L’ACTION PAULIENNE

L’ACTION PAULIENNE

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L’ACTION PAULIENNE

par Youssef Fassi-Fihri
Université de Perpignan – DESS 2003

INTRODUCTION

 

Garantir une obligation c’est renforcer par des sécurités la probabilité de son recouvrement, ce qui suppose, d’une part, que le lien d’obligation ne soit pas appelé à connaître un dénouement instantané par exécution immédiate, et d’autre part, que le créancier ait quelque raison, tenant à l’importance des intérêts en jeu, de redouter la défaillance du débiteur en admettant qu’aucun n’est totalement insensible aux mesures susceptibles d’améliorer l’espoir d’un règlement effectif.

Le droit des obligations inclut sous le rapport de leur effectivité, un lot de techniques et mécanismes, légaux ou conventionnels dont l’objectif est la défense ou la préservation des intérêts acquis par le créancier contre son débiteur. La partie la plus saillante de ce dispositif de protection est, évidemment, constituée par le droit de gage général sur les biens mobiliers et immobiliers du débiteur.

Cependant le droit de gage général est une garantie précaire, étendue à toute la fortune du débiteur, mais dépourvue de toute maîtrise sur ces éléments d’actif. Sa vertu sécurisante est subordonnée à la consistance du patrimoine intéressé et donc au bon vouloir et à l’honnêteté du débiteur.

Celui-ci pourrait en cessant d’être loyal, compromettre l’assiette du droit de gage par des initiatives ou des omissions patrimoniales attentatoires à la sécurité des créanciers : c’est le risque de dilapidation.

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Face à un débiteur insolvable ni saisie, ni astreinte ne seront efficaces si le débiteur n’a plus d’actif. Il est donc nécessaire de donner au créancier des moyens d’assurer préventivement la conservation du patrimoine.

Mais ce droit ne doit être accordé que dans des cas exceptionnels car il serait intolérable de permettre aux créanciers de s’immiscer dans la gestion du patrimoine de leur débiteur lorsque celui-ci est solvable.

C’est ainsi que le tribunal de première instance de CASABLANCA – HAY HASSANI AIN CHOCK a, le 21/3/2000 jugé, à bon droit, qu’un débiteur ne peut être empêché de disposer de son patrimoine sauf si son insolvabilité est déclarée ou bien si son immeuble est grevé d’hypothèque (1).

Cependant, l’éventualité d’un risque de dilapidation n’est certes pas dépourvue de moyens préventifs tel que les saisies conservatoires, les inscriptions provisoires ou encore les réserves de propriété ; mais cette éventualité ouvre aussi dans la théorie générale des obligations, deux voies d’action curative tendant à la préservation forcée de l’intégrité du patrimoine du débiteur : ce sont l’action oblique et l’action paulienne.

En d’autres termes, le créancier peut préserver son gage en accomplissant des actes conservatoires, ou bien en exerçant par la voie

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(1) T.P.I. HAY HASSANI, AIN CHOCK – jugement n° 805 du 21/3/2000 – dossier civil n° 181/2000 – jurisprudence non publiée – copie en annexe 1

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oblique, les actions que son débiteur néglige d’intenter ; ou encore d’attaquer par l’action paulienne les actes de son débiteur faits en fraude de ses droits.

Il importe de souligner, de prime abord, que le législateur marocain ne s’est pas préoccupé de définir l’action paulienne et partant, elle n’est réglementée par aucune disposition légale, à l’exception de certains articles du code des obligations et contrats notamment l’article 22 sur la simulation et l’article 1241 du code précité sur les biens des créanciers.

En droit comparé différentes législations maghrébines, arabes et européennes ont réglementé l’action paulienne à travers ses conditions et ses effets.

C’est ainsi que l’article 1167 alinéa 1er du code civil français qui constitue, après l’action oblique, le deuxième volet de la protection des créanciers du fait du comportement néfaste de leur débiteur, stipule « qu’ils peuvent aussi attaquer, en leur nom personnel, les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »

C’est donc l’action paulienne ou révocatoire que la doctrine française n’a pas manqué de définir comme celle tendant, pour le créancier, à voir remettre en cause, à son égard, tout acte conclu par son débiteur, aux fins de diminuer les chances de recouvrement de la créance.

Sur le plan Maghrébin, le législateur algérien a réglementé l’action paulienne dans son code civil. Ainsi, le Docteur Mohamed HASSANINE l’a défini comme une action donnée au créancier pour le protéger contre

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la fraude d’un débiteur qui diminue son patrimoine ou remplace des biens aisément saisissables par des biens faciles à faire échapper aux poursuites judiciaires (1).

Le droit Tunisien, pour sa part, a consacré à l’action paulienne les dispositions énoncées à l’article 306 (nouveau) alinéa 1er du Code des Obligations et des contrats Tunisiens : « les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur, en fraude de leurs droits, sans toutefois qu’il soit dérogé aux règles de statut personnel et successoral ».

La doctrine tunisienne a tenu à mettre en exergue trois conditions pour que l’action en annulation puisse prospérer :

Tout d’abord il faut que la créance objet du litige, soit arrivée à son terme.

Ensuite il faut que le contrat ou la donation, objet de l’annulation, ait pour conséquence l’appauvrissement, voire son insolvabilité.

Enfin, il faut que le cocontractant du débiteur ait agit de mauvaise foi, c’est-à-dire en fraude des droits des créanciers (2).

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(1) IN « AL WAJIZ FI NADARIAT AL-ILTIZAM » (précis dans la doctrine de l’obligation par Dr. Mohamed HASSANINE Professeur à l’université d’ALGER.

(2) IN « La revue des obligations et des contrats à la lumière des changements contemporains » 1997 par Maître Mohamed SALEH AL IIYARI, ex Ministre de la justice tunisien et Premier Président Honoraire près la Cour d’Appel de TUNIS.

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Sur le plan historique, l’action paulienne vient du droit romain, elle était intentée par le « curator honorum » au nom de tous les créanciers, lors de la « venditio honorum », elle impliquait donc l’insolvabilité du débiteur, et revêtait un caractère pénal en ce qu’elle réprimait le délit de « fraus créditorium », c’est-à-dire le fait d’avoir soustrait intentionnellement ses biens aux poursuites de ses créanciers en passant avec un tiers, un acte juridique.

Ce délit supposait la constatation de la mauvaise foi tant du débiteur que du tiers complice, mais ultérieurement la complicité du tiers ne fut plus exigée lorsque l’acte était à titre gratuit.

Sa dénomination d’action paulienne lui aurait été donnée par les compilateurs de justinien, et serait le résultat d’un emprunt au nom du prêteur Paul (1).

La sanction de l’action paulienne était une condamnation pécuniaire égale au montant de la valeur de la chose soustraite aux créanciers ; condamnation qui n’était prononcée que si les choses n’étaient pas remises en l’état.

De ce fait l’action était « arbitraire » elle aboutissait indirectement à la restitution de la chose, donc à la révocation de l’acte frauduleux, d’où son nom d’action révocatoire.

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(1) IN : Droit civil, les obligations par Boris STARCK – 1986 – LITEC

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Quoiqu’il en soit, on constate que la source essentielle de l’action paulienne est jurisprudentielle. Les tribunaux ont constamment assoupli les conditions de l’action paulienne pour en faire une protection générale des créanciers contre les actes d’appauvrissement de leur débiteur

Il en va pour s’en convaincre d’analyser l’ensemble des décisions judiciaires émanants des différentes juridictions du Royaume du Maroc, faisant application de l’action paulienne sur la base des articles du Dahir formant code des obligations et contrats du 12 Août 1913.

Parmi ces décisions judiciaires, il importe de mettre l’accent sur une jurisprudence récente non publiée afin d’illustrer la place prépondérante de l’application de l’action dans les litiges civils et commerciaux.

Il s’agit d’une caution solidaire ayant bénéficié de plusieurs facilités bancaires. Mais, afin de dilapider son patrimoine et provoquer son insolvabilité, elle consent une donation au profit de son épouse et ce, en fraude des droits des créanciers, ce qui a conduit à l’annulation de l’acte de donation et son inopposabilité aux créanciers (1)

Par ailleurs, l’existence de l’action est une conséquence de l’indépendance du débiteur. Celui-ci conserve l’entière maîtrise de son patrimoine et peut donc librement s’enrichir ou s’appauvrir.

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(1) T.P.I. MARRAKECH jugement n° 2695 du 21/6/2000 – dossier civil n° 244/1/2000 – jurisprudence non publiée (B. C/ TH. ) en annexe n° 2

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La seule limite à cette liberté résulte de la fraude : l’action paulienne tend à protéger le créancier, même chirographaire contre les actes frauduleux de son débiteur. C’est une sanction de la fraude et non de la négligence du débiteur : une protection du droit de gage général des créanciers, très fréquemment utilisée à l’époque contemporaine contre tous les actes d’appauvrissement frauduleux du débiteur telles que les donations ou les ventes à vil prix.

De surcroît, l’action paulienne est une action conquérante qui peut donc être utilisée en toutes circonstances par le créancier qui subit un préjudice du fait de l’appauvrissement frauduleux de son débiteur.

Par cette action, le créancier obtiendra que l’acte frauduleux soit à son égard considéré comme non avenu et en conséquence, de la remise des choses en l’état antérieur à l’acte illicite.

Par ailleurs, l’action paulienne doit être distinguée d’autres actions qui permettent aux créanciers de se prémunir contre les conséquences dommageables des actes de leur débiteur. Elle se présente comme une action spécifique qui ne peut être assimilée notamment à l’action oblique, à l’action en simulation, ou encore à toutes autres actions fondées sur la fraude.

En premier lieu, l’action oblique permet au créancier d’exercer les droits et actions de son débiteur que celui-ci a négligé d’exercer. Elle prémunit donc le créancier contre la négligence de son débiteur, alors que l’action paulienne le protège contre sa fraude ; il s’agit de garantir les créanciers

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contre une déloyauté contractuelle qui ne consiste pas dans une inaction, mais dans une action néfaste (1).

Elle est exercée, en outre, par le créancier au nom du débiteur et profite à l’ensemble des créanciers, sur le bien ou le droit rentrant dans le patrimoine du débiteur alors que l’action paulienne est exercée par le créancier en son nom personnel et ne profite qu’à celui qui l’a intentée.

En second lieu, l’action paulienne doit être distinguée de l’action en déclaration de simulation.

Le droit marocain a réglementé la simulation à l’article 22 du Dahir formant code des obligations et contrats qui stipule que « les contre lettres et autres déclarations écrites n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s’ils n’en ont eu connaissance …. »

Pour sa part, la jurisprudence marocaine tend à confondre, dans certaines décisions, l’action fondée sur la fraude et celle fondée sur la simulation.

D’ailleurs, les créanciers exercent d’emblée une action paulienne, sans passer par le préalable naturel de la déclaration en simulation et le juge bienveillant accepte, tout à la fois, de rétablir la réalité et de la

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(1) IN : Droit civil, les obligations par B. STARCK N° 2343

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sanctionner si bien que le résultat effectif d’une telle action paulienne sera proche de celui d’une action en déclaration de simulation suivie d’une action paulienne avec la nullité de l’acte simulé.

Quoiqu’il en soit, l’action en déclaration de simulation n’est qu’une variété de l’action paulienne ; en outre c’est l’action exercée contre « le silence gardé par le débiteur sur la consistance réelle de son patrimoine ou sur la nature exacte de ses opérations juridiques ».

La doctrine marocaine a distingué entre simulation absolue et simulation relative, et ce à travers les dispositions de l’article 22 du Dahir précité. Cette dernière peut être exprimée soit par voie de déguisement, soit par voie de contre lettre, ou encore par voie d’interposition de personnes lorsqu’elle a pour objet d’en déplacer les effets. (1).

La jurisprudence marocaine encore une fois a eu l’occasion de se prononcer sur une décision traitant de l’action en déclaration de simulation qu’elle a distingué de l’action paulienne et de l’action oblique :

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(1) IN : « Commentaire du code des obligations et des contrats marocains à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence » Tome I, par TAWFIK ABDELAZIZ & SAID FOUKHANI (conseilleurs à la Cour Suprême) & Houssine JAAFAR (avocat)

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« l’action par laquelle un créancier cherche à faire déclarer fictive une vente d’immeuble effectuée par son débiteur, constitue l’action en déclaration de simulation prévue par le D.O.C. et non une action paulienne ou une action oblique.

Cette vente ne peut être déclarée fictive pour le seul motif que le vendeur a continué à occuper et à exploiter l’immeuble vendu, s’il est établi qu’il était débiteur de son acheteur précédemment à la vente et que celle-ci est antérieure à toute poursuite exercée par son créancier…. » (1)

De son côté, le Docteur A. SANHOURI (2) a mis l’accent sur l’action en simulation.

Il a ainsi, défini la simulation comme un accord entre contractants tendant à faire croire à l’existence d’une convention (par acte apparent ou simulé) ne correspondant pas à leur volonté véritable, exprimée par un autre acte dénommé contre lettre.

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(1) Jugement du TPI RABAT du 28/1/1929 publié à la Gazette des Tribunaux du Maroc, 1929 n° 356, p. 115 IN : Code annoté des obligations et contrats par le Doyen François-Paul BLANC, édition AL MADARISS – 1981 (article 419 n°4)

(2) Docteur d’Etat en droit, Professeur à l’Université du Caire – EGYPTE

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Il a, en outre, relevé sa nature différente à l’action paulienne car, cette dernière tend à détruire une situation juridique réelle, elle est nécessairement subordonnée à des conditions d’exercice restrictives alors que l’action en simulation écarte simplement un acte fictif sans existence réelle (1)

En droit comparé, la doctrine a tenté de fournir une comparaison entre l’action paulienne et l’action en déclaration de simulation. Elle relève qu’un débiteur peut se servir de la simulation pour faire fraude à ses créanciers.

Dans l’action paulienne, le créancier est placé en face d’un acte d’appauvrissement véritable, c’est le cas d’un bien effectivement sorti du patrimoine du débiteur, le créancier sollicite la révocation de l’acte à son égard ; alors que dans l’action en déclaration de simulation il est en face d’un acte fictif et demande que l’inexistence de cet acte soit constatée afin qu’il soit reconnu qu’un bien donné est resté, en réalité, dans le patrimoine du débiteur et partant, dans le gage des créanciers de « l’aliénateur ».

En dernier lieu, l’action paulienne doit être distinguée d’autres actions fondées sur la fraude, mais qui n’ont pas pour objet de protéger le droit de gage général des créanciers.

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(1) IN : « AL WASSIT FI CHARH AL KANOUN AL MADANI » (précis au Droit civil annoté – preuve & effets de l’obligation – tome 6 – par ABDERRAZAK SANHOURI

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Ainsi en est-il de l’action ouverte au bénéficiaire d’une promesse de vente, ou encore de l’action ouverte au créancier auquel une hypothèque a été consentie avec déclaration des inscriptions grevant, à la date de l’acte, l’immeuble hypothéqué en vue de demander la nullité de l’inscription prise avant la sienne par un créancier postérieur du même débiteur, s’il est établi que l’antériorité de l’hypothèque obtenue par ce créancier est le résultat d’un acte frauduleux qui a eu lieu entre lui et le débiteur pour priver le premier créancier de la priorité de rang qui lui a été promise.

Par ailleurs, nous ne pouvons qu’être surpris et en même temps comblé par l’extraordinaire vitalité de l’action paulienne dans la jurisprudence marocaine.

En effet, non seulement les hypothèses dans lesquelles il y ait recouru sont extrêmement diverses et cela d’autant plus que les tribunaux interprètent très souplement ses conditions d’ouverture, mais encore l’action paulienne devient une garantie de droit commun des obligations, une voie de recours qui supplée les techniques particulières de protection des créanciers devenus défaillants.

Ainsi, il importe d’emprunter quelques exemples aux décisions les plus récentes rendues par les différents tribunaux du Royaume afin d’en démontrer l’actualité et l’imagination des débiteurs rendant infinies les modalités de la fraude.

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A ce titre, l’inopposabilité a pu frapper la donation immobilière qu’une caution solidaire avait consentie à son épouse et ses descendants en fraude des droits des créanciers, et ce après avoir cautionné auprès d’une banque la société dont le compte courant était débiteur (1).

Quoiqu’il en soit, la jurisprudence marocaine montre en effet, que l’action paulienne est un complément à des actions spéciales qui échouent. C’est une garantie du droit commun des obligations qui peut toujours venir comporter si nécessaire une technique spéciale de protection des créanciers qui s’avérerait défaillante, souligne le Professeur MESTRE (2).

A cet égard, l’action paulienne se rencontre aussi dans le cas particulier où la réduction du capital d’une société anonyme a été effectuée frauduleusement.

La Loi n° 17/95 (3) régissant les sociétés anonymes permet au représentant de la masse des obligataires et à tout créancier, dont la créance est antérieure à la date du dépôt au greffe, de faire opposition dans les trente jours à la réduction du capital non motivée par des pertes, décidée par l’Assemblée Générale.

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(1) Jugement n° 2706 du 6/7/95 – dossier n° 150/95 TPI HAY HASSANI – jurisprudence non publiée (W C/ sieur AB. & C0) copie en annexe 3

(2) IN : Revue trimestrielle de droit civil français 1986 page 601, note du Professeur J. MESTRE

(3) Article 212 de la loi n° 1795 du 30/9/1996 relative aux sociétés anonymes

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En droit comparé, la Cour de Cassation française a jugé que cette protection spéciale de la loi commerciale ne privait pas les créanciers du droit d’exercer l’action paulienne contre la décision de réduire le capital, prise par l’Assemblée Générale, en parfaite connaissance du préjudice qui serait causé aux créanciers (1).

Il importe ici de souligner qu’une telle jurisprudence s’étend à toutes les hypothèses où la protection des créanciers est assurée par un droit particulier d’opposition.

Par ailleurs, l’action paulienne devient une action de droit commun qui embrasse toutes les formes de la fraude, ce qui retentit sur sa nature juridique et conduit la doctrine dominante en droit comparé à y voir une action en inopposabilité.

A cet égard, la qualification d’action en inopposabilité est due à l’acte valable entre les parties mais dépourvu d’apports à l’égard du créancier victime de la fraude.

En droit marocain, les juges du fond qualifient improprement l’action paulienne d’action en nullité , au lieu d’une action en inopposabilité, mais la cour de cassation française a considéré que les parties à l’acte ne sont pas en droit de se prévaloir de cette erreur dépourvue d’effets à leur égard.

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(1) Arrêt rendu par la chambre commerciale près la cour de cassation française du 11/2/86, IN : la revue trimestrielle de droit civil 1986, page 601.

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Par ailleurs, l’action paulienne porte généralement, soit sur des contrats à titre onéreux, soit sur des contrats à titre gratuit.

Concernant les contrats à titre onéreux, ce sont ceux en vertu desquels une partie s’engage envers l’autre dans un but intéressé, car elle doit retirer du contrat un avantage pécuniaire, alors que dans la seconde catégorie, il s’agit d’un contrat dans lequel le débiteur s’engage envers le créancier, sans espérer de contre partie, c’est le cas notamment de la donation.

Cette distinction permet de relever outre le caractère intuitu personae du contrat à titre gratuit, le fait que l’action par laquelle le créancier peut attaquer pour fraude des actes accomplis par son débiteur est plus facile à intenter lorsqu’il s’agit d’un contrat à titre gratuit conclu par le débiteur, que lorsqu’il s’agit d’un contrat à titre onéreux.

En effet, dans ce dernier cas, le créancier qui entend attaquer un contrat frauduleux conclu par son débiteur, devra prouver à la fois la fraude du débiteur et celle de son cocontractant.

Au contraire, s’il s’agit d’un contrat à titre gratuit, il suffit de prouver la fraude commise par le débiteur.

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De ce fait, l’action paulienne en ce qu’elle suppose une faute du débiteur, et un préjudice subi par ses créanciers, se rapproche d’une action en responsabilité civile. Elle ne consiste pas simplement en la mise en jeu de la responsabilité du débiteur, dans la mesure où ses conditions et ses effets ne sont pas exactement ceux d’une action en responsabilité.

Il ne s’agit pas non plus d’une action en nullité relative à l’initiative des créanciers comme indiqué précédemment, car l’acte attaqué par la voie paulienne n’est pas anéanti « erga omnès », comme il devrait l’être s’il était annulé.

En réalité, l’action paulienne est une action originale qui ne saurait être ramenée à aucune autre action. Son idée est simple : le contrat conclu est opposable aux créanciers des parties parce qu’ils ont un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur et doivent subir toutes les fluctuations de l’état de ce patrimoine qui résultent des actes accomplis par le débiteur.

Elle présente donc un intérêt tout particulier en ce qui concerne l’exception qu’elle constitue au principe de l’opposabilité des contrats aux créanciers des parties.

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Néanmoins, nous ne saurons traiter de l’action paulienne en droit marocain sans omettre de se poser la question de savoir pourquoi le législateur marocain n’a pas repris les dispositions relatives à l’action paulienne en reprenant le code de Napoléon de 1804 alors même que toutes les législations maghrébines, voire arabes, prévoient cette action ? (1)

L’article 22 du D.O.C. stipule que « les contre lettres ou autres déclarations écrites n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers s’ils n’en ont eu connaissance,…. »

De surcroît, l’article 22 précité sur la simulation peut-il être considéré par le législateur marocain comme suffisant pour réglementer l’action paulienne et ce, aux côtés de l’article 1241 du même Dahir régissant le gage général des créanciers ?

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(1) Article 306 alinéa 1er du C.O.C. Tunisien

Articles 191 & 192 du C.O.C. Algérien

Articles 238,239 & 240 du C.O.C. Egyptien

Articles 238 & 240 du C.O.C. Syrien

Articles 263, 265, 268 & 269 du C.O.C. Irakien

Articles 240, 242 & 245 du C.O.C. Lybien

Article 278 du C.O.C. Libanais

Article 205 du C. CIV. Sénégalais

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L’intérêt d’une telle étude sur l’action paulienne en droit marocain s’avère d’une importance capitale car en l’absence de législation spéciale en la matière, nous nous efforcerons d’analyser ce genre d’action en mettant l’accent sur les efforts louables des magistrats marocains notamment les juges du fond qui prononcent des décisions approuvant l’action paulienne, enrichissant ainsi le palmarès de la jurisprudence marocaine.

De plus, ce travail revêt un second intérêt qui réside dans l’analyse d’un thème basé sur la doctrine et la jurisprudence marocaine et comparée, ce qui permettra de dévoiler et de commenter des décisions récentes non publiées rendues par les différents tribunaux du Royaume sur cette action.

D’abord, il nous est opportun de souligner que Monsieur le Doyen François-Paul BLANC (1) a eu le mérite d’annoter le Dahir formant code des obligations et contrats marocain et partant, à mettre en exergue l’apport de l’action paulienne et l’appauvrissement du débiteur à travers la publication de certaines décisions jurisprudentielles sur la base notamment des articles 77 et 229 du Dahir précité.

En effet, parmi les premiers jugements réglementant l’action paulienne à la lumière de l’article 77 du D.O.C., nous retenons le jugement du tribunal de première instance de RABAT qui admet expressément :

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(1) Agrégé des facultés de droit – Doyen de l’université de Perpignan France.

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« bien que l’action paulienne, telle qu’elle résulte des dispositions de l’article 1167 du Code civil français, ne soit pas mentionnée dans le D.O.C., on ne peut dire qu’il n’existe, d’après ce Dahir, aucun recours pour les créanciers contre le débiteur qui volontairement a cherché à s’appauvrir ; en effet, les créanciers peuvent toujours agir contre cet appauvrissement qui leur porte préjudice, en s’appuyant sur le principe général édicté par l’article 77 du D.O.C.

S’il s’agit d’une action tendant à faire déclarer nulle pour simulation une donation faite par acte authentique, cette action est ouverte aux créanciers du prétendu donateur, même aux créanciers postérieurs à l’acte simulé, qui ont qualité pour établir que leur gage au moment où ils ont traité, comprenait en réalité le bien soi-disant aliéné » (1)

Par ailleurs, la Cour d’Appel de RABAT avait rendu un arrêt considéré de principe réglementant également, l’action paulienne, et plus précisément l’appauvrissement du débiteur.

Outre l’effet d’inopposabilité du contrat au créancier saisissant, l’arrêt tend à mettre l’accent sur l’intention de nuire aux tiers par le débiteur avec le concours de l’acquéreur frauduleux.

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(1) Jugement du tribunal de première instance de Rabat du 1/3/1933, G.T.M. 1933 – N° 538 – P. 119 IN : CODE ANNOTE DES OBLIGATIONS ET DES CONTRATS par : Le Doyen François-Paul BLANC – préface de Me. MAATI BOUABIB – édition AL MADARISS – 1981 (article 77 n° 53)

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Ainsi, l’arrêt de la Cour d’Appel dispose que :

« un acte, tout en faisant loi entre les parties contractantes, aux termes de l’article 229 du D.O.C., ne peut cependant nuire aux tiers et peut, de ce chef, être attaqué par eux, en vertu de l’article 77 du D.O.C.

L’intention de nuire aux tiers, en l’espèce le créancier saisissant, peut résulter de la part du débiteur saisi, auteur de l’acte incriminé, des circonstances de la cause, indiquant sa volonté de frustrer le créancier du gage de sa créance, ce avec le concours conscient de l’autre contractant, acheteur prétendu de l’objet litigieux.

Les contrats de vente ainsi établis ne sont pas opposables au créancier saisissant » (1).

Ensuite, il faut préciser que parmi les arrêts de principe qui ont admis l’action paulienne par application des dispositions des articles 22 et 1241 respectivement relatifs à la simulation et au gage général des créanciers, et qui ont fait l’objet de publication, nous citons l’arrêt rendu par la Cour Suprême de Rabat le 19/10/1987. Il s’agit d’une vente simulée intervenue en fraude des droits des créanciers, la Cour a retenu la pertinence du moyen invoqué en soulignant que les biens du débiteur sont le gage de ses créanciers en vertu de l’article 1241 du Dahir formant code des obligations et contrats.

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(1) Arrêt de la Cour d’Appel de Rabat du 24/3/1933 Recueil des arrêts de la Cour d’Appel de RABAT (R.A.C.A.R.) tome VIII – P. 218 IN : Code annoté des obligations et des contrats par M. Le Doyen François-Paul BLANC, préface de Me. MAATI BOUABID – édition AL MADARISS – 1981 (article 77 n° 54)

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Elle a en outre, mis en exergue la position du tiers qui subit un préjudice par le fait de conventions passées par son débiteur, pour disposer de ses biens en fraude des droits du créancier, en précisant qu’il est en droit d’attaquer ces conventions par la voie judiciaire en invoquant la simulation. (1)

Enfin, la jurisprudence marocaine a repris un principe prépondérant de l’action paulienne, à savoir qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un jugement définitif pour engager la dite action, il suffit donc de pouvoir prouver la fraude du débiteur au détriment des droits des créanciers, afin d’obtenir l’inopposabilité de l’acte frauduleux aux créanciers sus indiqués.

Par conséquent, l’étude de l’action paulienne en droit marocain nous permettra de traiter de deux volets :

les conditions d’exercice de l’action lors d’une première partie en s’attardant sur celles relatives à l’acte attaqué et celles relatives aux parties au litige en l’occurrence le créancier poursuivant, le débiteur défendeur à l’action et le tiers défendeur

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(1) Chambre sociale près la cour suprême de Rabat – arrêt n° 529 du 19/10/1987 – affaire Ste. RM C/ KITABRI MOHAMED et autres – IN : Revue Marocaine de Droit n° 16 P. 62 (en annexe 4)

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Ce qui nous mènera à mettre en exergue lors d’une seconde partie, les effets de l’action paulienne en soulignant d’une part le principe fondamental de l’inopposabilité de l’acte frauduleux au créancier poursuivant avec, bien entendu, l’apport de la jurisprudence marocaine en la matière et la nuance qui s’en dégage (action en inopposabilité – action en nullité) et d’autre part, la notion de réparation du préjudice causé au créancier poursuivant en cas d’impossibilité de rétablir l’état antérieur et ce, en engageant simultanément avec l’action paulienne, une action en responsabilité civile.

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Ière PARTIE – LES CONDITIONS D’EXERCICE DE L’ACTION PAULIENNE EN DROIT MAROCAIN

Nous nous attarderons lors de cette première partie à mettre en exergue les conditions relatives à l’acte attaqué d’une part, et les conditions relatives aux parties au litige.

A – CONDITIONS RELATIVES A L’ACTE ATTAQUE :

L’action paulienne concerne les actes.

Elle est soumise à une condition essentielle : la fraude du débiteur (auteur de l’acte) dont l’importance a quelque peu rejailli par rapport aux conditions relatives au demandeur à l’action (notamment en ce qui concerne les caractères de sa créance) et au tiers contre lequel l’action est intentée.

En droit marocain, la jurisprudence a permis de constater que les actes unilatéraux notamment les donations entre époux et vers la descendance, constituent, principalement, la cause d’exercice de l’action paulienne.

Il ne faut pas omettre de souligner à toutes fins utiles, que l’exercice de l’action paulienne n’est pas dépendant d’un jugement définitif ou d’une action engagée au fond.

De façon générale, les conditions relatives à l’acte attaqué impliquent deux questions prépondérantes, à savoir : quels sont les actes susceptibles d’être attaqués ? et quel préjudice doit causer l’acte sus indiqué pour être attaquable ?

1 – La nature des actes susceptibles d’être attaqués par l’action paulienne :

Le principe est que l’action paulienne est exercée contre un acte juridique établi par le débiteur. Par exception certains actes juridiques échappent à son emprise.

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a : – Le principe :

L’action paulienne ne peut être exercée que contre un acte juridique. La fraude suppose, en effet, une manifestation de volonté et, de surcroît, elle ne se conçoit pas lorsqu’il s’agit d’un fait juridique.

En droit comparé, l’article 1167 du code civil français régissant l’action paulienne ne peut faire l’objet d’application lorsqu’il s’agit d’obligations extra contractuelles comme celles résultant d’un délit par exemple.

Par ailleurs, tous les actes juridiques sont, en principe, susceptibles d’être attaqués par l’action paulienne. Il s’agit notamment des donations ou des donations déguisées.

A cet égard, il convient de souligner l’apport de la jurisprudence marocaine quant aux décisions traitant de la nullité des actes juridiques tels que des donations consenties par des débiteurs en fraude des droits des créanciers.

Ainsi, un débiteur s’était porté caution solidaire auprès d’une banque pour assurer le parfait remboursement de la créance en principal, intérêts, frais et accessoires et ce, à hauteur des engagement de l’emprunteur vis à vis du créancier.

Il a ensuite consenti un acte de donation à ses descendants en fraude des droits du créancier afin de créer son insolvabilité et partant, dilapider son patrimoine.

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Les juges du fond ont décidé, à bon droit, l’annulation de l’acte attaqué souscrit frauduleusement et l’ont déclaré inopposable au créancier (1)

L’action peut, également, être intentée contre des actes de vente conclus avec des montants fictifs. C’est le cas notamment d’une Cour d’Appel française qui, sans inverser la charge de la preuve, et pour caractériser la fraude paulienne commise par une caution et partant déclarer inopposable aux créanciers la vente de biens immobiliers consentie par celle-ci à une société civile immobilière, a relevé, dans le cadre de l’exercice de son pourvoir souverain d’appréciation, que le prix de vente a été payé hors la comptabilité du notaire, que la preuve n’est pas rapportée de ce que le titulaire ait apporté les fonds correspondants à sa quote part de la valeur vénale des biens acquis, et en déduit, par rapprochement avec la date de constitution de la société et celle de la mise en liquidation judiciaire du débiteur principal, que le prix de vente a été payé de manière fictive par la caution à elle-même. (2)

D’une manière générale, la doctrine française enseigne qu’il importe peu que l’acte soit unilatéral ou conventionnel, à titre onéreux ou gratuit, créateur, translatif ou extinctif de droits.

Néanmoins, certains auteurs prétendent que les actes créant des obligations échappent à l’action paulienne au motif que le débiteur n’est pas dessaisi de la gestion de son patrimoine en ce qui conduirait vraisemblablement à supprimer l’action paulienne (3)

Quoiqu’il en soit, l’exercice de l’action paulienne est limité par l’exigence de conditions strictes, nécessaires pour éviter que les créanciers ne s’immiscent sans un motif très sérieux dans le patrimoine de leur débiteur.

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(1) Jugement n° 12723 rendu par le T.P.I. de CASA ANFA le 4/11/1999 dans le dossier civil n° 3863/99 – affaire BM. C/ B.A….. jurisprudence non publiée. Copie en annexe 5

(2) Arrêt de la Première Chambre près la Cour de Cassation française du 4 Juin 1996 – rejet – dossier n° 93-13870 – Jurisprudence publiée – IN : CD-ROM « Intégrale Cassation » collection Legisoft Bulletin n° 235 – copie en annexe 6

(3) IN : Droit Civil – les obligations par MAZEAUD & CHABAS page 1025 prg. 982.

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C’est ainsi qu’un créancier n’aura aucun intérêt pour agir lorsque le débiteur est solvable. La solvabilité sera appréciée en tenant compte des biens du débiteur situés sur le territoire marocain, ou sortant d’une réalisation facile. Mais, il aura intérêt à agir si son débiteur, bien que solvable, compromet ses sûretés en diminuant la valeur d’un immeuble hypothéqué ou en consentant un bail de longue durée, à titre d’exemple.

Par ailleurs, la doctrine arabe s’est pour sa part, préoccupée de traiter de l’action paulienne en la distinguant de l’action oblique, de l’action directe ou encore de l’action en déclaration de simulation.

A cet égard, le Docteur Abderrazak SANHOURI (1) a mis l’accent sur les conditions relatives à l’acte attaqué par l’action précitée, notamment à travers l’acte juridique.

Il précise que « lorsqu’un débiteur remet un bien, lui appartenant, à un tiers jusqu’au transfert de la propriété de ce bien par l’effet de la prescription , le créancier ne peut en aucun cas intenter une action paulienne contre cet acte matériel. Mais, il peut en revanche, avant le délai de prescription, intervenir au nom du débiteur pour empêcher la dite prescription et partant, récupérer le bien à travers l’action indirecte » (2).

En droit musulman, il convient de souligner que l’acte de donation ou de vente souscrit lors de la dernière maladie (maladie précédent la mort) prend la qualité d’un testament et, le créancier n’a pas à attaquer cet acte, ni même le testament car il récupère sa créance du patrimoine du « DE CUJUS » avant l’octroi au bénéficiaire du testament de sa quote part (3)

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(1) Docteur d’Etat en Droit – Professeur à l’université du Caire – Egypte

(2) IN : « Précis dans le droit civil annoté – les effets de l’obligation » Tome II – page 1009 – prg. 574, par le Dr. A. SANHOURI – université du Caire – Egypte

(3) IN : « Précis au droit civil annoté – le Contrat » page 791 – Prg. 733 n° 6

par le Dr. A. SANHOURI – professeur à l’université du Caire – Egypte

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Ainsi, après avoir évoqué le principe selon lequel les actes juridiques sont seuls susceptibles d’être attaqués, et indépendamment de la question de savoir si l’ensemble des conditions de l’action paulienne sont réunies, certains actes constituent l’exception et échappent à son emprise en l’occurrence notamment, les actes relatifs à des droits insaisissables attachés à la personne ou encore le partage.

b/ Exceptions au principe :

L’action paulienne ne saurait être exercée contre certains actes pour des raisons qui tiennent soit à leur nature, soit à leur objet, ne correspondant pas à la logique de l’action.

Il s’agit de prime abord, des actes relatifs à des droits exclusivement attachés à la personne, en ce sens que lorsqu’un débiteur renonce à percevoir une indemnité pour un dommage moral par exemple, ou bien lorsqu’il se désiste de l’action en contrefaçon du brevet d’invention dont il est titulaire – action qu’il a seul le droit d’exercer – , ses créanciers ne peuvent pas attaquer cette renonciation ou ce désistement par l’action paulienne car en cas d’annulation de l’acte souscrit par le débiteur, les créanciers sus visés seraient dans l’impossibilité d’exercer au nom de leur débiteur, l’action oblique afin de récupérer leur créance. Mais cette « immunité » dont jouit le débiteur, peut être écartée lorsqu’il contracte, frauduleusement, un engagement excessif à l’égard d’une victime d’un dommage moral.

Il s’agit en second lieu, des jugements qui peuvent être pour les parties, le moyen de frauder les droits des tiers, ce qui permet à ces derniers, de lutter contre la fraude du débiteur non pas par l’action paulienne, mais par la voie de recours extraordinaire en l’occurrence : la tierce opposition.

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Elle est réglementée par l’article 303 du code de procédure civile marocain et définit comme étant « une voie de recours qui tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit d’un tiers qui l’attaque pour qu’il soit, à nouveau, statué en fait et en droit ».

Cependant, même si un jugement ne semble pas porter atteinte aux intérêts des tiers, puisqu’il ne produit ses effets qu’à l’égard des parties, plusieurs situations peuvent se présenter démontrant l’insuffisance de la règle de l’autorité de la chose jugée, notamment suite à un acte consenti par l’une des parties agissant en fraude des droits de ses ayants cause, ce qui oblige les créanciers à défendre leurs intérêts à posteriori.

En somme, la tierce opposition a pour objet de rendre inopposable au tiers la décision attaquée par ses soins, à la condition qu’il n’ait pas été partie au procès et que la décision lui porte préjudice.

La doctrine égyptienne s’est, pour sa part, préoccupée de la tierce opposition qu’elle a qualifié de frein à l’exercice de l’action paulienne.

En effet, le Docteur A. SANHOURI souligne que « le créancier n’attaque pas l’acte juridique contracté par son débiteur, mais plutôt le jugement intervenu contre ce dernier, suite à une connivence avec son adversaire afin que ledit jugement puisse intervenir à son encontre ou bien, suite à une négligence manifeste du créancier pour la défense et la sauvegarde de ses intérêts.

Il va de soit qu’un tel jugement rendu à l’encontre du débiteur, diminuera le gage général des autres créanciers et partant, soustrait la créance du patrimoine du débiteur »(1)

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(1) IN : « AL WASSIT FI CHARH AL KANON AL MADANI NADARIAT A L’ILTIZAM » (précis dans le droit civil annoté) par Dr. Abderrazak SANHOURI- tome II, page 1011, prg. 576 (traduction personnelle)

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En troisième lieu, la question du partage demeure ambiguë et mérite une analyse comparative exhaustive entre le droit français et le droit marocain inspiré du rite Malékite.

En droit comparé, le code civil français a apporté une restriction au droit des créanciers d’exercer l’action paulienne contre les partages de successions et de communautés (1)

Cette restriction s’explique par la volonté d’assurer la stabilité du partage et par l’existence de procédures spéciales permettant de protéger les droits des créanciers.

Cependant, des exceptions peuvent survenir et déclencher l’action paulienne, c’est le cas notamment d’un partage fictif de communauté dissimulant une donation.

Par ailleurs en droit marocain, l’absence de texte spécifique réglementant l’action paulienne, ne nous empêche pas de traiter ce volet relatif au partage.

En effet, le statut personnel marocain issu du rite malékite et partant du droit musulman, permet de relever les conditions du partage notamment entre cohéritiers et dans le cadre du régime matrimonial qui demeurent différents du système français.

Comme nous l’avons précédemment indiqué, le partage de la succession en droit musulman, qui trouve sa source dans le Saint Coran (2), intervient après le paiement des créanciers du défunt (débiteur) d’une part, et la réalisation du testament à hauteur de 1/3 de la succession d’autre part.

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(1) Article 1167 alinéa 2 du code civil français

(2) Sourat « AN NISSAA »  verset 11

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Ainsi, les créanciers sont amenés à réclamer le recouvrement de leur créance avant le partage de la succession, mais peuvent être contraints à exiger des ayants droits du défunt le reliquat de la créance si la succession ne suffit pas à rembourser ces derniers.

Néanmoins, il nous paraît opportun de souligner qu’un arrêt de la Cour d’Appel de Rabat a jugé, à bon droit, qu’il y a lieu d’exercer l’action paulienne à l’encontre d’une épouse en sa qualité de légataire et d’héritière d’un débiteur décédé à la suite d’une maladie ; legs consenti en fraude des droits des créanciers.

La Cour a estimé par application des dispositions de l’article 419 du D.O.C., que « Revêt le caractère de libéralité déguisée et doit être annulé comme entachée de fraude, conformément à l’article 419 du D.O.C., la reconnaissance de dette envers son épouse souscrite par un musulman au cours de la maladie dont il est décédé.

En effet, en droit successoral musulman malékite, les parts héréditaires fixées par le Coran sont intangibles. Le cumul de la qualité d’héritier et de la qualité de légataire est interdit. Il ne peut y avoir de legs en faveur d’un héritier »(1)

Par ailleurs, dans le cadre du régime matrimonial, une distinction entre les deux systèmes s’impose.

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(1) Arrêt de la Cour d’Appel de Rabat du 19/6/1942 – R.A.C.A.R. TOME XI – P.495 – IN : CODE Annoté des obligations et des contrats par le Doyen François-Paul BLANC, préface Me. MAATI BOUABID article 419 n° 15 – édition AL MADARISS 1981

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En droit marocain, le principe demeure le régime de la séparation des biens entre époux. Toutefois, ce principe dégage quelques exceptions, à titre d’exemple, l’exigence de l’épouse lors de la conclusion du contrat de mariage, la moitié du patrimoine de l’époux en cas de répudiation volontaire de ce dernier.

Il convient ici de rappeler à toutes fins utiles, que la société civile marocaine reste, aux côtés des problèmes culturels d’analphabétisation, attachée aux principes traditionnels notamment en ce qui concerne le mariage et le divorce. Néanmoins, certaines catégories sociales, voire modernes, contournent le principe sus indiqué pour faire insérer dans le contrat de mariage, leurs exigences réciproques et partant, lui donner un aspect contractuel.

Par ailleurs, contrairement au droit marocain, le régime matrimonial français est basé sur la communauté des biens mais nous pouvons déroger du principe, par le biais d’un notaire, qui établit dans un contrat spécifique le partage des biens entre époux.

Quoiqu’il en soit, l’article 1167 du code civil français constituant une garantie de droit commun au bénéfice des créanciers, permet d’attaquer les partages autres que de succession ou de communauté par l’action paulienne.

C’est le cas notamment du partage de société, ou encore des « donations-partages » car le caractère de donation l’emportant sur celui de partage dans la jurisprudence moderne.(1)

En dernier lieu, la doctrine étrangère est unanime quant au principe que le paiement d’une dette, en matière civile, par un débiteur à l’un de ses créanciers ne peut, en aucun cas, être attaqué par l’action paulienne. En effet, un débiteur peut avantager un de ses créanciers par un paiement intégral de la dette échue.

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(1) A titre d’exemple : arrêt de la Cour d’Appel de METZ du 05/11/1980 publié au JURIS DATA N° 80344 – IN : JURIS CLASSEUR CIVIL – étude du professeur Jean DEVEZE – FASC. 39 P. 10

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Par contre, l’action est recevable si le débiteur profite du paiement d’une dette en effectuant des procédés anormaux inspirés par la fraude aux droits des créanciers, notamment par la cession de créance.

Néanmoins, il en est autrement en matière de redressement ou de liquidation judiciaire des entreprises, car tous les créanciers sont unis sur un piédestal et il leur est interdit d’engager des poursuites individuelles.(1)

De plus l’alinéa 1er de l’article 657 du nouveau code de commerce marocain stipule expressément que « le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture… »

Ceci étant, la loi permet à tout intéressé de faire déclarer inopposable à la masse des créanciers, les paiements effectués par le débiteur en état de cessation de paiement.

En droit comparé, la jurisprudence de la Cour de Cassation française a confirmé dans un arrêt du 6/12/1994 que :

«  la situation financière du débiteur était obérée lors de la donation consentie à ses enfants ….. et l’acte litigieux intervenu dans les 6 mois précédent la date de la cessation des paiements du donateur, mis en règlement judiciaire, n’avait pour but que de soustraire à ses créanciers, en fraude de leurs droits, un ensemble immobilier, la Cour d’Appel n’a fait qu’user des pouvoirs qu’elle tient de l’article 29, dernier

alinéa de la loi du 13 Juillet 1967, en déclarant la donation inopposable à la masse » (2)

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(1) Articles 653 et suivants du nouveau code de commerce marocain

(2) Arrêt de la chambre commerciale près la cour de cassation française du 6/12/1994 dossier n° 92.20.078 – rejet de la demande – IN :collection Légisoft, CD ROM « intégral cassation » bulletin n° 371

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En conséquence, l’ensemble des exemples précitées ne constitue pas vraisemblablement un frein à l’exercice de l’action paulienne car, comme nous l’avons indiqué, la fraude du débiteur en dehors des actes juridiques, permet aux créanciers de déclencher l’action et partant, solliciter l’inopposabilité à leur encontre.

Ceci étant, après avoir traité de la nature juridique de l’acte attaqué par l’action paulienne, il nous importe à présent d’analyser la notion de préjudice causé au créancier par l’effet de l’acte frauduleux du débiteur.

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