définitif, [….] n’est pas revêtu de l’autorité de la chose jugée” [47](sic).

    La doctrine reconnaît généralement que le contrefacteur condamné peut reprendre ses actes d’exploitation à la suite de l’annulation du titre. [48]
    Mais qu’en est-il lorsqu’une décision antérieure, irrévocable, a prononcé une condamnation sur le fondement de la contrefaçon d’un brevet ultérieurement annulé ?

    2.- Décision de condamnation revêtue de l’autorité de la chose jugée

    Initialement, la jurisprudence retenait que, dès lors qu’une décision avait été rendue sur la question de la contrefaçon, l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision s’opposait au prononcé d’un sursis à statuer au cours de l’instance statuant sur la liquidation du préjudice dans l’attente de la décision d’une juridiction saisie d’une question de validité du brevet (Com., 27 janvier 1998, n° 95-21.176 [49]). Comme le note E. Py, cette jurisprudence « conduisait à rendre impossible au contrefacteur, l’invocation de la rétroactivité d’une éventuelle annulation pour échapper aux condamnations prononcées à son encontre dans une instance antérieure ». [50]

    La Cour de cassation a opéré un revirement sur cette question par un arrêt du 12 juin 2007 (Com., 12 juin 2007, Bull. 2007, IV, n° 158, pourvoi n° 05-14.548 [51]).

    Dans cette affaire, la juridiction saisie avait condamné un concurrent du breveté pour contrefaçon après avoir rejeté sa demande reconventionnelle en annulation des revendications opposées. Au cours du litige, une expertise fut ordonnée, qui aboutit à une décision de première instance dont le concurrent du breveté interjeta appel. Suite à la commission de nouveaux faits de contrefaçon par ce concurrent, une nouvelle action fut engagée visant à obtenir la condamnation pour contrefaçon des mêmes revendications. À cette occasion, le défendeur remit en cause la validité des revendications, mais obtint cette fois leur annulation au bénéfice d’une antériorité pertinente non opposée au cours du premier procès. Le breveté fit alors appel de la décision, ce qui aboutit à une jonction de procédure avec l’appel formé par le concurrent. La cour d’appel confirma la décision d’annulation des revendications opposées, infirma le jugement sur la liquidation du préjudice et fit droit à la demande de restitution de la provision à valoir sur les dommages-intérêts accordée en première instance (Paris, 4ème ch., 28 janvier 2005 [52]). Le breveté forma un pourvoi en cassation contre cette décision en développant deux moyens : le premier se fondait sur l’absence d’effet rétroactif de la décision d’annulation du brevet pour soutenir que celle-ci ne pouvait priver la procédure d’indemnisation de tout support juridique ; le second, tiré de la violation de l’article 1351 du code civil, invoquait la méconnaissance, par l’arrêt attaqué, de l’autorité de la chose jugée revêtue par la décision précédente irrévocable qui avait reconnu l’existence d’actes de contrefaçon et du préjudice en découlant. La Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes :
    “Mais attendu qu’il n’y a pas autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice ; que, dès lors que l’annulation d’un brevet entraîne son anéantissement au jour du dépôt de la demande de brevet, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la procédure d’indemnisation du préjudice se trouvait privée de tout support juridique ” ;

    Cette position a été confirmée dans un arrêt du 3 mars 2009 qui a cassé, au visa de l’article L. 613-27 précité, une décision ayant condamné pour contrefaçon l’auteur du pourvoi en cassation en se fondant sur le rejet de deux pourvois dirigés contre deux décisions ayant prononcé l’annulation du brevet ordonnée dans une autre instance postérieure à celle ayant donné lieu à la décision attaquée (Com., 3 mars 2009, n° 06-10.243 [53]) :

    “Attendu que par deux arrêts rendus ce jour, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre les arrêts de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2007, qui ont confirmé les jugements du tribunal de grande instance de Paris du 27 avril 2006 annulant les revendications 1, 4, 5, 6 et 7 de la partie française du brevet européen n° 0 673 870 ; qu’en l’état de ces décisions, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 21 octobre 2005 se trouve, en ce qu’il a déclaré valables et contrefaites les revendications, 1, 4, 5 et 7 du même brevet, privé de fondement juridique ” ;

    Ces deux derniers arrêts, rendus en matière de brevet, illustrent deux positions, déjà antérieurement prises par la jurisprudence dans bien d’autres domaines que celui de la propriété intellectuelle, qui ne reconnaissent plus d’autorité à une décision judiciaire, en raison, soit de la survenance postérieure d’un fait, d’un acte ou d’un événement (a), soit d’une autre décision judiciaire, administrative ou législative la privant de son fondement juridique (b).

    – a) Survenance d’un fait ou acte nouveau

    La jurisprudence fondée sur cette conception considère, selon la terminologie souvent employée dans les arrêts, qu “il n’y a pas d’autorité de la chose jugée lorsqu’un fait ou un acte postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée modifie la situation antérieurement reconnue en justice”[54]ou, ce qui revient au même, que “l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice”[55]. Elle décide, par contre, que l’autorité de la chose jugée s’impose lorsque le fait invoqué n’est pas postérieur à la décision dont l’autorité est invoquée.[56]

    L’existence de faits ou actes nouveaux ne paraît être admise par la jurisprudence que dans des hypothèses où leur survenance, extérieure à la volonté des parties, est de nature à combattre la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée de la première décision.

    Ainsi, sans que cette liste soit limitative, eu égard au nombre important des décisions concernées, constituent des “actes ou des faits nouveaux”, voire des “événements ”ou des “circonstances nouvelles” [57] :

    – l’annulation définitive d’une décision de l’inspecteur du travail, postérieure à l’extinction de la première instance prud’homale, constituant une circonstance nouvelle ouvrant au salarié irrégulièrement licencié un droit à indemnisation et privant la décision précédente de l’autorité de chose jugée (Sociale, 25 octobre 2011, n° 10-17.208) ;

    – les résolutions d’habilitation du syndic, prises par l’assemblée générale des copropriétaires postérieurement à un jugement constatant l’irrecevabilité de l’action précédente du syndicat faute d’une telle habilitation, constituant des faits juridiques nouveaux privant celui-ci de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la seconde instance (Civ. 2ème, 6 mai 2010, Bull. II n° 88 n° 09-14.737) ;

    – l’échec d’une tentative de conciliation mise en œuvre dans le cadre d’une clause compromissoire, dont l’absence lors de la première instance avait entraîné l’irrecevabilité de l’action, et dont l’accomplissement, même infructueux, constitue un fait nouveau (Civ. 2ème, 21 avril 2005, n° 03-10.237) ;

    – l’absence de collocation d’un créancier sur le prix de vente d’un immeuble (Civ. 2ème, 3 juin 2004, Bull. II, n° 264, n° 0314204) ;
    – la régularisation de la signification d’une décision de justice étrangère ouvrant droit à une nouvelle action aux fins d’exequatur (Civ. 1ère, 22 octobre 2002, Bull. I, n° 234, n° 00-14.035) ;

    – l’annulation par la juridiction administrative d’un arrêté préfectoral approuvant un plan d’occupation des sols (Civ. 3ème, 25 avril 2007, Bull. III, n° 59, n° 06-10.662) ;

    – l’annulation de l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, constitutive d’une “circonstance nouvelle” empêchant que soit opposée à la nouvelle action de ce salarié pour licenciement et en dommages-intérêts l’autorité de la chose jugée revêtue par le premier jugement rejetant sa demande d’annulation de la transaction relative à l’indemnisation de son licenciement (Sociale, 18 février 2003, Bull.V, n° 59, n° 01-40978) ;

    – l’ouverture d’une procédure collective postérieure au premier jugement (Sociale, 24 juin 1998, n° 96-41.923) ;

    – l’aggravation du niveau de surendettement d’un débiteur, établissant ainsi la modification de sa situation (Civ. 1ère, 26 mars 1996, n° 94-04.129) ;

    – la décision de la juridiction administrative réduisant le montant des revenus constituant l’assiette de calcul des cotisations d’allocations familiales du débiteur (Sociale, 2 mars 1995, n° 92-17.112) ;

    – les dispositions du cahier des charges de la vente sur licitation d’un immeuble intervenue après le jugement ordonnant la liquidation d’une communauté conjugale entraînant la modification de la répartition du passif communautaire définie par un jugement antérieur (Civ. 1ère, 20 novembre 1990, n° 89-10169) ;

    – la réintégration d’un immeuble dans le patrimoine d’une société autorisant désormais une demande de restitution (Civ. 2ème, 17 mars 1986, Bull. II, n° 41, n° 84-12635).

    – b) perte de fondement juridique

    Elle peut être brièvement définie comme l’anéantissement rétroactif d’une décision judiciaire, revêtue, en tant que telle et par application de l’article 480 du code de procédure civile, de l’autorité de la chose jugée, par suite de la disparition d’une règle ou d’un acte, voire de la survenance d’un fait.
    L’examen -qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité- de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine révèle qu’il est fréquemment fait appel à cette notion et qu’est retenue “la perte de fondement juridique”, notamment dans les hypothèses suivantes :

    – en matière d’astreinte, dès lors qu’au regard de l’article 33 de la loi du 9 juillet 1991, cette mesure constitue l’accessoire de la décision dont elle est destinée à assurer l’exécution, la disparition de cette décision entraîne, par voie de conséquence, la perte de fondement juridique ainsi que l’anéantissement des décisions de liquidation de l’astreinte, la jurisprudence allant jusqu’à retenir que cet anéantissement a lieu “de plein droit” et qu’il ouvre droit à restitution des sommes versées en exécution des décisions de liquidation d’astreinte, “fussent-elles même passées en force chose jugée”. Par exemple :

    + L’annulation d’une marque entraîne, de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions de liquidation d’une astreinte, précédemment ordonnée assortissant le jugement faisant défense au contrefacteur de poursuivre ses agissements (arrêt “Haribo”, sur lequel on reviendra plus loin : Civ. 2ème, 6 janvier 2005, Bull. II, n°1, n° 02-15.954 ) :

    “Attendu qu’un jugement a dit que la société Haribo Ricqles s’était rendue coupable de faits de contrefaçon de la marque “Halloween” déposée par la société Optos Opus le 1er décembre 1995 et enregistrée sous le n° 95.599.556 et lui a fait défense, sous peine d’astreinte, de poursuivre ses agissements ; que le tribunal qui s’était réservé le contentieux de la liquidation de l’astreinte, a ultérieurement condamné la société Haribo à payer à ce titre à la société Optos Opus une certaine somme ; que la société Haribo ayant relevé appel de cette décision, la cour d’appel a réduit le montant de la condamnation ;

    Attendu, cependant, que par arrêt ultérieur du 13 décembre 2002, devenu irrévocable, la cour d’appel de Paris a annulé la marque Halloween litigieuse ; que cette décision entraîne de plein droit pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions de liquidation de l’astreinte ” ;

    + “ la réformation d’une décision assortie d’une astreinte entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement des décisions prises au titre de la liquidation de l’astreinte, fussent-elle passées en force de chose jugée, et ouvre, dès lors, droit, s’il y a lieu, à restitution ;” Com., 3 mai 2006, n° 04-15.262, Bull. n° 106 ; Civ. 2ème, 28 septembre 2000, n° 9816175, Bull. n° 134 [58] ;

    + L’infirmation de la décision ordonnant une astreinte entraîne la privation de fondement juridique de la décision l’ayant liquidée (Sociale, 9 novembre 2004, n° 03-43.850) ;

    + L’annulation par le juge administratif d’un arrêté préfectoral entraîne l’annulation de l’arrêt liquidant l’astreinte prononcée en vue de faire respecter les obligations imposées par cet arrêté ( Civ. 2ème, 10 juin 2010, Bull. n° 109, n° 06-17.827) ;

    Dans d’autres domaines que celui de l’astreinte, la perte de fondement juridique est aussi admise par la jurisprudence, puisqu’elle procède de la même analyse du lien subséquent, consécutif, accessoire ou de dépendance nécessaire unissant la première et la seconde décision. Ainsi :

    – l’annulation du brevet entraîne la mainlevée de la saisie-contrefaçon et la restitution des objets saisis [59] ;

    – l’annulation, par le Conseil d’Etat, de deux jugements d’un tribunal administratif ayant condamné un architecte qui avait conçu et surveillé la réalisation d’un ensemble immobilier pour le compte d’un office public d’H.L.M. prive de tout fondement l’arrêt d’une cour d’appel rendu antérieurement à la décision du Conseil d’Etat, et qui avait accueilli l’action directe de l’OPHLM contre l’assureur de l’architecte, de sorte que le paiement effectué par ce dernier au maître de l’ouvrage était indu (Civ. 1ère, 24 juin 1997, Bull. civ. I, n° 212, n° 95-13.885) ;

    – se trouve privé de fondement juridique l’arrêt se référant, pour ordonner l’expulsion d’un locataire, à un arrêt ayant résilié le bail consenti à celui-ci alors que la rétractation de cette décision, intervenue sur tierce opposition d’un créancier inscrit, avait effet à l’égard de toutes les parties en raison de la nature indivisible des obligations découlant du bail (Civ. 3ème, 3 novembre 1988, n° 86-18.180, Bull. n° 155) ;

    – des décisions consacrent l’effet “de plein droit” de l’anéantissement consécutif non seulement à la cassation, mais aussi à l’infirmation ou la rétractation d’une décision juridictionnelle qui constituait le fondement de la décision anéantie : Civ. 2ème, 13 juillet 2006, n° 04-20.690 ; Civ. 2ème, 13 juillet 2006, n° 04-19.961, 05-12.241 ; Civ. 2ème, 11 mai 2006, n° 04-15.674 ; Civ. 2ème, 6 avril 2006, n° 04-18.648 ;

    – un arrêt retient qu’un jugement postérieur ayant privé une partie de la qualité de locataire commercial depuis le 1er août 2006, entraînait de plein droit, pour perte de fondement juridique, l’anéantissement de la décision antérieure assortissant d’une astreinte une injonction de non-rétablissement insérée dans le contrat de cession de fonds de commerce et dont l’objet avait disparu ( Civ. 2ème, 7 juillet 2011, n° 10-20.628) ;

    – un arrêt rejette un pourvoi contre une décision ayant prononcé la suppression d’une astreinte à la suite de la disparition d’une marque, alors même que cette disparition, pour défaut de renouvellement dans le délai de dix ans, était intervenue antérieurement à l’arrêt prononçant l’interdiction sous astreinte de faire usage de cette marque. (Civ. 2ème, 25 février 2010, n° 09-12.812) :

    “Mais attendu qu’ayant relevé que M. V. n’avait pas renouvelé la marque enregistrée le 9 octobre 1994 sous le n° 945.40.598 dans le délai légal de dix ans de sorte que l’interdiction prononcée sous astreinte par l’arrêt du 13 novembre 2007 n’avait plus de fondement légal, c’est sans modifier le dispositif de cette décision que la cour d’appel a prononcé la suppression de l’astreinte” ;

    B.- Critiques et solutions doctrinales

    Trois positions différentes sont tenues par les auteurs. La première reste hostile à la remise en cause d’une décision de condamnation revêtue de l’autorité de la chose jugée (1). La seconde s’accorde au contraire avec la jurisprudence de la Cour de cassation (2) et se fonde sur la théorie des “faits nouveaux” (a), ou sur celle de la perte de fondement juridique (b). Enfin, sera examinée la solution apportée par le droit de l’Union Européenne à la problématique qui nous occupe (3).

    1.- Primauté de l’autorité de la chose jugée

    Cette position est appuyée sur la conception rigoureuse de l’autorité de la chose jugée, intimement liée à l’essence même de la justice et à la théorie de l’acte juridictionnel qui est de mettre fin aux litiges : “Le litige, dès lors que les voies de recours sont épuisées, est vidé, tranché une fois pour toutes, ce qui garantit stabilité, sécurité et paix entre les hommes.[60]”. Elle est également tirée de la force obligatoire des jugements ainsi que de la présomption de vérité légale qui leur est attachée et paraît obéir à un impératif de sécurité juridique.

    L’arrêt du 12 juin 2007 précité a été désapprouvé par les rares commentaires qu’il a suscités. Privat Vigand [61] critique ainsi cette décision en se référant à l’arrêt d’une juridiction anglaise (Court of appeal, Civil Division) du 25 avril 2007 (Unilin Beheer BV c/ Berry Floor NV) qui, saisie de la même question, a refusé de remettre en cause la décision définitive de condamnation à des dommages-intérêts pour des motifs de sécurité juridique, s’exprimant en ces termes : « Vous ne pouvez défaire quoi que ce soit sans créer de l’incertitude. Et lorsqu’une décision finale a été rendue entre les parties après un procès loyal, elle doit être tenue pour une réponse définitive. (…) Lorsqu’une décision définitive est rendue, les hommes d’affaires doivent pouvoir poursuivre leurs activités en sachant ce qu’il en est » (notre traduction [62]).

    La solution retenue par l’arrêt du 12 juin 2007 laisse « circonspect » le professeur Jacques Raynard [63], qui estime que les incidences de l’annulation du brevet sont “limitées par l’autorité de la chose jugée, et le respect des droits des tiers qui en l’occurrence n’étaient pas dans la cause”. Selon lui, cet arrêt excède les limites jurisprudentielles reconnues à l’effet rétroactif de l’annulation du brevet, s’agissant notamment de la question des restitutions des contrats annulés (Com. 28 janvier 2003, précité). Il considère enfin que cette décision “ni ne contribue à la sécurité juridique, ni n’encourage à l’exécution volontaire et rapide des décisions de condamnation”.

    Antérieurement à l’arrêt de 2007, les auteurs, auxquels la difficulté n’avait pas échappé, se prononçaient majoritairement en faveur de la prévalence de l’autorité de la chose jugée de la décision de condamnation sur l’effet rétroactif de l’annulation : un contrefacteur définitivement condamné ne devait pas être admis à remettre en cause une telle décision à la suite de l’annulation du brevet pour demander la restitution du montant des dommages-intérêts versés au titre de la réparation du préjudice du breveté [64].

    Sans avoir envisagé expressis verbis cette difficulté, dans son article consacré aux effets des jugements en matière de propriété industrielle, Jean Foyer, après s’être demandé ce que devait faire le juge saisi d’une demande en contrefaçon alors qu’une décision d’annulation frappée d’appel ou d’un pourvoi en cassation était pendante devant une autre juridiction, précise que le « législateur [de 1978] a simplement voulu que l’ancien titulaire d’un titre annulé ne s’en serve plus (…) ».[65]

    Toutefois, une partie des auteurs rejetant la solution adoptée par la Cour de cassation en 2007, admettent cependant que le contrefacteur condamné puisse reprendre ses actes d’exploitation postérieurement à l’annulation du titre.[66] Cette solution aboutissant à la remise en cause, mais seulement pour l’avenir [67], de l’autorité de la chose jugée par le jugement sur la contrefaçon. Si la décision de condamnation pour contrefaçon est assortie d’une interdiction sous astreinte, J.-P. Stenger suggère, en outre, que le contrefacteur méconnaisse l’interdiction et demande au juge de l’exécution, au moment de la liquidation de l’astreinte, qu’elle soit ramenée à zéro.[68]

    Enfin, sans constituer une limite à cette solution de l’irrecevabilité de l’action en répétition de l’indu, Emmanuel Py évoque l’hypothèse dans laquelle le breveté qui, en raison des activités qu’il exerçait, connaissait nécessairement l’existence d’antériorités et ne pouvait se méprendre sur la validité de son brevet, doit être considéré comme ayant engagé ses actions en contrefaçon de mauvaise foi, justifiant sa condamnation pour procédure abusive.[69]

    2.- Absence d’autorité de la chose jugée

    Ainsi qu’il l’a été relevé plus haut, deux conceptions paraissent de nature à faire produire à l’annulation du brevet un effet rétroactif susceptible, le cas échéant, de mettre en échec des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée : la théorie des faits nouveaux (a) ou la perte de fondement juridique (b).

    a.- La théorie des faits nouveaux

    Elle est illustrée par l’arrêt précité du 12 juin 2007, dans lequel la Cour de cassation retient que l’annulation du brevet constitue “un fait ou un acte postérieur à la décision modifiant la situation antérieurement reconnue en justice”. Elle a été approuvée par certains auteurs [70].

    Elle paraît s’appuyer sur les dispositions de l’article 1351 du code civil subordonnant l’autorité de la chose jugée à la triple identité de parties, d’objet et de cause, cause dont la doctrine admet majoritairement qu’elle est constituée à la fois de faits et de règles juridiques [71]. La très grande majorité de la doctrine considère ainsi qu’il n’y a pas, en principe, d’identité de cause lorsque s’est produit un fait nouveau postérieurement à la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée.[72]

    Il s’en déduit que seuls des faits postérieurs à la première décision et modifiant la situation juridique consacrée par celle-ci peuvent combattre l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision. Selon H. Motulsky : “La question litigieuse, au regard de la chose jugée, c’est tout point qui a été débattu contradictoirement entre les parties. […..]. L’interdiction de retourner devant le juge est, en principe, limitée aux facteurs qui ont été débattus devant le tribunal et tranchés par lui”.[73]
    Il paraît en découler que, sous certaines conditions, l’autorité de la chose jugée cède devant un moyen de fait nouveau [74], alors qu’un moyen de droit nouveau, en application de la jurisprudence dégagée par l’arrêt Cesareo [75], se heurtera inexorablement à cette autorité, le tout, évidemment, en cas d’identité de parties et d’objet.

    Les faits et actes nouveaux ne peuvent se voir opposer l’autorité du jugement passé puisqu’ils n’entraient pas dans son périmètre, n’ayant pas pu, par définition, être connus des parties qui n’ont pu les invoquer, de sorte qu’ils n’ont pas été débattus devant le premier juge qui n’a donc pas pu les prendre en considération. Plus précisément, les faits sont, par définition, contingents et nouveaux : ils n’existaient pas au moment du premier jugement ou arrêt (changement de conditions de vie d’un enfant, aggravation d’un préjudice…). Les actes sont des événements non contingents, mais postérieurs, qui échappent à la volonté des parties, l’autorité de la chose jugée ne garantissant pas seulement l’autorité de la juridiction qui a rendu la décision définitive, mais protégeant aussi la partie gagnante.

    Le fait nouveau modifie la cause de l’action, de sorte qu’il peut être soutenu qu’il n’y a pas identité entre la seconde demande et celle qui a été tranchée par le premier jugement. Il en découle que la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée par le premier jugement ne semble pas pouvoir être opposée à la seconde action.

    b.- La perte de fondement juridique

    Elle peut être définie comme le mécanisme aboutissant à l’anéantissement rétroactif d’un jugement à la suite de la disparition ou de la modification profonde de la situation juridique en considération de laquelle il a été rendu. Ainsi, un jugement est rétroactivement réduit à néant en raison de la destruction, après qu’il ait été rendu, d’une règle ou d’un acte sur lequel il reposait.

    L’élément dont la disparition provoque la perte de fondement juridique peut être :

    – un acte juridique (acte administratif, annulation d’une marque ou d’un brevet) ;
    – une décision de justice (judiciaire ou administrative) ;.
    – une règle de droit (annulée rétroactivement par le législateur).

    Si le code de procédure civile n’utilise pas l’expression de perte de fondement juridique, l’alinéa 2 de son article 625 prévoit, comme corollaire de la cassation de la décision attaquée, un mécanisme qui procède du même principe, désigné par l’expression “annulation par voie de conséquence” des décisions qui sont “la suite, l’application ou l’exécution” de la décision cassée ou qui s’y rattachent “ par un lien de dépendance nécessaire”.

    Outre l’anéantissement d’une décision juridictionnelle servant de fondement à d’autres décisions, la perte de fondement juridique peut provenir de l’anéantissement d’une règle de droit. C’est le cas d’une nouvelle loi applicable rétroactivement tant aux instances en cours qu’aux situations antérieures à sa publication.[76]

    C’est également le cas lorsque le législateur instaure une procédure spéciale comme celle instituée par les articles L. 12-5 et R. 12-5-1 du code de l’expropriation qui prévoient qu’ “en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale”.

    Mais on notera que dans ces deux dernières hypothèses, la perte de fondement ne pourra être invoquée que dans le cadre de l’exercice d’une voie de recours contre la décision dont l’anéantissement est demandé.

    Ainsi, dans les cas envisagés ci-dessus, la perte de fondement juridique constitue un cas d’ouverture d’une voie de recours, qui « atteint l’arrêt qui était parfaitement légal au jour de son prononcé, et puise sa source dans un fait postérieur à l’arrêt, tel que la promulgation d’une nouvelle loi, déclarée applicable aux instances en cours devant la Cour de cassation, ou l’annulation d’une décision administrative ou judiciaire sur laquelle se fondait l’arrêt » [77]. La perte de fondement juridique doit, en conséquence, être distinguée du manque de base légale, qui constitue lui-même un cas d’ouverture à cassation, mais qui concerne une toute autre hypothèse : celle où, dès son prononcé, l’arrêt n’est pas conforme à la règle de droit en raison de l’insuffisance de sa motivation.

    Il ne s’agit là que de l’une des hypothèses possibles de perte de fondement juridique consécutive à la disparition d’une décision juridictionnelle. Hors de ces fondements textuels, la jurisprudence a, de manière prétorienne, élargi son domaine, la cassation, la volonté du législateur ou celle du pouvoir réglementaire n’étant pas les seules causes de cette disparition, cette dernière pouvant aussi résulter d’une infirmation, d’une annulation ou d’une rétractation, notamment à la suite d’une tierce opposition.

    Dans la matière qui nous occupe, il revient d’ailleurs sous la plume des auteurs [78] ou dans la motivation des juges du fond, que l’annulation du brevet prive de fondement l’action en contrefaçon.

    Avec le professeur Le Bars [79], il peut donc être retenu que l’anéantissement pour cause de perte de fondement juridique peut être mis en oeuvre selon trois modalités différentes :

    – être prononcé ou constaté à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours classique contre la décision à anéantir, en cas, notamment, d’application d’une loi rétroactive détruisant la règle de droit antérieure, le juge devant alors constater la perte de fondement juridique opérée par la nouvelle norme ;

    – être prononcée ou constatée dans le cadre d’une voie de recours spéciale, comme celle prévue par l’article L. 12-5 précité [80] ;

    – avoir lieu de plein droit, soit en application de l’article 625 du code de procédure civile qui ne trouve toutefois application qu’à hauteur de cassation, soit sous l’effet de la rétractation ou de l’infirmation d’une décision, comme l’admet une jurisprudence que nous qualifierons de prétorienne.

    Il convient de souligner que la très grande majorité des cas d’anéantissement de jugements admis par la jurisprudence “prétorienne” pour cause de perte de fondement juridique résultent de l’infirmation ou de la rétractation de la décision juridictionnelle qui en constituait le fondement. Dans des hypothèses, beaucoup moins nombreuses, cette perte résulte de l’anéantissement d’actes juridiques. En revanche, aucun cas de perte fondé sur la survenance d’un simple fait juridique n’a été recensé.

    Cette jurisprudence prétorienne a été critiquée aux motifs qu’elle porte atteinte à l’autorité de la chose jugée et que les solutions auxquelles elle aboutit sont de nature à créer une grande insécurité juridique [81].

    Selon la doctrine, l’admission “prétorienne” de la perte de fondement juridique se heurte à plusieurs objections :

    – Elle n’est fondée sur aucune base textuelle expresse ;
    – Elle fait perdre de plein droit -et ce en dehors même de l’exercice d’une voie de recours-, leur autorité de chose jugée à des décisions, quelle que puisse être leur ancienneté, et alors que celles-ci ne sont plus susceptibles de quelque recours que ce soit.

    Commentant l’arrêt précité du 24 juin 1997 (Civ. 1ère, Bull. n° 212 [82]), G. Wiederkehr [83] estime que la Cour de cassation “fait litière de l’autorité de la chose jugée”, soulignant qu’en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt attaqué, “la Cour de cassation annule un autre arrêt qui ne lui était pas et qui ne pouvait pas lui être déféré.”, reprochant à la Cour suprême “d’affirmer qu’il [l’arrêt attaqué] est bien fondé, même s’il contredit un arrêt irrévocable, parce qu’il n’y a plus lieu de tenir compte de la chose jugée par ce dernier.” Il estime enfin que “si l’on tire toutes les conséquences de la motivation de l’arrêt du 24 juin 1997, l’autorité de la chose jugée n’existe plus et la justice ne met plus fin aux litiges qui peuvent toujours renaître de leurs cendres”.

    – L’automatisme des effets “de plein droit” de la perte de fondement juridique retenu par l’arrêt “Haribo” (Civ. 2ème, 6 janvier 2005, Bull. n° 1 [84]) apparaît critiquable à T. Le Bars à plusieurs titres :

    + il permet, sans limitation de durée, la remise en cause de décisions irrévocables, en autorisant qu’un jugement, contre lequel aucune voie de recours n’a été formée, perde toute force obligatoire, de nombreuses années plus tard, à la faveur de l’annulation judiciaire d’un acte ou d’une précédente décision sur lequel il était fondé. “L’irrévocabilité devient une vue de l’esprit et toute décision de justice est désormais rendue sous la condition implicite que dans les trente ans à venir, elle ne perdra pas rétroactivement un de ses fondements. Une telle solution [….] est source d’une grave insécurité juridique [85]”.

    + il méconnaît la règle instituée par l’article 460 [86] du code de procédure civile, qui exige que toute remise en cause d’une décision de justice passe par l’exercice d’une voie de recours [87].

    Certains auteurs relèvent encore que le législateur, comme le juge, paraissent en cette matière procéder au cas par cas, sans que soient fixées de limites au champ d’application de la théorie qu’ils mettent en oeuvre et dont ils s’inquiètent de l’extension possible. Ils estiment en effet que rien n’empêche d’appliquer la théorie de la perte de fondement juridique au domaine des actes juridiques privés, actes unilatéraux ou contrats et ne voient pas ce qui pourrait s’opposer à ce que la résolution d’un contrat emporte perte de fondement d’un jugement rendu quelques années plus tôt sur la base même des dispositions de ce contrat.[88]

    Il a toutefois été fait remarquer que la solution inverse, qui fait prévaloir l’autorité de la chose jugée attachée à la première décision, n’est pas non plus satisfaisante, à plus d’un titre :

    – elle paraît heurter le bon sens et l’équité, (comment, dans notre cas d’espèce, faire admettre, en sens commun, qu’une personne, dont il est irrévocablement jugé qu’elle n’est pas un contrefacteur, puisse néanmoins continuer d’être tenue vis-à-vis d’une autre personne, dont il est aussi irrévocablement jugé qu’elle n’est pas le breveté, au titre d’une condamnation prononcée sur le fondement même de la constatation de cette contrefaçon) ?

    – elle aurait pour effet de multiplier les voies de recours en vue d’éviter que les décisions ne deviennent définitives ;

    – elle priverait de toute effectivité la décision d’annulation intervenue postérieurement. [89]

    Des auteurs [90] admettent l’extension, par analogie, de la règle posée par l’article 625 du code de procédure civile aux autres hypothèses d’anéantissement d’un fondement juridique lorsque ce dernier réside dans un jugement, mais estiment souhaitable de bannir l’automatisme des effets de la perte de fondement juridique quand celle-ci consisterait dans la disparition d’un acte autre qu’un jugement ou un arrêt.

    Une solution pourrait peut-être consister à donner une base textuelle à la perte de fondement juridique en la faisant figurer, comme telle,

اترك تعليقاً

لن يتم نشر عنوان بريدك الإلكتروني. الحقول الإلزامية مشار إليها بـ *